En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


dimanche 15 janvier 2012

La veille



Me voici le jour avant. Opération prévue demain, 16 janvier. Ma valise est prête. Christiane s'en va t'en guerre.

Mes enfants ont préparé le repas du soir. Chaud de tendresse. Mes petits-enfants se croyaient à la fête. C'en était une en quelque sorte. Un beau moment!

Et voilà que vient le temps des bisous. Les petits m'ont fait des câlins. Les bisous rituels précédant l'heure douce où ils vont aller dormir. J'ai senti ma gorge se nouer. Mais quand mon grand garçon m'a prise dans ses bras, j'ai subi l'assaut d'une vague de larmes sur le bord de mes paupières. J'avais envie que ses bras me gardent, qu'ils soient une forteresse contre la peur qui malgré moi s'insinue à l'orée de cette nuit. L'orgueil laforgien a érigé une digue contre la marée montante et je me suis esquivée sous prétexte de ranger la cuisine. Les larmes ont reflué.

Mon amoureux n'a pas été dupe. Il a l'intelligence du cœur. Il sait être là sans s'imposer. 

Le 31 octobre dernier, j'étais sans inquiétude en passant l'examen de routine. Le 17 novembre, je demeurais stoïque devant le rappel du centre de radiologie pour m'inviter à reprendre une mammographie du sein gauche. J'avais vécu cela en 2004 et affronté une mini masse de 2 millimètres opérée le 16 décembre qui m'a classée dans la catégorie à risque. L'ajout d'une échographie à l'examen du 21 novembre n'a même pas ébranlé ma conviction que rien de grave ne pouvait m'arriver. J'avais déjà bien assez donné à ce chapitre. Mais le Dr Lord avait le front soucieux. Elle a guidé mes doigts pour m'aider à sentir l'intrus, à peine perceptible qui avait échappé aux autos examens répétitifs des deux dernières années. Lorsque je la quitte, commence l'attente pour une biopsie.

Difficile de freiner les galops d'une anxiété croissante, me disant que chaque jour devient un jour de trop. J'ai l'impression que cela fait une semaine, alors que le 24 novembre, on me fixe le rendez-vous crucial pour le 30 novembre. Échographie et biopsie. Le Dr Lord est attentive, sensible. Sollicite mes questions. Explique chaque intervention. Je me sens comprise et respectée. Les résultats de la biopsie peuvent prendre dix jours. Je me dis que chacun de ces dix jours est un jour de plus où le crabe conquiert un peu plus de terrain. Nous ne parlons plus de millimètres, mais de centimètres. Au moins deux. 

Le 8 décembre, on me convoque pour un rendez-vous avec mon chirurgien le 16 décembre. Les résultats seront-ils enfin arrivés? Je plonge dans la grande mer d'Internet où les bonnes et mauvaises informations pullulent. Je trouve quelques documents forts bien faits qui aident ma raison à aborder les faits avec calme. Je lis des témoignages. Ce sont les survivantes qui m'intéressent. Mais les histoires malheureuses se glissent dans le parcours. Il est temps de prendre du recul, d'affronter l'attente en me disant que je ne peux rien changer à ce qui est. Je ne doute pas un instant que j'ai bien l'intention de tout faire et de tout demander pour sortir vivante de ce champ de bataille.

Le 13 décembre je reçois l'appel de Gaétan, mon médecin depuis 29 ans. Il a eu les résultats. Tous se taisent dans la pièce, tandis que j'écoute à la fois le verdict et les paroles d'amitié.

Je voulais te dire que je sais et que je suis là pour toi si tu as besoin de moi. Tu es entre bonnes mains. Aie confiance.

Je suis debout, tremblante, à la fois soulagée et déçue. J'espérais encore que la biopsie écarterait le pire. C'est le contraire. Cette fois, la bête est envahissante. Je me redresse et annonce :

Bonne nouvelle, les résultats sont arrivés. On saura donc ce qu'il en est vraiment le 16 décembre. 

Ce rendez-vous ouvre la porte à l'optimisme. Il s'agit d'un cancer invasif au stade 2, mesurant 2,5 cm. J'assure que je ferai tout pour le combattre. Justement, confirme le chirurgien, il a bien l'intention d'en faire autant. J'exprime ma crainte devant l'attente avant d'agir. Il m'assure que je serai opérée en janvier. On se quitte sur le même objectif : je veux vivre.

Je suis classée prioritaire. Dans ma tête une idée surgit. Prioritaire parce que je suis en danger?  Prioritaire parce que cela va de soi que le temps est l'allié de l'ennemi? Et me voilà qui culbute mentalement dans la peur que quelque chose arrive qui retarde l'opération. Un rhume, une grippe... En pleine festivités de Noël et du Jour de l'An vais-je parvenir à me prémunir contre tous les virus des autres?

Le 22 décembre scanner des os. Les visages sont impassibles. Impossibles de deviner ce qu'ils voient. 

Le 4 janvier rencontre préopératoire et autres examens : radiologie, électrocardiogramme, prise de sang.

Le 11 janvier, échographie : foie, estomac, vésicules, reins, etc. Le Dr Rousseau pose des questions me parlent. Elle est à l'écoute et je la quitte presque rassurée sur ma crainte d'un envahissement précoce.

Mon futur oncologue était prêt à me rencontrer le 17 janvier. Le rendez-vous devra être reporté puisque je serai opérée le 16 et qu'il faudra, encore une fois, attendre au moins deux semaines avant les résultats de la masse prélevée.

Il est 21h58, dimanche 15 janvier. Les statisticiens prévoyaient que 23 400 femmes devaient recevoir un diagnostic du cancer du sein en 2011. J'ai 23 399 compagnes de guerre. Je pense à elle, car pour moi elle ne sont pas une statistique.

Je n'éprouve ni colère ni sentiment d'injustice. C'est la vie. Rien de plus, rien de moins. Dans une logique implacable mon fils, avec cet humour tendre dont il a le secret, m'a dit:

– Si tu étais morte en 2002 comme ton état le laissait croire tu n'aurais pas un cancer aujourd'hui.

Donc, si j'ai un cancer en 2012 c'est parce que je suis vivante. Ce qu'il faut maintenant, c'est de prendre les bons moyens pour continuer de l'être.

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3 commentaires:

  1. Comment te dire, à toi qui écris si bien... Juste que je suis touchée par ton billet, par ce que tu vis, et je ne doute pas que tu remporteras cette guerre, armée comme tu l'es, avec ceux que tu aimes et l'équipe médicale.
    Par mon travail il m'arrive assez régulièrement de voir des gens qui vivent la même chose, et je leur dis que c'est un très mauvais chapitre du grand livre de la vie, mais le livre continue... Et tu sais si bien écrire...
    Je t'embrasse
    Ursule

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  2. Monique Tremblay, 16 janvier 2012
    je viens d'apprendre l'épreuve que vous vivez présentement. Je suis persuadée qu'avec votre attitude positive vous gagnerez votre bataille. Vous êtes capable d'en parler publiquement alors que d'autres personnes se terrent. Ce choix est personnel. J'apprécie encore tous les bons conseils que j'ai reçus et que je recevrai encore.

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