Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois, je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.
9 mai, mercredi, jour 1 de l’après 3
Éveillée à 4 h 44, le sommeil ne veut plus de moi. Dans ma tête, je revis la rencontre d’une sœur de combat, croisée dans la salle d’attente, juste avant mon départ. L’après troisième séance a été moins facile que les deux premières, me confie-t-elle. L’aveu de sa douleur insupportable que ne soulagent plus les produits courants, sa crainte de devoir recourir à la morphine, la perte de ses capacités, elle si créatrice, et le report de ce qui devait être son dernier traitement la propulse dans ce territoire appréhendé auquel elle croyait échapper. Je compatis, je comprends, mais que dire? Que faire?… Chaque cas est unique. Symptômes, effets secondaires, réactions physiques et morales.
On veut bien croire à la victoire, on y croit, mais on ne peut s’empêcher de haïr cette maladie à laquelle échappent heureusement 8 femmes sur 9. En 2012, la société canadienne du cancer estime à 22 700 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. Quand on fait partie d’une minorité de 1 sur 9, impossible se croire totalement à l’abris du 24,73% qui mourront. On enfouit cette statistique en soi pour ne pas contrarier nos interlocuteurs toujours si pressés du taux des guérisons. Et je pense à Alix, à Louise, à Diane parmi mes proches fauchées en plein été par ce cancer.
Ce ne sont pas de noires pensées. Ce sont des statistiques qui me rendent de plus en plus sensible à la détresse de certains regards échangés dans le silence de la salle d’attente du service d’hémato-oncologie. Parce que, malgré tout, mon propre reflet dans leurs yeux demeure celui d’une femme qui va vivre.
Et j’ai de quoi m’occuper : éternuement répétitifs, légère douleur au dos et mal de tête me gardent éveillée. À 6 h 03 je me résigne à prendre 500 mg de novo-gésic, voulant m’éviter la somnolence de la morphine. Il sera toujours temps de cibler plus fort si la douleur l’impose.
Cadeau! Outre les petits soucis (piquotement dans la bouche, brûlures d’estomac) j’ai de l’énergie, l’esprit clair. Je parviens à vivre une journée productive en petits travaux ménagers et, le meilleur, en écriture. Je m’écroule de fatigue à 22 h 38 sans prendre aucun anti douleur, pour un sommeil de 5 heures.
Jeudi 10 mai, jour 2 de l’après 3
La douleur rôde. Encore légère. Je passe une matinée calme à regarder quelques reportages à la télévision. Peu d’appétit, sinon de profiter pleinement de ce second jour vivant.
L’après-midi se passe devant l’ordinateur, pressée que je suis de devancer la menace grandissante des effets de plus en plus douloureux, surtout le dos et la fatigue que j’ai sans doute activée à trop vouloir en faire en si peu de temps. Mais il faut savoir ce que c’est que de perdre toute énergie des jours et des jours sans fin pour comprendre l’envie de lui échapper. Qui sait? Peut-être que cette troisième étape sera plus clémente.
Je m’endors à 23 h 41. Me réveille à 3 h 49. Je me résigne et avale 2,5 mg de morphine.
Vendredi 11 mai, jour 3 de l’après 3
8 h. Douleur dorsale à 5 sur 10. Je commence la journée avec 2,5 MG de MS-IR et une bonne gorgée de « Magic mouth » après le pénible avalement d’un déjeuner croissant.
Des points douloureux frappent le dos et s’installent dans les jambes et l’os des arcades sourcilières. Je reste sagement dans mon fauteuil, écrasée d’une fatigue qui m’éteint. Mon seul choix est de traverser la journée en limitant mes doses toutes les 4 heures à 2,5 mg… croyant m’éviter l’état de légume qui m’a tant affectée depuis mars.
La nuit arrive comme une délivrance. Dormir… dormir… DORMIR.
Samedi 12 mai, jour 4 de l’après 3
Copie presque conforme à la veille. Les nausées se manifestent et l’estomac se rebiffe dès que j’absorbe du solide. J’ai maintenu les doses de morphine à 2,5 mg.
