En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


jeudi 26 janvier 2012

Aujourd'hui 26 janvier

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Aujourd’hui

Le 27 décembre 2004, soit 11 jours après une opération du sein droit, je retournais au travail. Aujourd’hui, le 26 janvier 2012, soit 10 jours après une opération au sein gauche, ferais-je la même chose si je n’avais pas choisi de quitter mon emploi pour avoir – enfin! – le temps de me consacrer à tous mes projets?

Ce n’est qu’un exemple d’une des questions qui tourbillonnent dans ma tête. Elles sont nombreuses, disparates, rationnelles souvent, émotives parfois.

Ce n’est pas la première attaque que j’affronte. Les coups de gueule de la vie, je connais depuis l’enfance.  À partir de 1995, certains diraient que c’est du harcèlement. Cet automne-là, le corps paralysé côté gauche du pied à l’épaule, j’ai reconquis le premier pas comme une victoire sur toutes les adversités futures. Puis, il y a eu 1996, 1999, et le printemps rouge de 2002 où la défaite annoncée n’a pas eu lieu, me laissant tout de même dépouillée des acquis de toute une vie que j’ai dû reconstruire, chantant pour moi les mots de Cabrel :


Vous pouvez détruire

Tout ce qu'il vous plaira

Elle n'a qu' à ouvrir

L' espace de ses bras

Pour tout reconstruire

Je n’ai pas envie de nommer ni d’entrer dans le détail. Peut-être raconterais-je plus tard ces batailles répétitives et surtout, après 2002, cette longue marche de 28 mois pour retrouver les gestes d’un corps vivant autant que les mots qui sont le sang de l’écrivaine.

Ce qui m’importe c’est de savoir que, contre toute attente, le 24 août 2004 je franchissais, tremblante, les portes de la salle de rédaction pour y reprendre place. Et quelques mois plus tard, ma place.

Ce que je venais de traverser m’avait laissé un sentiment d’invulnérabilité. Tomber, oui, c’était encore possible. Mais toujours je me relèverais.

Octobre 2011

Dix jours après avoir sollicité un rendez-vous pour une mammographie, fidèle à ma routine préventive aux deux ans, je me rends au premier étage de l’hôpital de Chicoutimi. Un examen inconfortable certes, en tout point désagréable et pourtant recommandé. Vivement une alternative accessible, me dis-je, tandis que la technicienne s’excuse avec gentillesse de me faire si mal.

Il faudra attendre encore un peu pour mieux connaître d’autres méthodes, comme la mammographie numérique ou l’IRM que décrit cet intéressant document tout en demeurant attentif à être bien informé, afin d’éviter les fausses croyances contre lesquelles nous prévient le programme québécois de dépistage du cancer.

Novembre 2011

Quand sonne le premier rappel, on hausse les épaules avec toute la désinvolture de celle qui se souvient d’une fausse alarme. C’était en 2005. Suite à une mammographie du 3 octobre, on a détecté un nodule de 6mm au sein gauche. Le 16 décembre 2005, un an jour pour jour après l’opération du sein droit, je me retrouve donc en radiologie pour une échographie. Cet examen écarte toute crainte. Invulnérable disais-je!

Jusqu’au 21 novembre 2011, je suis une femme en plein élan créatif, forte de ses certitudes amoureuse et maternelle qui inscrit la musique dans ses rendez-vous d’hiver. Ce jour-là, je deviens une femme qui confond les heures avec les jours, envahie par l’urgence de passer la biopsie annoncée qui mettra fin au doute et son amie la peur.

Le 24 novembre, à 14h, un appel du centre hospitalier confirme ce rendez-vous pour le 30. Seulement trois jours que j’espère cet appel. Je les ai ressentis comme s’ils avaient duré des semaines. Il est temps que la raison revienne mettre de l’ordre dans cette cacophonie de doute, de peur et d’émotions. Les films d’horreur peuvent oublier les oscars. Mon cinéma intérieur les surpasse.

Une fois le verdict confirmé quel autre choix sinon d’aborder ce qui va suivre comme on va au combat? Le but est de vaincre l’ennemi. Mes médecins seront mes alliés. Leur expérience, la somme de leurs connaissances, la technologie et les médicaments seront leurs armes. Mais que je le veuille ou non, c’est moi qui s’en va-t-en guerre.

Le 16 janvier 2012

L’aube est noire. Dernière douche sur un corps intact. Tous mes sens sont aux aguets. Je capte tout pour me souvenir de cet avant bien tangible, car je sais que dans quelques heures tout sera empreint d’un après inconnu. 

Tout ce que j’ai pu apprendre ces dernières semaines sur ce mal qui me ronge, tout ce que j’ai appris du combat de mes sœurs d'armes et de larmes confirment à quel point l’expérience demeure unique. Mon armure est forte des victoires des autres autant que de la confiance affirmée dans les nombreux témoignages de réconfort que « les miens » ont pris le temps de m’écrire.

Dans l’ascenseur qui grimpe les six étages, une jolie dame blonde s’agrippe à sa petite valise noire. On se sourit. On se devine. On se comprend.

Dans la salle d’attente, les chaises sont presque toutes occupées. Les uns accompagnent les autres. Certains s’enferment dans leurs pensées. D’autres fixent l’écran de la télévision ouvert sur un flot de nouvelles. D’autres bavardent à voix forte sans retenue sur la forme et le contenu. Je m’appuie sur le bras de mon compagnon. Malgré la salle surchauffée on a gardé nos vêtements de ce pays nordique et pourtant c’est la chaleur de son amour que je ressens sur ce bras gauche bientôt condamné à demeurer fragile.

Le temps de s’inscrire que voilà l’appel. J’entends chaque nom avec tristesse. On n’est pas à une remise de trophées. C’est une distribution de lits.

Je suis dans ma bulle. Docile aux directives. L’approche est chaleureuse. Je sais que derrière chaque rideau il y a une personne. Et pourtant on pourrait croire être la favorite tellement il y a de la présence, de l’empathie. Et cela ne se démentira pas dans la salle d’opération où un jeune homme m’a guidée, prêt à me soutenir si je venais à flancher sur mes jambes. 

On m’invite à m’étendre. L’anesthésiste, le Dr Stéphane Fallu, se présente. Il est masqué, mais je l’excuse sans peine. Ses yeux confirment les mots rassurants : « C’est moi qui veillerai sur vous ». Peu après mon chirurgien entre dans mon champ de vision. Un champ que je veux grand pour tout voir. Il s’approche et son regard s’accroche au mien parce qu’il veut que j’entende ses mots. Non, il ne me demande pas comment ça va. Il le sait…  mieux que moi. « Cela va bien aller », affirme-t-il. Et ces mots-là, à cet instant, me font un bien immense. Je m’abandonne confiante.

***

2 commentaires:

  1. Bravo, Christiane. Tu es un exemple. Le courage et la persévérance font partie, à l'évidence, de tes fibres intimes.
    -Andrée Rainville

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  2. Via FB : Chère Christiane, Une lettre sur ton facebook nous apprenait la triste épreuve que tu as à surmonter pendant les quelques jours de ton hospitalisation. Tes mots si tristement sages, nous ont ému aux larmes Albert et moi. Etant la fille d'un grand chêne - artiste courageux, on sentait dans ce message toute la volonté de vaincre cette épreuve. Les encouragements de tes parents et amis ne manquent pas. Nous y ajoutons les nôtres et aussi toutes nos pensées positives. Nous sommes avec toi de tout notre coeur et sommes sûrs que les beaux jours reviendront. Albert Larouche et Hélène Beck

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