En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


samedi 21 avril 2012

Chimiothérapie 2

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

18 avril mercredi

Le réveil n'a pas sonné. Il est 7 h 07 et je dois être à l'hôpital à 8 h. Je me précipite sous la douche, avale un nestlé vanille avec ma cortisone. Au moins, pas de chichi pour me coiffer. Et je traverse le pont Dubuc en moins de 15 minutes. Ah! Chicoutimi, je t'aime!

À l'accueil, je me sens à l'aise : celle qui sait quoi faire. Pas le temps d'attendre. Pharmacie avec Lisa, pesée (perdu un kilo), puis installation du soluté par une dame en rose qui ne me laissera aucune marque. Et à 9 h, Sabrina m'installe au fauteuil 8. Pas de compagnon aujourd'hui. On y a droit uniquement à la première séance. Mon infirmier se nomme Jacques Savard. Jovial... On discute de son épouse artiste peintre qui a bien connu mon père lors d'un symposium à Sainte-Rose-du-Nord. J'aime ce souvenir, mais plane un petit brin de nostalgie à l'idée que papa a été vaincu par le cancer.

Pression 135-66, pulsions 72. Un peu anxieuse au souvenir de la douleur. Premier traitement cyclosphosphamide 30 minutes. Puis on commence par le benadryl anti-allergène. Cela chauffe un peu, mais Sabrina me rassure. On passe au Zantac. À 9 h 35, Lisa démarre le premier écoulement de Taxatère, 50 ml pendant 20 minutes. Je suis calme, somnolente, les doigts dans la glace.

Je tente de noter les fréquences, le rtyhme et les doses, mais mon esprit est brouillé et je préfère m’abandonner aux mains expertes. Je comprends que l’on y va prudemment. Petite alerte au dos, mais la pharmacienne opte pour un traitement plus lent plutôt que d’ajouter d’autres médications. Un court arrêt du traitement vers 10 h 25 pour permettre au mal de s’atténuer et on reprend à petites doses 50 ml/h pendant 20 minutes.

J’ai très froid et le ventre douloureux. À peine dit, on me couvre d’un drap préchauffé.

10 h 53, on opte pour 100 ml/h pendant 20 minutes, puis 200 ml/h. Mini-repas de fruits et noix et à 11 h 35 on entreprend le dernier tour à 400 ml/h. Je suis bien.

À ma droite, ma voisine confie qu’elle en est à son troisième cancer. Que dire? Comment fait-on pour retrouver la force de reprendre le combat? L’espoir.

Un récent reportage présenté à Découverte traitait justement de ce traitement expérimenté sur les humains. Dans ma tête, je calculais le temps de rémission : 5 ans, plus l’évolution de la recherche sur humain : 6 -7 ans, et les possibilité d’une récidive pour aboutir finalement à une vision optimiste d’apprendre que ce type de soin sera sans doute à point si jamais je subissais une nouvelle attaque d'ici 10 ans.

Je quitte l’hôpital  vers 13 h 15. Épuisée. Prochaine séance inscrite le 8 mai.  Sous l’effet de la cortisone, je sais que demain me donnera l’illusion d’être bien.


***

jeudi 19 avril 2012

Crâne nu devant les enfants

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

Le nouveau rythme de médication porte fruit. Je retrouve le sommeil et l'énergie du matin. Matinée douce avec beaucoup de posologie 55 (des câlins). 

Le gruau pour déjeuner, un velouté de légumes verts pour midi. Quelques tâches ménagères pour l'exercice et je déclare forfait : fatigue déjà et douleur au dos.

13 avril vendredi

Jour 15 après
Mes petits annoncent leur visite, curieux de la nouvelle coiffure de Mamieke. Élika, 4 ans, Victor 2 ans et 11 mois réagissent différemment. Ils savent que je suis malade et que le cancer a fait tomber mes cheveux. Mon petit Victor m'affronte sans détour. Il soulève ma casquette d'un geste rapide:

- Oh! wow!, fait-il me recoiffant aussitôt et nous déconcerte en disant : fromage!