- Pourquoi t’entêter ainsi à une demi portion? S’impatiente mon infirmier maison.
- Tant que la douleur est à 5, je préfère une dose réduite. Sinon, quelle option aurais-je contre un 6 et + ? Augmenter la fréquence? Augmenter la force?
- Si je sens que tu as plus mal que tu ne le dis, c’est moi qui prendrai la décision.
- Compromis accepté.
19 h 55 : prochlorperazine contre les nausées
20 h 21 : dernière dose de MS-IR 2 mg
22 h 41 : mixture spéciale estomac
22 h 42 : massage au voltaren
22 h 45 : bromazepan 10 mg
3 h 45 : réveil coup de poignard à la nuque. Excédée je prends 5 mg de Ms-IR
Dimanche 13 mai, jour 5 de l’après 3
Le jour passe en mon absence. Nourriture liquide, jello, velouté de poireaux et autres légumes verts avalés sans faim. Les rares aliments qui n’ont pas l’affreux goût de métal et surtout de poivre. Et qui parviennent à franchir ma bouche de plus en plus couverte d’ulcères.
Je me sens agressive, même si cela ne se trahit pas dans mon attitude. Je me fais violence pour maîtriser mon impatience. Ils sont tous trop attentionnés, trop gentils pour que je prenne le risque de les blesser. J’encourage le Papili à répondre à l’invitation des petits qui sont privés de venir nous voir à la maison de peur de me transmettre leur rhume. J’entends les cris de joie, les rires lors de pique-nique improvisé. J’éprouve un sentiment d’exclusion. Coup de fouet mental :
- Cela fait partie de ta guerre, me dis-je. C’est de ta bataille gagnée qu’ils se souviendront, pas de tes peurs ni de ta défaite.
Rejean revient avec un caillou rose qu’Élika a choisi pour sa Mamieke… « Pour faire du bonheur dans son cœur » a-t-elle dit. Il est magique ce caillou : il transforme le regret de ce que je n'ai pas en sourire pour ce que j’ai.
Lundi 14 mai, jour 6 de l’après 3
La matinée est calme. Chocolat chaud et croissants.
Non, les petits maux ne rendent pas les armes. Ils se multiplient. La diarrhée met fin à deux jours d’intestins paresseux. L’occasion d’expérimenter d’autres des effets secondaires du taxotère, soit les douleurs anales et vaginales. Chaque tournée à la salle de bain me rapproche de l’enfance : lavage avec savon doux, serviettes humides et douces conçues pour les nourissons, clotrimaderm et touche finale d’onguent de zinc.
En prime, des yeux pleureurs. Les larmes coulent abondantes, irritant l’œil et brouillant la vue. L’oculiste m’a conseillé des gouttes oculaires lubrifiantes Refresh tears et le pharmacien le Systane ultra pour atténuer l’irritation. L’impression de fraîcheur dure plus longtemps avec tears, mais la seconde acélère le retour d’une vision clarifiée. Entre deux larmes, je bénéficie d’un temps de vision d’environ 80% pendant 5 à 7 minutes. Puis cela recommence. Je tente, pas toujours avec succès, de ne pas frotter mes yeux et de bien hydrater la peau du visage que le sel des larmes attaque sans pitié.
Mardi 15 mai, jour 7 de l’après 3
Joie! Une nuit sans réveil de 23 h 16 à 6 h 18.
Pour le reste, c’est la routine : antidouleur, anti nausée, anti larmes, anti inflammation, anti ulcères. Et l’espoir d’une seconde bonne nuit.
Mercredi 16 mai, jour 8 de l’après 3
Soleil et rendez-vous avec ma banquière au programme.
Je ne lésine pas sur la dose de MS-IR 5 MG, afin de m’assurer un peu de résistance. La fatigue va en s’accentuant, le pas hésite et le bras s’accroche au bras de mon homme. Je sais que cette sortie va puiser toute mon énergie. Les maux font la fête quand je suis plus faible. Mais on parvient chaque jour à atteindre le soir en se disant que cette troisième phase est malgré tout moins difficile que les deux premières : je suis plus éveillée.
