En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


vendredi 18 mai 2012

L'après 3e séance de chimiothérapie

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

 9 mai, mercredi, jour 1 de l’après 3

Éveillée à 4 h 44, le sommeil ne veut plus de moi. Dans ma tête, je revis la rencontre d’une sœur de combat, croisée dans la salle d’attente, juste avant mon départ. L’après troisième séance a été moins facile que les deux premières, me confie-t-elle. L’aveu de sa douleur insupportable que ne soulagent plus les produits courants, sa crainte de devoir recourir à la morphine, la perte de ses capacités, elle si créatrice, et le report de ce qui devait être son dernier traitement la propulse dans ce territoire appréhendé auquel elle croyait échapper. Je compatis, je comprends, mais que dire? Que faire?… Chaque cas est unique. Symptômes, effets secondaires, réactions physiques et morales.

On veut bien croire à la victoire, on y croit, mais on ne peut s’empêcher de haïr cette maladie à laquelle échappent heureusement 8 femmes sur 9. En 2012, la société canadienne du cancer estime à 22 700 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. Quand on fait partie d’une minorité de 1 sur 9, impossible se croire totalement à l’abris du 24,73%  qui mourront. On enfouit cette statistique en soi pour ne pas contrarier nos interlocuteurs toujours si pressés du taux des guérisons. Et je pense à Alix, à Louise, à Diane parmi mes proches fauchées en plein été par ce cancer.

Ce ne sont pas de noires pensées. Ce sont des statistiques qui me rendent de plus en plus sensible à la détresse de certains regards échangés dans le silence de la salle d’attente du service d’hémato-oncologie. Parce que, malgré tout, mon propre reflet dans leurs yeux demeure celui d’une femme qui va vivre.

Et j’ai de quoi m’occuper : éternuement répétitifs, légère douleur au dos et mal de tête me gardent éveillée. À 6 h 03 je me résigne à prendre 500 mg de novo-gésic, voulant m’éviter la somnolence de la morphine. Il sera toujours temps de cibler plus fort si la douleur l’impose.

Cadeau! Outre les petits soucis (piquotement dans la bouche, brûlures d’estomac) j’ai de l’énergie, l’esprit clair. Je parviens à vivre une journée productive en petits travaux ménagers et, le meilleur, en écriture. Je m’écroule de fatigue à 22 h 38 sans prendre aucun anti douleur, pour un sommeil de 5 heures.

Jeudi 10 mai, jour 2 de l’après 3

La douleur rôde. Encore légère. Je passe une matinée calme à regarder quelques reportages à la télévision. Peu d’appétit, sinon de profiter pleinement de ce second jour vivant.

L’après-midi se passe devant l’ordinateur, pressée que je suis de devancer la menace grandissante des effets de plus en plus douloureux, surtout le dos et la fatigue que j’ai sans doute activée à trop vouloir en faire en si peu de temps. Mais il faut savoir ce que c’est que de perdre toute énergie des jours et des jours sans fin pour comprendre l’envie de lui échapper. Qui sait? Peut-être que cette troisième étape sera plus clémente.

Je m’endors à 23 h 41. Me réveille à 3 h 49. Je me résigne et avale 2,5 mg de morphine.

Vendredi 11 mai, jour 3 de l’après 3

8 h. Douleur dorsale à 5 sur 10. Je commence la journée avec 2,5 MG de MS-IR et une bonne gorgée de « Magic mouth » après le pénible avalement d’un déjeuner croissant.

Des points douloureux frappent le dos et s’installent dans les jambes et l’os des arcades sourcilières. Je reste sagement dans mon fauteuil, écrasée d’une fatigue qui m’éteint. Mon seul choix est de traverser la journée en limitant mes doses toutes les 4  heures à 2,5 mg… croyant m’éviter l’état de légume qui m’a tant affectée depuis mars.

La nuit arrive comme une délivrance. Dormir… dormir… DORMIR.

Samedi 12 mai, jour 4 de l’après 3

Copie presque conforme à la veille. Les nausées se manifestent et l’estomac se rebiffe dès que j’absorbe du solide. J’ai maintenu les doses de morphine à 2,5 mg.

-    Pourquoi t’entêter ainsi à une demi portion? S’impatiente mon infirmier maison.
-    Tant que la douleur est à 5, je préfère une dose réduite. Sinon, quelle option aurais-je contre un 6 et + ? Augmenter la fréquence? Augmenter la force?
-    Si je sens que tu as plus mal que tu ne le dis, c’est moi qui prendrai la décision.
-    Compromis accepté.