Blottie dans les bras de son Papili, Élika refuse de me regarder. Je tente de l'apprivoiser.

- Tu sais ma chérie que je porte ma belle casquette Chicoutimi. Mais j'aimerais voir avec toi si on peut trouver d'autres jolis chapeaux et foulards. Et pour cela j'aimerais que tu m'aides.

Sans mot dire ni me regarder, elle me prend par la main et m'entraîne dans la salle de bain. Elle sait où se trouve chapeaux et foulards. Alors elle me fait front, me dévisage, retire mon couvre-chef. Je sens un grand soupir de courage sortir de sa poitrine. Elle prend conscience de la maladie. Elle en évalue la trace et vient se coller tout contre moi comme pour m'insuffler tout son courage. Puis nous nous amusons à trouver le plus joli couvre chef. Les chapeaux l'emportent sur les foulards et me voilà parée du plus ravissant sourire d'enfant. J'ignore qui de nous deux en sort la plus heureuse.


***
14 avril samedi

Jour 16 après. Grande soirée en perspective : spectacle annuel de danse de l'école des Farandoles. J'économise mes forces pour y assister. Un peu anxieuse de me retrouver en public. Pour Élika, l'essentiel est la présence de sa famille. Pour l'amuser, je lui dis :

-Tu diras à Louis Wauthier (son professeur qu'elle adore), qu'il a une jumelle dans la salle.

Elle s'y prépare, l’œil malicieux de le surprendre par cette nouvelle. On en rira encore le lendemain, lors du repas festif  de pizza maison. Cette fois, c'est moi qui a le privilège de m'asseoir près de ma petite princesse, détrônant le Papili après 4 ans de règne ininterrompu. Dans ce rapprochement qui se veut protecteur, je pressens l'étonnante capacité d"empathie de ma petite-fille. C'est bon se ressentir la vie!

***
16 avril , lundi

Jour 18 après
La seconde séance de chimiothérapie doit avoir lieu le mardi. Pour éviter un déplacement inutile, Karine m'a suggéré de faire la prise de sang la veille. 

Prise de poids (perte de quelques kilos) et prélèvement sanguin : astal, bilt, crea. Le but est d'évaluer le taux de globules blancs, rouges et plaquettes.

Les complications qui ont suivis la première séance incitent la prudence. Contrairement au programme prévu, je rencontre mon oncologue mardi  afin de réévaluer le traitement. Rendez-vous mardi 14 h. 

La salle d'attente est très occupée. Regard intense échangé entre deux personnes qui croient se reconnaître. Effectivement. Une dame de mots, avec qui j'ai partagé des soirées littéraires intéressantes. Elle a eu son diagnostic en 2011. Sœur de combat où il y a similitude et différence. 

13 h, rencontre avec Jean-Luc Houde. Il écoute bien. Il entend bien. J'aime son approche, son intérêt et son humour. Je le sens présent, confiant. Le traitement  CT (Taxotère- Cyclos) est maintenu, mais il sera donné le lendemain, avec précaution. La durée sera plus longue afin que le corps puisse absorber la dose en douceur.

***








mardi 17 avril 2012

Tondre cheveux

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

12 avril jeudi


Jour 14 après. Bonne nuit. Douleur contrôlée.
7 h 30 : Ms-1r 2,5 mg.
Les cheveux tombent par poignées. Je m'impose une séance de photos. C'est affreux. Je m'y étais préparée, décidée de tondre plutôt que de camoufler. Je coiffe ma casquette gravée Chicoutimi, cadeau de Réjean qui sait combien j'aime ce nom de ville.


 Duo des casquettes
Casquette unique offerte 31 décembre 2010 alors que MON cher Hugues, fils de France adopté par la famille arborait sa propre casquette des Saguenéens de Chicoutimi. Un beau souvenir.
© Photo Alix Forgeot

13h : mon fils arrive avec tout l'équipement nécessaire à la tonde. Il est précis, calme et j'écoute le ronron de l'instrument qui me dépouille. Jusqu'en 1985 ma longue chevelure châtain claire a été la parure de mon identité.