Jeudi 17 mai, jour 9 de l’après 3
Café au lait sucré qui me réussit. À 9 h 30, je me retrouve devant l’ordinateur. Une mise à jour du site Web d’un organisme qu’on m’a reproché de négliger. Je profite de l’absence de Réjean car il ne serait pas content de me voir travailler, surtout avec une vision brouillée. Heureusement, les doigts ont la mémoire du clavier.
L’après-midi sera joyeuse. Je savoure même une Beck sans alcool (ma bière préférée) constatant qu’elle ne goûte pas le poivre.
Dernière morphine 5 mg à 22 h 06 et bromazepan m’assurent une nuit de 8 heures.
Vendredi 18 mai, jour 10 de l’après 3
Éveillée juste à temps avant d’inonder mon oreiller. Les saignements de nez sporadiques se calmaient rapidement. Cette fois, c’est le déluge pendant plusieurs minutes. Zut! Je n’en échappe pas un.
18 h 12 : je suis à l’ordinateur depuis quelques heures. Mon corps commence à protester, mais je me réjouis d’une journée sans anti douleur. Dans quelques minutes, ce sera mon premier (l'inévitable routine des petits maux exceptée).
Chaque heure vécue compte. Je me dis que ce temps d’éveil rien ne peut plus me l’enlever. La douleur omniprésente a un rival de taille : une farouche volonté de vivre pleinement.
La suite : Samedi 19 mai, jour 11 de l’après 3
Des douleurs au dos et retour à la morphine 2,5 mg à 10 h, 14 h, 18 h pour terminer avec 5 Mg à 23 h. La fièvre rode frôlant les 38, mais revient à 36,5 le lendemain au réveil. Journée terne.
Dimanche 20 mai, jour 12 de l’après 3
Routine des maux habituels (bouche, yeux et tache rouge sur le bras) le tout additionné de nausées que calme le Prochlorperazine.
Petite sortie dans le jardin. Deux heures de plaisir à voir jouer les enfants qui m’apportent des fleurs jaunes tout en évitant de m’approcher de trop très pour me protéger de leur rhume. Je fais provision de baisers envolés.
Lundi 21 mai, jour 13 de l’après 3
La phase de l’après 3 se révèle capricieuse. Les journées alternent entre des moments « pas trop pires » et des effets secondaires de première. Un peu d’énergie dépensée à mettre les comptes en ordre, quelques vertiges, un orgelet à l’œil gauche, mal de gorge qui me fait craindre un rhume dont je calme les effets avec un tylenol nuit 500 mg à 23 h 15.
Mardi 22 mai, jour 14 de l’après 3
Bonne nuit qui prend fin dans la brûlure de l’œil gauche causée par un orgelet qui ajoute à l’agacement des larmes et d’une grande sensibilité des ongles qui prennent une vilaine couleur rouge à la base.
L’Immodium fait son œuvre et je m’impose quelques heures au magasin qui me conforte dans mon refus de vivre la phase 3 en légume. Je me fouette mentalement pour m’imposer l’effort de rendre vivantes quelques heures de chacun de ces jours, même si cela se termine pas la fatigue, l’essoufflement et la sensation d’avoir très froid.
Mercredi 23 mai, jour 15 de l’après 3
Jeudi 24 mai, jour 16 de 3
La routine des effets secondaires me fait râler. Chaque jour ressemble à la veille, si ce n’est de plus longs moments d’énergie que je dépense en écriture et, ce jeudi, afin de remercier mon homme dévoué, je lui fais la surprise de préparer le souper. Malgré la fatigue qui s’ensuit, chaque action de vie que je parviens à réaliser à la saveur d’une victoire.
Vendredi 25 mai, jour 17 de l’après 3
Samedi 26 mai, jour 18 de l’après 3
Grande faiblesse, dos douloureux, essoufflement, douleur au bras, à la nuque et à la tête. Est-ce la fatigue qui me rend plus sensible à la douleur ou la douleur qui gruge mon énergie?
Dimanche 27 mai, jour 19 de l’après 3
Pas de congé pour la douleur : les articulations rendent la marche difficile. C’est la routine des effets secondaires. Mon quotidien est routinier. Qu’y faire sinon vivre un jour à la fois et utiliser les béquilles chimiques pour rendre le tout plus supportable.
