Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois, je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.
La
joie
J’investis
toute mon énergie dans ma reconstruction. Chaque habileté reconquise me réjouit
et me stimule à exiger davantage.
-
Tu es rayonnante, me dit mon fils dont le regard plein de tendresse me
semble légèrement admiratif. Après lui, d’autres le diront et j’en aurai grand
plaisir.
Moment
heureux avec Isyëv - 15 septembre 2012
Le
28 juillet, j’ai recommencé à lire, malgré mes yeux larmoyants. Ce fut une
page, puis plusieurs. Au bout d’une semaine je retrouvais ma cadence. À la
mi-septembre, la table du salon était jonchée des livres dévorés. Un peu de
tout : suspense, policier, romans historiques, histoire. J’ai
particulièrement aimé Éva de Lucie Page, L’île sous la mer
d’Isabel Allende, Charleston Sud de Pat Conroy.
Le
7 août, je récupérais Max, ma voiture
délaissée faute de pouvoir conduire. Pour la reprise du volant, je me suis
grisée des 30 kilomètres entre la Maison heureuse et mon Refuge du fjord. Puis
j’ai savouré le simple fait de cette indépendance qui consiste à pouvoir aller
et venir d’un lieu éloigné à un autre sans dépendre de qui que ce soit.
Le
20 août, bien chaussée, bâton de marche
en main, je franchissais mes premiers 500 mètres de côte, sachant aller plus
loin tous les jours suivants. Début septembre je grimpais facilement mon
premier kilomètre. Le 16 du même mois, j’atteignais mes 3,4 kilomètres.
Moins
amusant et cependant significatif de cette reconstruction physique, se sont
ajoutées les tâches ménagères : ménage, lavage, rangement, cuisine.
Tout cela peut
paraître bien anodin. Et pourtant, quand je pense à ces mois péniblement vécus,
entre le lit et le fauteuil, terrassée par la douleur et les effets
insupportables de la chimiothérapie, tout cela c’est vivre.
Je lis beaucoup de témoignages sur différents forums. Des
femmes souffrent, s’inquiètent, se désolent, se révoltent. Il y a de
tout : optimisme, colère, sentiment d’impuissance, résignation,
combativité, courage, impatience. Et cela peut durer longtemps. Les douleurs
subsistent malgré les années. Le cancer du sein laisse des traces
psychologiques et physiques. Alors, pas question de pavoiser. La joie, lors de
chaque étape de ma reconstruction, compense l'inconfort des blessures et la
peur qui rôde quand se manifeste des symptômes inconnus.
La peur
Dans l’orgueil de mes
escalades de plus en plus osées je me suis risqué à grimper le flanc ouest de
ma montagne. Au 122e jour après la chimio, au 67e jour
post radiothérapie et au 37e jour d’Arimidex, la tentation est
grande de démontrer que rien ne m’arrêtera. Quelques heures plus tard, j’avoue
que mon bras gauche me fait mal.
Pourquoi
m’inquiéter? Le repos fera son œuvre.
Certes, il n’y a pas
encore eu de véritables répits à l’inconfort des cicatrices, aux élancements
semblables à des coups de couteau ou, plus tolérables, aux fourmillements
électriques rappelant la radiothérapie.
Mais du 1er
au 09 octobre le sein gauche devient très douloureux, chaud, gonflé et dur.
Douleur permanente et non élancement.
Sensation que l’on tire sur les muscles à vouloir les arracher. Un mal
si fort que les analgésiques ne soulagent pas. Seule la morphine (5 mg aux 6
heures) parvient à la rendre supportable.
Nuit du 8 au 9
octobre : réveillée par une douleur foudroyante. Je vois naître le
jour. Quand je me lève, ma robe de nuit
et mon drap sont humides. Je pense avoir
renversé de l’eau en prenant un analgésique vers 4 h 30 du matin.
Journée du 9, je
constate que mon maillot de corps est humide et taché. Je crois avoir été trop
généreuse avec l’huile d’amande douce et crème aveeno.
Journée du 10
octobre. Pas mis de crème. Chemisette humide. Cette fois, je ne doute plus que
le liquide vienne de mon sein. Je me fais un coussinet de papiers mouchoirs. Très imbibé en peu de
temps par un liquide jaunâtre. En soirée, je perçois franchement l’écoulement
provenant du mamelon. Qu’est-ce encore?
Recherche vaine sur
Internet concernant ce symptôme post radiologie. Sur les mots écoulement mammaire,
105 000 résultats. Si je précise post opération cancer ou post radiologie,
j’atteins 376 000 résultats. Après
des pages et des pages de lectures, je n’ai pas de réponse sur mon cas. Pas
plus sur le site de la Société canadienne du cancer. Pas davantage sur les
forums. Dois-je ou non m’inquiéter? La raison ne peut pas grand-chose contre
l’émotion et la peur que surgisse une nouvelle complication.
Alors que mon
inquiétude grandit, mon sein, lui, à légèrement dégonflé; il est aussi moins douloureux.
Matin du 11 octobre,
je constate que l’écoulement a encore eu lieu dans la nuit. Le sein est
sensible, mais la grande douleur est partie.
Le sein est moins dur et la peau fraîche. Cependant, je choisis quand
même de téléphoner à mon infirmière pivot en oncologie. Il est 9h30, je laisse
un message. Ariane me rappelle vers 10 h. Je décris de qui se passe depuis onze
jours.