 Christiane Laforge - 1979
Lors du lancement de Au delà du paraître
©  Photo archives Le Quotidien


Puis ce fut la coupe mi-longue et bouclée. Et, depuis quelques années les séances de teinture cachant les prémices d'un hiver auquel nul n'échappe.

 Christiane Laforge, Au lancement de Cœur innombrable - 1999
© Photo Sylvain Dufour - Le Quotidien

J'étais mentalement prête à cette perte des cheveux. Mais le choc a quand même été le sentiment d'un étape importante et troublante à franchir.

Coco à apprivoiser
© Photo Réjean Lelcerc 

 Et pas seulement pour moi. 
- Ça va mon cœur. Je t'en demande beaucoup.
- J'ai si souvent failli te perdre, que tes cheveux, c'est juste ta coupe de combat.
 
Peu de temps après je lis ces mots sur la page Facebook d'Ariel :


Miroir me renvoie mon nouveau visage. Oh! non madame, pas de larmes. Que sont des cheveux perdus, le drame de tant d'hommes qu'ils en finissent par être beaux? Et il y a la casquette:

Casquette unique qui a bien du succès dans les salles de patience

***




jeudi 12 avril 2012

Les jours d'après.

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

28 mars mercredi

Jour J. première séance de chimiothérapie; racontée ici.

29 mars jeudi

Jour 1 après. La couleur des jours change. Le lendemain de ma première chimiothérapie a été calme, voire paresseux. 

-  Soyez prudente. Vous venez de parcourir un marathon. Votre corps est fatigué. Vous devrez-vous ménager, me recommande Karine.

Quelques tâches ménagères, du repos, quelques jeux pour les neurones et, somme toute, une assez bonne forme. Un sourire pointe à l’horizon quand je m’endors.

30 mars vendredi

Jour 2 après. Le surlendemain m’étonne par ses contrastes. Une belle énergie m’anime et, avec mon manque de sagesse coutumier, j’entreprends lavage, rangement et de longues heures sur l’ordinateur.

-    Besoin de médicaments? demande mon Réjean.

-   Oui, une médication régulière aux 55 minutes : un câlin.

-   Ça je peux, dit-il joignant le geste à la parole.

55 minutes plus tard, sonne la minuterie. Je questionne sur la raison :

- C’est l’heure du médicament 55, rétorque-t-il en m’enveloppant de ses bras.

Je ris… et prends une bonne dose.


La mi-journée se passe bien. Je ressens quelques nausées (mais pas assez pour prendre le prochlorpérazine . Des picotements dans la bouche, que je soulage avec du bicarbonate de soude diluée dans l’eau, augurent des futurs problèmes d’ulcère.

Mais plus la journée avance, plus le corps devient douloureux. Sensation d’avoir mal aux os. Des élancements sporadiques intenses ciblant le dos, les jambes, la nuque. Je me résigne à prendre des tylénols en gélules 500 mg à effet rapide. Sans grand soulagement. Malgré tout, après avoir mis en ligne le récit du ma première séance de chimio, je tiens absolument à aller marcher le long du fjord. Ne disent-ils pas de ne pas négliger l’exercice physique?

Karine, mon infirmière pivot, prend de mes nouvelles en fin d’après-midi. Je lui dis que cela va somme toute très bien. Je pressens un soupçon d’étonnement. Elle insiste : ne pas hésiter à lui téléphoner si j’ai des soucis.

Au cours de la journée, j’aurai absorbé six acétaminophènes sans succès véritable. Je les digère mal. Il est minuit. Je ressens une extrême fatigue, anticipe le plaisir de m’endormir. Impossible.