Brève visite à la maison au bord du fjord, bientôt lieu de séjour de l’été qui approche. Et au retour, la vie qui bat avec l’arrivée à la Maison heureuse de mon troisième petit-enfant, la magnifique Isyëv, née ce 25 mai à l'hôpital de Chicoutimi. Je regarde son visage aux traits délicats, ses longs doigts qui agrippent les miens et me sens submergée par le désir fou de continuer de vivre encore longtemps. Un être de 3,5 kilos qui me transmet sa force de tout ce qu’elle représente déjà.
Lundi 28 mai, jour 20 de l’après 3
Mauvaise nuit. Je m’impose un rendez-vous important avec les médias, participant à une conférence de presse pour l’organisme culturel La Société de l’Ordre du Bleuet. Quelques rares courses exceptées, depuis cinq mois je n’ai pas fait de sortie publique. J’aborde ce passage obligé avec anxiété. Peur de bafouiller, peur de manquer de concentration, peur de vertiges malencontreux. Je tente de ne pas céder à toute appréhension de coquetterie avec ce visage bouffi et rougi par la cortisone, mon crâne nu dissimulé sous un chapeau, des lunettes noires pour protéger de la lumière des yeux sans cils et des sourcils clairsemés.
Et pourtant, je sais devoir affronter cela comme un entrainement à la prise en main de ma vie. Un exercice physique et mental nécessaire afin d’éviter la tentation de l’isolement, faux confort qui risque de m’entraîner dans la facile renonciation au combat.
Halte rapide au centre d’hémato-oncologie pour la prise de sang. Je reviens épuisée de cette journée, mais, tel un mantra, je ne cesse de me dire : je l’ai fait et cela s’est bien passé. Je prends conscience que de se battre contre le cancer, c’est aussi se battre contre sa propre faiblesse.
Demain, quatrième traitement de chimiothérapie. Le dernier.
Éveillée à 4 h 44, le sommeil ne veut plus de moi. Dans ma tête, je revis la rencontre d’une sœur de combat, croisée dans la salle d’attente, juste avant mon départ. L’après troisième séance a été moins facile que les deux premières, me confie-t-elle. L’aveu de sa douleur insupportable que ne soulagent plus les produits courants, sa crainte de devoir recourir à la morphine, la perte de ses capacités, elle si créatrice, et le report de ce qui devait être son dernier traitement la propulse dans ce territoire appréhendé auquel elle croyait échapper. Je compatis, je comprends, mais que dire? Que faire?… Chaque cas est unique. Symptômes, effets secondaires, réactions physiques et morales.
On veut bien croire à la victoire, on y croit, mais on ne peut s’empêcher de haïr cette maladie à laquelle échappent heureusement 8 femmes sur 9. En 2012, la société canadienne du cancer estime à 22 700 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. Quand on fait partie d’une minorité de 1 sur 9, impossible se croire totalement à l’abris du 24,73% qui mourront. On enfouit cette statistique en soi pour ne pas contrarier nos interlocuteurs toujours si pressés du taux des guérisons. Et je pense à Alix, à Louise, à Diane parmi mes proches fauchées en plein été par ce cancer.
Ce ne sont pas de noires pensées. Ce sont des statistiques qui me rendent de plus en plus sensible à la détresse de certains regards échangés dans le silence de la salle d’attente du service d’hémato-oncologie. Parce que, malgré tout, mon propre reflet dans leurs yeux demeure celui d’une femme qui va vivre.
Et j’ai de quoi m’occuper : éternuement répétitifs, légère douleur au dos et mal de tête me gardent éveillée. À 6 h 03 je me résigne à prendre 500 mg de novo-gésic, voulant m’éviter la somnolence de la morphine. Il sera toujours temps de cibler plus fort si la douleur l’impose.
Cadeau! Outre les petits soucis (piquotement dans la bouche, brûlures d’estomac) j’ai de l’énergie, l’esprit clair. Je parviens à vivre une journée productive en petits travaux ménagers et, le meilleur, en écriture. Je m’écroule de fatigue à 22 h 38 sans prendre aucun anti douleur, pour un sommeil de 5 heures.