Le phénomène n’est
pas habituel,
concède-t-elle. Elle croit plus prudent que je sois examinée par mon médecin
chirurgien ou, à défaut, en clinique externe du cancer du sein, ouverte sans
rendez-vous le mercredi. Elle va trouver une solution promet-elle. Sa
sollicitude me fait du bien. À 10 h 15, Ariane appelle de nouveau. Elle a
réussi à m’obtenir un rendez-vous avec Patrick, pour mardi 16 octobre.
- Mais, d’ici là,
si le sein devient enflé, rouge et chaud, même sans température, allez à
l’urgence, car cela peut être une infection, insiste-t-elle.
On ne badine pas avec
les infections quand il y a cancer du sein. Plusieurs battantes de mon groupe
l’ont appris avec angoisse lors d’épisode de septicémie, ce à quoi j’ai
heureusement échappé.
Cinq jours d’attente.
Bonjour l’angoisse. Si rationnelle que je puisse être, avec un soupçon de
fatalisme (ne pas confondre avec résignation), je ne parviens pas à toujours
occulter cette peur que tout recommence. Plusieurs expériences antérieures,
d’un autre ordre que le cancer mais non moins graves, ont laissé des séquelles,
sorte de chocs post-traumatiques qui me gardent en état d’alerte permanent et
vulnérable à l’angoisse. Je contrôle relativement bien tout cela, mais
impossible de ne pas penser que, oui, certaines femmes sont frappées plus d’une
fois par un cancer. Et si le taux de survie est élevé, il y a tout de même des
victimes.
Bien sûr, en ce
moment je n’imagine pas le pire. Je me limite à la possibilité d’une simple
infection. Laquelle peut guérir par les défenses de mon corps ou sinon,
peut-être avec l’aide de médicaments dont décidera mon chirurgien. Une fois de
plus, je prends note de l’importance, tant psychologique que médicale, de
l’accès à l’écoute attentive et compétente d’une infirmière pivot. Je ne suis
pas seule dans ce combat, mais entourée, réconfortée et soutenue. En moins de
dix ans, confrontée pour la seconde fois au cancer, je mesure les progrès
apportés à notre système médical. Je découvre la qualité humaine de notre
personnel en soins de la santé.
Il m’arrive très souvent de penser à
l’équipe du Centre d’hémato-oncologie. Pas plus que je n’oublie la très grande
gentillesse et l’accueil plein de chaleur de mes jeunes techniciens en
radiothérapie. Je pense à eux avec reconnaissance et le fol espoir qu’ils
fassent partie d’un passé révolu.
Savoir enfin!
Impatiente de rencontrer mon médecin,
j’observe le nombre de personnes arrivées avant moi dans la salle d’attente de
la clinique. L’inquiétude domine sur les visages. Je tente de mesurer le
désarroi, d’imaginer l’espoir, la peur. La porte du bureau s’ouvre soudain. Une
dame en sort tout sourire : ce n’est pas un cancer, lance-t-elle
triomphante à la personne qui l’attendait. Je lui souris, heureuse pour elle.
Je refais mon propre scénario : la mammographie, le rappel, l’échographie,
la biopsie, l’opération de la masse identifiée…
et l’attente des résultats de l’examen des tissus enlevés. L’appel de la
secrétaire du chirurgien, le rendez-vous pour entendre le verdict.
Je laisse ma pensée s’accrocher à ce
sourire heureux, jusqu’à ce que ce soit mon tour d’entrer dans le bureau où je
ne devais revenir qu’en janvier, pour les résultats de la mammographie prévue
quelques mois après les traitements.
La rencontre sera brève. J’explique. Il
m'examine.
Tout en manifestant son étonnement
devant l’absence d’information sur ce symptôme, il assure que cela n’a rien
d’inquiétant. C’est une inflammation. Le corps remplit le vide par un liquide.
Le liquide a trouvé une voie de sortie par le mamelon.
Dois-je tenir compte de mes
escalades? Si la prudence et la
modération sont souhaitables, la mise en forme et l’activité physique le sont
tout autant.
- Et cela est possible après tant de
mois après l’opération.
- Avec vous tout est possible,
taquine-t-il.
- Cela peut durer longtemps?
- Six mois… un an. Écoutez, votre sein a subi deux opérations, puis 20 séances de radiothérapie. Il a été
agressé. Il lui faut du temps pour guérir. Cet écoulement n’est pas inquiétant.
C’est surtout dérangeant pour vous.
À mon tour je suis sortie du bureau
tout sourire.
Aujourd’hui, au 146e jour
après la chimio, au 91e jour post radiothérapie et au 61e
jour d’Arimidex, ce petit inconvénient s’ajoute à ce qui persiste de ce combat
contre le cancer : les ongles tombés, les sourcils qui tardent à pousser,
l’inconfort des cicatrices, les larmes intempestives de l’œil gauche, les
douleurs musculaires, les petites bouffées de chaleur nocturnes, l’insomnie
occasionnelle, la fatigue soudaine.
Peu importe, car j’aime me réveiller le matin, impatiente de
vivre ce nouveau jour et découvrir les plaisirs qui en surgiront. J’aime
m’endormir la nuit, heureuse de ce jour vécu. Vivre.
***