Commence ma première nuit d’insomnie. Je regarde changer les heures sur le cadran. La douleur amplifie mon mal-être. Il est 3 h et je voudrais tellement dormir. Je prends 5mg de morphine et obtient un léger, très léger soulagement. Pas assez cependant. À 4 h 44, je prends un second capelet de MS-IR 5mg, cette fois avec succès après une quinzaine de minutes. Le sommeil s’empare enfin de moi et je reprendrai conscience la tête pleine d'une atroce douleur : le dos se casse en deux et les jambes hurleraient si possible de desserrer l'étau. Il n'est que 7 h 23.

31 mars samedi

Jour 3 après. À nuit infernale journée infernale. Je me sens cassée de partout. La douleur prend toute la place.

Pas d'appétit. Je m'oblige un déjeuner liquide (nestlé vanille) moins pénible à avaler. Ma gorge se resserre à chaque gorgée. Ce simple avalement m'épuise.

10 h 41 : Ms-IR 5mg dans l’espoir que cela soit tolérable.

Nausées, bouche pâteuse, des plaies au palais, aux gencives, rendent toute absorption douloureuse. Je suis sans énergie et sans patience. Je tente de surmonter le malaise, de me nourrir au mieux (fruit, légumes, protéines et beaucoup d’eau). Rien ne passe, mais je me contrains malgré tout.. Hélas, la constipation s’installe et cela me déplaît au plus haut point. J'ai toujours très mal réagi à ce blocage (maux de tête, aphtes, perte d'appétit, douleur au ventre, perte d'énergie). Je me sens le corps si gonflé que je supporte mal tout vêtement. Le délais de trois jours requis est inadéquat dans mon cas. Les faits le démontreront.

15 h 41 MS-IR 5 mg
17 h 50 Prohlorpérazine. Soulagement bénin.

Pas de concentration, pas de lecture (pour moi, il n'y a pire privation que cela), à peine quelques lignes d’écriture. Même pas un jeu. Je me force à prendre un repas complet comme on prend un médicament. Chaque bouchée est insupportable.  Le plaisir est absent. Journée perdue.

Je hais les fins de semaine. On devient orphelin, livré à nous mêmes. Info santé ne peut faire de diagnostic ni d'ordonnance. On se retrouve finalement aux urgences, ce que je veux éviter à tout prix.

1er avril dimanche

Jour 4 après.

Sommeil sporadique et bref. Je cumule les cauchemars. Je me sens menacée. J'avalerais bien tout ce qui me tombe sous la main pour que cela cesse. J'entends le rythme régulier de la respiration de mon amoureux. Il me fait confiance. Je ne peux faire moins. Frisson d'effroi à la pensée des personnes seules!

0 h 30 :  Ms-IR 5mg
6 h 30 : Ms-IR 5mg Douleur moins violente, mais omniprésente. Les exercices aident peu. Une courte marche n’aura servi qu’à mesurer l’absence d’équilibre et d’énergie. Je râle sur cette autre journée perdue.

-    Non maman, corrige Ariel. Ton travail c’est de te reposer. Ton travail c’est de laisser ton corps faire ce qu’il doit contre le cancer.

-    Ça fait mal. Les os. les jambes, la colonne, le ventre. Comme si une main me tordait à l'intérieur. Pourquoi on ne nous endort pas quelques jours? Je ne parviens plus à faire quoique ce soit. Je ne sais plus manger tellement la bouche est douloureuse. Je voudrais dormir. Je voudrais ne plus rien ressentir.


-   ...........   (Que peut-il dire? Que peuvent-ils dire?)


-    C’est pas vivant. Vivre ainsi, c’est pas vivant. 


 Je suis en colère.


Mon fils utilise le silence. Mon amoureux prépare les plats de fruits et les repas. Je les observe. Ils sont complices et partagent la même impuissance. Ils ne tenteront pas de me raisonner. Ils ont la sagesse de se taire.

10 h 00 : tylenol gel 500 mg
14 h 17 : tylenol gel 500 mg. En vain.

Je m'efforce d'aller marcher, espérant naïvement que l'air allégera le mal de tête. En vain.

18 h 20 tylenol gel 500 mg
21 h 20 J'associe tylenol gel 500 mg (malgré le mal d'estomac)  et Teva bromazepan.