Jeudi 10 mai, jour 2 de l’après 3
La douleur rôde. Encore légère. Je passe une matinée calme à regarder quelques reportages à la télévision. Peu d’appétit, sinon de profiter pleinement de ce second jour vivant.
L’après-midi se passe devant l’ordinateur, pressée que je suis de devancer la menace grandissante des effets de plus en plus douloureux, surtout le dos et la fatigue que j’ai sans doute activée à trop vouloir en faire en si peu de temps. Mais il faut savoir ce que c’est que de perdre toute énergie des jours et des jours sans fin pour comprendre l’envie de lui échapper. Qui sait? Peut-être que cette troisième étape sera plus clémente.
Je m’endors à 23 h 41. Me réveille à 3 h 49. Je me résigne et avale 2,5 mg de morphine.
Vendredi 11 mai, jour 3 de l’après 3
8 h. Douleur dorsale à 5 sur 10. Je commence la journée avec 2,5 MG de MS-IR et une bonne gorgée de « Magic mouth » après le pénible avalement d’un déjeuner croissant.
Des points douloureux frappent le dos et s’installent dans les jambes et l’os des arcades sourcilières. Je reste sagement dans mon fauteuil, écrasée d’une fatigue qui m’éteint. Mon seul choix est de traverser la journée en limitant mes doses toutes les 4 heures à 2,5 mg… croyant m’éviter l’état de légume qui m’a tant affectée depuis mars.
La nuit arrive comme une délivrance. Dormir… dormir… DORMIR.
Samedi 12 mai, jour 4 de l’après 3
Copie presque conforme à la veille. Les nausées se manifestent et l’estomac se rebiffe dès que j’absorbe du solide. J’ai maintenu les doses de morphine à 2,5 mg.
- Pourquoi t’entêter ainsi à une demi portion? S’impatiente mon infirmier maison.
- Tant que la douleur est à 5, je préfère une dose réduite. Sinon, quelle option aurais-je contre un 6 et + ? Augmenter la fréquence? Augmenter la force?
- Si je sens que tu as plus mal que tu ne le dis, c’est moi qui prendrai la décision.
- Compromis accepté.
19 h 55 : prochlorperazine contre les nausées
20 h 21 : dernière dose de MS-IR 2 mg
22 h 41 : mixture spéciale estomac
22 h 42 : massage au voltaren
22 h 45 : bromazepan 10 mg
3 h 45 : réveil coup de poignard à la nuque. Excédée je prends 5 mg de Ms-IR
Dimanche 13 mai, jour 5 de l’après 3
Le jour passe en mon absence. Nourriture liquide, jello, velouté de poireaux et autres légumes verts avalés sans faim. Les rares aliments qui n’ont pas l’affreux goût de métal et surtout de poivre. Et qui parviennent à franchir ma bouche de plus en plus couverte d’ulcères.
Je me sens agressive, même si cela ne se trahit pas dans mon attitude. Je me fais violence pour maîtriser mon impatience. Ils sont tous trop attentionnés, trop gentils pour que je prenne le risque de les blesser. J’encourage le Papili à répondre à l’invitation des petits qui sont privés de venir nous voir à la maison de peur de me transmettre leur rhume. J’entends les cris de joie, les rires lors de pique-nique improvisé. J’éprouve un sentiment d’exclusion. Coup de fouet mental :
- Cela fait partie de ta guerre, me dis-je. C’est de ta bataille gagnée qu’ils se souviendront, pas de tes peurs ni de ta défaite.
Rejean revient avec un caillou rose qu’Élika a choisi pour sa Mamieke… « Pour faire du bonheur dans son cœur » a-t-elle dit. Il est magique ce caillou : il transforme le regret de ce que je n'ai pas en sourire pour ce que j’ai.
Lundi 14 mai, jour 6 de l’après 3
La matinée est calme. Chocolat chaud et croissants.
