En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


dimanche 9 décembre 2012

Mieux qu’hier, moins que demain… j’espère


Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.



Par la fenêtre de mon bureau - où paraît-il je suis « toujours » fait remarquer ma petite-fille Élika - je regardais les flocons atterrir sur le sol. Morceaux de silence qui tombent. Hier, j’avais l’impression d’une caresse sur mes yeux. 

Levée tôt ce dimanche 9 décembre, toujours de mon bureau, je regarde ce blanc couvrant les arbres et la terre. Je vois la neige. Je vois que je vois la neige. J’éprouve un frémissement, troublée que je suis d’être arrivée à ce décembre 2012.

Depuis octobre, j’ai franchi chaque journée avec fébrilité. Une sensation de renaissance à l’intérieur de ce corps qui poursuit son combat. Contre toute attente, j’ai une énergie folle qui me pousse à dépasser les limites raisonnables malgré les rappels à la sagesse de mon « protecteur » soucieux de me protéger contre mes excès. C’est l’automne. Doublement. Au calendrier de ma vie comme à celui de l’année. Qu’importe, je me sens printemps en plein automne. C’est mon « printomne ».

Ça va?

Qui me voit ne pose pas la question. C’est évident : ça va bien.

Au 191e jour post chimio, au 128e post radiothérapie, au 98e jour d’Arimidex, je réponds que le pire est derrière moi.

J’en arrive même à oublier cette sensation de gêne sous le bras gauche. Mon bras a retrouvé de la souplesse. En pleine extension, je ressens un léger tiraillement, mais pas de douleur. Le sein reprend sa forme, quoiqu’il demeure très dur à proximité de la cicatrice. Les écoulements mammaires se font plus rares et moins abondants. J’ose, la nuit seulement, ne plus utiliser les coussinets absorbants.

Quant à l’Arimidex, les effets secondaires appréhendés sont discrets. Depuis quelques jours, des élancements à la tête douloureux mais fugaces. Pas toujours du même côté. Des douleurs musculaires… mais serait-ce lié au temps humide plus qu’au médicament? Les bouffées de chaleur impromptues sont plus fréquentes qu’au début. Sans doute parce que mon taux d’œstrogènes diminue. Ce qui est le but. Pour la fatigue, je la dois sûrement plus à mes excès d’enthousiasme dans mes activités, tant physiques qu’intellectuelles, qu’à l’hormonothérapie. Et c’est tant mieux! Car j’ai encore 1727 pilules à avaler en autant de jours. Par contre, quand la fatigue survient, c’est soudain et brutal.

Parmi les effets secondaires persistants, consécutifs à la chimiothérapie, le plus insupportable demeurent les larmes qui affectent mon œil gauche. J’ai trouvé ici   « Quelques petits trucs pour essayer d’écourter cette petite blague, souvent totalement ignorée par nos toubibs sous prétexte « qu’elle passe » », écrit Hélène Bénardeau, auteure d’un blogue où elle partage sa propre expérience.

Affronter le regard
Les ongles auront bientôt retrouvé leur longueur. Fragiles cependant, ils se dédoublent peut-être encore mais reprennent un ton rosé plus régulier. Le plus désagréable est la sensation de sécheresse au bout des doigts et une perte de sensibilité au toucher, comme s’ils avaient été brûlés par le gel. Le bras droit conserve, hélas!, les vilaines taches, conséquence du taxotère infiltré  sous la peau lors des traitements.

La peau du visage est encore sous le choc. Les rides autour des yeux sont très prononcées et la peau aussi fragile que des ailes de papillons. J’en prends soin et espère. Le corps ne peut pas tout reconstruire en même temps. La patience est requise. Je dois laisser le temps au temps.

Les cils sont de retour. Noirs œil droit. Blonds œil gauche. Un moindre mal. Les sourcils sont timides. Les cheveux approchent les trois centimètres dans des tons allant de la neige au charbon.

Chacun y va de son commentaire :

-    Ça te change.
-    Ça te va bien.
-    Ça te rajeunit.


Pour le changement, je le crois volontiers. De chevelure brune bouclée à crâne nu, le changement était remarquable. De crâne nu à repousse cendrée de trois centimètres le changement est remarqué. Et donc, quand on compare, oui ça me va bien mieux que la tête d’œuf du dernier été. Pour le rajeunissement, mon miroir est moins gentil. Lui, il ne loupe pas les sourcils manquants dont la repousse clairsemée ne permet pas même de tricher en quelques coups de crayons. 

Ça ne paraît pas que tu n’as pas de sourcils, disent les gentilles personnes.
-  Ah! Non??  Pourtant….

 Moi, mes sourcils, je les vois qui me narguent : Ose encore nous épiler, me lancent-ils dans le miroir, sachant que, peu nombreux, chacun d’eux m’est devenu précieux.

Enfin, tout aussi implacables, miroir et photos récentes attestent que la teinte poivre et sel de ma tête ne me convient pas vraiment.  Ma décision est prise et je me réjouis de retrouver Clément, mon musicien coiffeur.

Incognito

J’apprivoise, mais tout doucement, les sorties en public. Je passe incognito. On ne me reconnaît plus, même parmi des proches. Ce n’est que par ma voix que le visage s’éclaire soudain :

-    Ah!! Christiane?! Je ne t’avais pas reconnue.
-    Oui, une coupe cancer ça change une femme.

La palme de la meilleure réplique revient à mon amour de petite-fille. Lovée contre moi, peu avant d'aller dormir, Élika (5 ans) caresse mes courts cheveux dont la repousse éloigne de moi le pénible souvenir de mon crâne nu.

Elle dit :


- Ils sont tout doux.


Puis se redressant, elle me regarde, l'expression très sérieuse, intense, et elle ajoute :

-    Quand je t'ai connue je te reconnaissais. Maintenant, je ne te reconnais plus.
-    C'est vrai, je n'ai plus la même tête. Et je lui confie : tu sais, je croise des amis qui ne me reconnaissent pas non plus.
-    Mais moi je t'aime.
-    ...  

Je suis sans mot, émue, consolée.

Ma belle Élika
© Photo Andrée-Anne Lachaine