J’écourte la soirée, espérant trouver l’oubli dans le sommeil. Je dormirai comme un bébé… qui ne fait pas ses nuits. Sommeil une heure, réveil une heure. Le temps s’écoule. J’entends battre mon cœur. Le matelas est une caisse de résonance. Respiration-expiration.

Du calme! m'ordonne ce qui me reste de raison.

01 h 00 Je risque MS-IR 5 mg.

2 avril lundi


Jour 4 après. Nuit mouvementée. Alternances douleur-sommeil. Un tylenol 500 mg à minuit. Je résiste jusqu’à 6 h 56 pour le prochain. J'ai un foie fragile et la phobie des produits chimiques pouvant le détruire plus qu'il ne l'est. J'ai un estomac affaibli par un ulcère lors de mes 24 ans, une méga hémorragie interne à laquelle j'ai survécu en 2002 et 11 ligatures qui me font redouter de nouvelles varices stomacales. Voilà pourquoi je résiste tant à prendre des antis douleurs.

08 h 00 : Prochlorperazine contre nausée.
10 h 00 : J’annule mon rendez-vous à la Société canadienne du cancer pour le service « Belle et bien dans sa peau ». Pas de force, peu d’équilibre. Une tête à faire peur. On est lundi.
10 h 00 : je tente de rejoindre Karine.
10 h 30 : Mon ange est au bout du fil : Karine. Je raconte. Elle écoute. Elle rassure. Je me rassure. (??).

-   Cela va aller mieux affirme-t-elle. Plus on s’éloigne du traitement, mieux cela va aller.

Elle confirme que j’ai fait le bon choix en optant pour la morphine. Les tylenols ne me réussissent pas. Le MS-IR 5mg me convient. Elle me suggère de donner priorité à soulager la douleur. D'être plus régulière dans la prise des doses. Oublier mon foie. Le mal me fait plus de tort que la chimie. Ce pic de mal-être est « normal ». Mouais!! 

Pour les intestins, elle recommande du senokot, avec prudence. On se reparlera dans deux jours si le problème persiste. Je n'ose penser que tout va aller pire. J'évite même de penser aux prochaines semaines. Je ne veux pas imaginer qu’il y aura de nouveaux traitements et qu'il faudra vivre une nouvelle traversée d'enfer.

10 h 37 : Senokot 2x contre constipation qui s'accentue même si je me noie à boire des litres d'eau.
11 h 51 : violente douleur à l'estomac.
13 h 00 : MS-IR 5 mg
16 h 45 : MS-IR 5 mg
19 h 46 : Senokot 2x
21 h 43 : Ms-IR 5 mg
23 h 30 : Ms-Ir 2,5 mg

Je passe du lit au fauteuil, franchissant les 13 marches voûtée comme une vieillarde aux pas usés.

Nuit-réveil en alternance. Le ventre est dur et gonflé. Cela accapare toute ma pensée.  Une force fait pression sur mes chevilles. Elles vont casser, me dis-je, à moins que ma colonne les devance.

3 avril mardi

Jour 5 après. Aucun compromis possible : pas question de tolérer une journée de plus avec ce ventre dur et totalement bloqué. Je suis prête pour les décisions extrêmes.

05 h 22 : Sénokot 2x
05 h 26 :Ms-1R 5 mg
08 h 15 : orgie de pruneaux
10 h 00 : Karine inquiète demande des nouvelles. Réjean explique l'intolérable qui perdure depuis vendredi soir.
10 h 30 : Karine annonce faire ses recherches et nous rappellera. Dans la possibilité d'une possible occlusion intestinale, elle joue de prudence. Même si cela peut n'être qu'un simple iléus paralytique ou pseudo-obstruction intestinale, en route vers l'urgence où ils sont prévenus, confirme-elle.