Non, les petits maux ne rendent pas les armes. Ils se multiplient. La diarrhée met fin à deux jours d’intestins paresseux. L’occasion d’expérimenter d’autres des effets secondaires du taxotère, soit les douleurs anales et vaginales. Chaque tournée à la salle de bain me rapproche de l’enfance : lavage avec savon doux, serviettes humides et douces conçues pour les nourissons, clotrimaderm et touche finale d’onguent de zinc.
En prime, des yeux pleureurs. Les larmes coulent abondantes, irritant l’œil et brouillant la vue. L’oculiste m’a conseillé des gouttes oculaires lubrifiantes Refresh tears et le pharmacien le Systane ultra pour atténuer l’irritation. L’impression de fraîcheur dure plus longtemps avec tears, mais la seconde acélère le retour d’une vision clarifiée. Entre deux larmes, je bénéficie d’un temps de vision d’environ 80% pendant 5 à 7 minutes. Puis cela recommence. Je tente, pas toujours avec succès, de ne pas frotter mes yeux et de bien hydrater la peau du visage que le sel des larmes attaque sans pitié.
Mardi 15 mai, jour 7 de l’après 3
Joie! Une nuit sans réveil de 23 h 16 à 6 h 18.
Pour le reste, c’est la routine : antidouleur, anti nausée, anti larmes, anti inflammation, anti ulcères. Et l’espoir d’une seconde bonne nuit.
Mercredi 16 mai, jour 8 de l’après 3
Soleil et rendez-vous avec ma banquière au programme.
Je ne lésine pas sur la dose de MS-IR 5 MG, afin de m’assurer un peu de résistance. La fatigue va en s’accentuant, le pas hésite et le bras s’accroche au bras de mon homme. Je sais que cette sortie va puiser toute mon énergie. Les maux font la fête quand je suis plus faible. Mais on parvient chaque jour à atteindre le soir en se disant que cette troisième phase est malgré tout moins difficile que les deux premières : je suis plus éveillée.
Jeudi 17 mai, jour 9 de l’après 3
Café au lait sucré qui me réussit. À 9 h 30, je me retrouve devant l’ordinateur. Une mise à jour du site Web d’un organisme qu’on m’a reproché de négliger. Je profite de l’absence de Réjean car il ne serait pas content de me voir travailler, surtout avec une vision brouillée. Heureusement, les doigts ont la mémoire du clavier.
L’après-midi sera joyeuse. Je savoure même une Beck sans alcool (ma bière préférée) constatant qu’elle ne goûte pas le poivre.
Dernière morphine 5 mg à 22 h 06 et bromazepan m’assurent une nuit de 8 heures.
Vendredi 18 mai, jour 10 de l’après 3
Éveillée juste à temps avant d’inonder mon oreiller. Les saignements de nez sporadiques se calmaient rapidement. Cette fois, c’est le déluge pendant plusieurs minutes. Zut! Je n’en échappe pas un.
18 h 12 : je suis à l’ordinateur depuis quelques heures. Mon corps commence à protester, mais je me réjouis d’une journée sans anti douleur. Dans quelques minutes, ce sera mon premier (l'inévitable routine des petits maux exceptée).
Chaque heure vécue compte. Je me dis que ce temps d’éveil rien ne peut plus me l’enlever. La douleur omniprésente a un rival de taille : une farouche volonté de vivre pleinement.
La suite : Samedi 19 mai, jour 11 de l’après 3
Des douleurs au dos et retour à la morphine 2,5 mg à 10 h, 14 h, 18 h pour terminer avec 5 Mg à 23 h. La fièvre rode frôlant les 38, mais revient à 36,5 le lendemain au réveil. Journée terne.
Dimanche 20 mai, jour 12 de l’après 3
Routine des maux habituels (bouche, yeux et tache rouge sur le bras) le tout additionné de nausées que calme le Prochlorperazine.
Petite sortie dans le jardin. Deux heures de plaisir à voir jouer les enfants qui m’apportent des fleurs jaunes tout en évitant de m’approcher de trop très pour me protéger de leur rhume. Je fais provision de baisers envolés.