Urgence

Lorsque je franchis les portes de l'urgence, je suis attendue. Efficace Karine! Je présente mon livret bleu, sorte de passe-port pour chambre isolée réservée aux personnes en chimiothérapie. Le temps de décrire mes symptômes, de prendre tension et température que je suis véhiculée à travers les corridors.

Installée sur une civière, portes closes, je ne verrai le médecin que cinq heures plus tard. J'ai compris la leçon : apporter de l'eau en quantité car les infirmières ne vous donneront rien sans avis du médecin. Ne pas oublier vos médicaments et une liste à jour de ce que vous prenez sur ordonnance ou en automédication. Vous pouvez vous tordre de douleur, rien ne vous sera donné, ni pour réhydrater, ni pour soulager tant que le médecin ne vous a pas examinée. Ainsi le veut le système.

L'urgence est bondée et deux appels codés provoquent un  brans-bas-de combat. Code bleu (malaise cardiaque) et code blanc (violence). Moi, je suis stable, non prioritaire, sauf que le malaise évolue. Réjean revient d'une brève absence et me retrouve agrippée aux barreaux. Je cumule les étourdissements et une douleur fulgurante me vrille le ventre. Je l'entends interpeller l'infirmière :

- SVP, elle semble aller vraiment mal.
- Je ne peux rien faire tant que je n'aurai pas trouvé un médecin.
- Mais ne peut-on l'aider?
- Ben! est-ce qu'elle respire?

J'ai l'impression que c'est lui qui ne respire plus. L'infirmière concède finalement à venir jeter un coup d’œil sur le bord de la porte.

- Je vais tenter de trouver un médecin, mais nous avons eu des urgences.

Je parviens à maîtriser la douleur. Je tente d'expliquer :

-  Vous savez, il m'a vue me tordre et il se sent impuissant,
- Madame, je le comprends... il vous aime. Son regard est intense, comme si cette vérité la touchait personnellement. Je vais tout faire pour vous trouver un médecin.

16 h 00 : Le Dr Louis Gagnon se présente. Esprit vif, attentif. Il croit m'avoir déjà vue. J'en doute. Je m'en souviendrais. Mais il a pris le temps de lire mon dossier et, l'examen terminé, se révèle très sûr de son diagnostic. Le pire est évité.

- Je vous rassure, ce n'est pas une occlusion. Mais c'était sage de s'en assurer. Je sais que cela a été long, mais on ne peut se permettre d'erreur.

Prescription :
300 PMS-lactulose (667 mg), 30 ml une fois par jour au coucher. Il s'agit d'un émollient, comme pour le colace (docusate sodique).  Utile, efficace, mais pas dans ce cas précis qui m'affecte. Je devrais le prendre en prévention sachant que la morphine constipe. Cercle vicieux!
 
- En priorité ce soir : lavement fleet. Lequel prendra moins de dix minutes avant d'agir. (Oh! le bonheur!)... de courte durée. L'hygiène demeure essentielle. La douche précède les soins. Des serviettes humides pour peau de bébé sont très utiles aussi. Mon infirmier est étrangement silencieux. Les serviettes sont imbibées de sang. Il en faudra plusieurs avant de pouvoir enfin traiter les plaies avec du clotrimaderm (1%), jour après jour.


- Mais tu dois avoir terriblement mal?
- Oui, mais ça je le supporte. Il y a pire!

Ce pire durera quelques jours. L'efficacité du lavement me donne l'impression de vide où les intestins se collent les uns contre les autres. Je n' ai pas de mots pour décrire à quel point cela fait mal. Alors je tente de remplir le vide : lait, jello, potage.... et patience. Mes heures tournent à vide. Le plaisir est mort.

Je sais, je suis sans pudeur. Je n'en suis plus là. Ou je dis les choses ou j'habille mes mots en rose pour rendre ce mal-être plus « sexy » comme disait quelqu'un pour me consoler.

Je tiens à rendre hommage à cette génération de médecins, pourtant débordés, qui prennent le temps de lire nos dossiers et qui nous abordent avec empathie. Ils nous écoutent, ils nous entendent et, du moins en ce que je vois, ils nous croient. Je n'oublierai jamais cette expérience en 2005, suite à une opération au ventre où le médecin (l'exceptionnel Stanley Volent)  prenait la peine de noter ses directives dans le dossier. À l'infirmière qui semblait ignorer ces directives et répétait les mêmes erreurs, je lui signale :

- Le Dr Volent a précisé dans le dossier les modifications à apporter.
- Croyez-vous que j'ai le temps de lire votre dossier?
- Alors à quoi sert-il?

Plus tard, mon fougueux garde du corps n'a pas toléré cette attitude. Résultat : j'ai été changée de département et me suis retrouvée dans un monde de délicatesse, avec soins adéquats où l'infirmer chef scandalisé n'en revenait pas que personne n'ait protégé ma peau mise à vif par les changements de pansement successifs alors qu'il existe des bandes protectrices pour éviter d'écorcher la peau

20 h 00 : épuisée, j 'absorbe mes 30ml de lactulose.
20 h 29 : MS-IR 2,5 mg
20 h 30 : dodo
22 h 00 : MS-IR 2,5 mg
03 h 00 : MS-IR 5 mg

Trop de douleur pour dormir.

4 avril mercredi

Jour 6 après : douleur 6/10. Chaque mouvement provoque un vertige. Je me sens terriblement faible.
Mais je dois faire l'effort de me nourrir si peu soit-il.

J'utilise des coussins chauffants pour soulager le ventre.  Des plaies apparaissent sur mon poignet droit, rivalisant de rouge avec les fesses qui me vaudront un changement de lit. Réjean n'est que douceur, mais son regard me désarme. Je me veux encore plus forte pour lui. Moi, j'ai de la douleur. Lui, il a de la souffrance.

11 h 07 : prochlorperazine
12 h 45 : jello (aux framboises. Mon préféré)
13 h 00 : MS-IR 2,5 ng. Lit. (et toujours pas la capacité de lire). Pour les plus curieux, je parviens à refaire le parcours de ces jours infernaux grâce au carnet de note que j'ai tenu à portée de doigts. Un heure et un seul mot pour résumer un ensemble de faits.

14 h 00 : verre de nestlé ( 300 calories)
15 h 12 : douleur 5/10. Chouette une moyenne encourageante.
16 h 16 : mal de tête 6/10. Zut! Je décide de prendre 2 novo-gésic.
16 h 46 : étourdissement. Pauvre Réjean, tu vas devoir m'assister pour la douche!

19 h 00 : un premier repas complet : poisson, purée, carottes. Jello.

Le prix à payer : de fortes douleurs au ventre. J'aurais dû être plus prudente Un mal de gorge surprenant et de nouvelles pression dans les os. Je réclame un massage. Réjean propose du Voltaren . Entre la chaleur de ses mains et le produit, j'ignore ce qui réussit. Je m'étonne que nous n'y ayons pas pensé plus tôt. Cela me calme.

20 45 : novo-gésic 1x
22 h 30 : Ms-1R 2,5 mg
02 h 46 : Ms-1R 5 Mg

5 avril jeudi

Jour 7 après.
Fièvre : 38,2
Appel de Frédéric, stagiaire auprès de Karine. J'aime sa voix. On fait un bilan. Promet de me téléphoner. J'en suis à ne plus savoir vers quel produit me tourner pour trouver un peu de répit.

1- maintenir un rythme de 4 heures entre deux morphines.
2- Le soir, ajouter un Teva -promazepan pour aider le sommeil. Un médicament que j'utilise depuis 10 ans à raison de 1 capelet 5 mg aux trois ou quatre semaines.