Lundi 21 mai, jour 13 de l’après 3
La phase de l’après 3 se révèle capricieuse. Les journées alternent entre des moments « pas trop pires » et des effets secondaires de première. Un peu d’énergie dépensée à mettre les comptes en ordre, quelques vertiges, un orgelet à l’œil gauche, mal de gorge qui me fait craindre un rhume dont je calme les effets avec un tylenol nuit 500 mg à 23 h 15.
Mardi 22 mai, jour 14 de l’après 3
Bonne nuit qui prend fin dans la brûlure de l’œil gauche causée par un orgelet qui ajoute à l’agacement des larmes et d’une grande sensibilité des ongles qui prennent une vilaine couleur rouge à la base.
L’Immodium fait son œuvre et je m’impose quelques heures au magasin qui me conforte dans mon refus de vivre la phase 3 en légume. Je me fouette mentalement pour m’imposer l’effort de rendre vivantes quelques heures de chacun de ces jours, même si cela se termine pas la fatigue, l’essoufflement et la sensation d’avoir très froid.
Mercredi 23 mai, jour 15 de l’après 3
Jeudi 24 mai, jour 16 de 3
La routine des effets secondaires me fait râler. Chaque jour ressemble à la veille, si ce n’est de plus longs moments d’énergie que je dépense en écriture et, ce jeudi, afin de remercier mon homme dévoué, je lui fais la surprise de préparer le souper. Malgré la fatigue qui s’ensuit, chaque action de vie que je parviens à réaliser à la saveur d’une victoire.
Vendredi 25 mai, jour 17 de l’après 3
Samedi 26 mai, jour 18 de l’après 3
Grande faiblesse, dos douloureux, essoufflement, douleur au bras, à la nuque et à la tête. Est-ce la fatigue qui me rend plus sensible à la douleur ou la douleur qui gruge mon énergie?
Dimanche 27 mai, jour 19 de l’après 3
Pas de congé pour la douleur : les articulations rendent la marche difficile. C’est la routine des effets secondaires. Mon quotidien est routinier. Qu’y faire sinon vivre un jour à la fois et utiliser les béquilles chimiques pour rendre le tout plus supportable.
Brève visite à la maison au bord du fjord, bientôt lieu de séjour de l’été qui approche. Et au retour, la vie qui bat avec l’arrivée à la Maison heureuse de mon troisième petit-enfant, la magnifique Isyëv, née ce 25 mai à l'hôpital de Chicoutimi. Je regarde son visage aux traits délicats, ses longs doigts qui agrippent les miens et me sens submergée par le désir fou de continuer de vivre encore longtemps. Un être de 3,5 kilos qui me transmet sa force de tout ce qu’elle représente déjà.
Lundi 28 mai, jour 20 de l’après 3
Mauvaise nuit. Je m’impose un rendez-vous important avec les médias, participant à une conférence de presse pour l’organisme culturel La Société de l’Ordre du Bleuet. Quelques rares courses exceptées, depuis cinq mois je n’ai pas fait de sortie publique. J’aborde ce passage obligé avec anxiété. Peur de bafouiller, peur de manquer de concentration, peur de vertiges malencontreux. Je tente de ne pas céder à toute appréhension de coquetterie avec ce visage bouffi et rougi par la cortisone, mon crâne nu dissimulé sous un chapeau, des lunettes noires pour protéger de la lumière des yeux sans cils et des sourcils clairsemés.
Et pourtant, je sais devoir affronter cela comme un entrainement à la prise en main de ma vie. Un exercice physique et mental nécessaire afin d’éviter la tentation de l’isolement, faux confort qui risque de m’entraîner dans la facile renonciation au combat.
À ma droite, en compagnie de Jérémie Giles, Guylaine Simard
© Photo Rocket Lavoie - Le Quotidien
Halte rapide au centre d’hémato-oncologie pour la prise de sang. Je reviens épuisée de cette journée, mais, tel un mantra, je ne cesse de me dire : je l’ai fait et cela s’est bien passé. Je prends conscience que de se battre contre le cancer, c’est aussi se battre contre sa propre faiblesse.
Demain, quatrième traitement de chimiothérapie. Le dernier.
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