09 h 30   : MS-1R 5 mg
13 h 30   : MS-1R 5 mg
17 h 30   : MS-1R 5 mg
21 h 30   : MS-1R 5 mg
21 h 30 Teva-Bromazepan
Massage voltaren
fièvre 28,2
Dodo

6 avril vendredi

Jour 8 après

05 h 30   : MS-1R 5 mg
09 h 30   : MS-1R 5 mg

Massage au voltaren.
10 h 30 : fièvre 38,5
11 h 25 : fièvre 38,1
13 h 30 : MS-1R 5 mg
14 h 12 : fièvre 38,3
16 h 39 : fièvre 39,1

17h 00 : lavement 2, car pas question de passer plus de 36 heures.
On baigne la peau en sang. Soins et dodo.

19 h 58 : fièvre 38
21 h 19 : fièvre 37,9

21 h 26 : duo bromazépan et morphine.

7 avril samedi


Jour 9 après
01 h 30 : MS-1R 5 mg
07 h 30 : MS-1R 5 mg

Le corps réagit bien à tout. Seule la peau demeure fragile. Mon infirmier demeure d'une délicatesse touchante.

Déjeuner au jello et au substitut nestlé. Seuls aliments que la bouche tolère. Les ulcères prolifèrent.

10 h 10 : fièvre 37,8

La journée est pénible. Incapable de concentration

8 avril dimanche


 Jour 10 après
 04 h 40 : Ms-1R 5 mg
 08 h 46 : Ms-1R 5 mg

10 h 00 : premier café depuis des jours. Humm!
10 h 30 : déjeuner au gruau et je trouve cela bon.
11 h 00 : JE téléphone. La vie revient.
12 h 30 : crème vanille impériale que je fais venir de Belgique. Pur délice!

12 h 46 : Ms-1R 5 mg
16 h 19 : Ms-1R 5 mg

19 h 19 : nausées. Zut! je prends du prochrlozéparine
20 h 15 : Ms-1R 5 mg

Massage
00 h 00 duo Ms-1R 5 mg + Bromazépan

9 avril lundi

Jour 11 après

Je DORS pendant 14 h 05 sans réveil.
Réjean est étendu près de moi et caresse mon épaule tout en parlant:

- Chut. Ne crains rien. Je suis là. Tu dors depuis plus de 14 heures. Il y a du soleil.

Les soins suivent en cascade : toilette, massage, repas de gruau.

16 h 14 téléphone d'amies étonnées que ce soit moi qui réponde. Même Réjean ose aller au ravitaillement. Mais non, je ne suis pas seule. Une simple volée de marches séparent l'appartement de mon fils du mien.

18 h 30 : au menu, velouté de légumes verts.
20h 00 : Ms-1R 5 mg.
Soirée télé, surtout pour l'entrevue avec Ziegler. J'espère pouvoir me procurer son livre.
24 h 00 : soins et dodo.


10 avril mardi

Jour 12 après
Nuit ce 6 h 50 sans éveil.

L'énergie revient. Mes journées sont des routines de 4 heures. Médicaments, massage, soins, repas légers. Je maintiens le rythme des médicaments encore un jour. Le plus pénible est l'érythème fessier. 
 
Je profite de mes nouvelles forces pour terminer l'analyse de textes journalistiques, comme membre d'un juré. Deux textes se distinguent. Pour l'ensemble je trouve que nos journalistes manquent de curiosité. La recherche n'est pas leur force, leur culture générale non plus. Quoi? me voilà en train de discuter travail? Cela redevient vivant!

J'abuse me reproche mon garde du corps.
20 h 18 : grande fatigue, mal de tête. Douche. Antifongique sur plaies vives et sanglantes. Massage jambes et dos avec Voltaren.
20 h 28 : morphine
21 h 58 : bromazepan et dodo pendant 12 heures.

11 avril mercredi

Jour 13 après
En bonne forme
massage avec voltaren.
Réduction de la posologie à 2,5 mg de morphine à partir de 13 h.

14 h 10 repas croissant, café.
Je bois d'énorme quantité d'eau. Plusieurs 200 ml de gastrolyte.

Karine propose de consulter la pharmacienne concernant le magic mouth et le Pénaten pour bébé. On opte pour de Clotrimaderm et l'oxyde de zinc.



La perte des cheveux est amorcée. Rats de cale fuyant le navire.

***