 
19 h 55 : prochlorperazine contre les nausées
20 h 21 : dernière dose de MS-IR 2 mg
22 h 41 : mixture spéciale estomac
22 h 42 : massage au voltaren
22 h 45 : bromazepan 10 mg

3 h 45 : réveil coup de poignard à la nuque. Excédée je prends 5 mg de Ms-IR


Dimanche 13 mai, jour 5 de l’après 3

Le jour passe en mon absence. Nourriture liquide, jello, velouté de poireaux et autres légumes verts avalés sans faim. Les rares aliments qui n’ont pas l’affreux goût de métal et surtout de poivre. Et qui parviennent à franchir ma bouche de plus en plus couverte d’ulcères.

Je me sens agressive, même si cela ne se trahit pas dans mon attitude. Je me fais violence pour maîtriser mon impatience. Ils sont tous trop attentionnés, trop gentils pour que je prenne le risque de les blesser. J’encourage le Papili à répondre à l’invitation des petits qui sont privés de venir nous voir à la maison de peur de me transmettre leur rhume. J’entends les cris de joie, les rires lors de pique-nique improvisé. J’éprouve un sentiment d’exclusion. Coup de fouet mental :

-   Cela fait partie de ta guerre, me dis-je. C’est de ta bataille gagnée qu’ils se souviendront, pas de tes peurs ni de ta défaite.

Rejean revient avec un caillou rose qu’Élika a choisi pour sa Mamieke… « Pour faire du bonheur dans son cœur » a-t-elle dit. Il est magique ce caillou : il transforme le regret de ce que je n'ai pas en sourire pour ce que j’ai.

Lundi 14 mai, jour 6 de l’après 3

La matinée est calme. Chocolat chaud et croissants.

Non, les petits maux ne rendent pas les armes. Ils se multiplient. La diarrhée met fin à deux jours d’intestins paresseux. L’occasion d’expérimenter d’autres des effets secondaires du taxotère, soit les douleurs anales et vaginales. Chaque tournée à la salle de bain me rapproche de l’enfance : lavage avec savon doux, serviettes humides et douces conçues pour les nourissons, clotrimaderm  et touche finale d’onguent de zinc.

En prime, des yeux pleureurs. Les larmes coulent abondantes, irritant l’œil et brouillant la vue. L’oculiste m’a conseillé des gouttes oculaires lubrifiantes Refresh tears et le pharmacien le Systane ultra pour atténuer l’irritation. L’impression de fraîcheur dure plus longtemps avec tears, mais la seconde acélère le retour d’une vision clarifiée. Entre deux larmes, je bénéficie d’un temps de vision d’environ 80% pendant 5 à 7 minutes. Puis cela recommence. Je tente, pas toujours avec succès, de ne pas frotter mes yeux et de bien hydrater la peau du visage que le sel des larmes attaque sans pitié.

Mardi 15 mai, jour 7 de l’après 3

 Joie! Une nuit sans réveil de 23 h 16 à 6 h 18.

Pour le reste, c’est la routine : antidouleur, anti nausée, anti larmes, anti inflammation, anti ulcères. Et l’espoir d’une seconde bonne nuit.

Mercredi 16 mai, jour 8 de l’après 3

Soleil et rendez-vous avec ma banquière
au programme.

Je ne lésine pas sur la dose de MS-IR 5 MG, afin de m’assurer un peu de résistance. La fatigue va en s’accentuant, le pas hésite et le bras s’accroche au bras de mon homme. Je sais que cette sortie va puiser toute mon énergie. Les maux font la fête quand je suis plus faible. Mais on parvient chaque jour à atteindre le soir en se disant que cette troisième phase est malgré tout moins difficile que les deux premières : je suis plus éveillée.

Jeudi 17 mai, jour 9 de l’après 3

Café au lait sucré qui me réussit. À 9 h 30, je me retrouve devant l’ordinateur.  Une mise à jour du site Web d’un organisme qu’on m’a reproché de négliger. Je profite de l’absence de Réjean car il ne serait pas content de me voir travailler, surtout avec une vision brouillée. Heureusement, les doigts ont la mémoire du clavier.

L’après-midi sera joyeuse. Je savoure même une Beck sans alcool (ma bière préférée) constatant qu’elle ne goûte pas le poivre.

Dernière morphine 5 mg à 22 h 06 et bromazepan m’assurent une nuit de 8 heures.

Vendredi 18 mai, jour 10 de l’après 3

Éveillée juste à temps avant d’inonder mon oreiller. Les saignements de nez sporadiques se calmaient rapidement. Cette fois, c’est le déluge pendant plusieurs minutes. Zut! Je n’en échappe pas un.

18 h 12 : je suis à l’ordinateur depuis quelques heures. Mon corps commence à protester, mais je me réjouis d’une journée sans anti douleur. Dans quelques minutes, ce sera mon premier (l'inévitable routine des petits maux exceptée).

Chaque heure vécue compte. Je me dis que ce temps d’éveil rien ne peut plus me l’enlever. La douleur omniprésente a un rival de taille : une farouche volonté de vivre pleinement.

La suite : Samedi 19 mai, jour 11 de l’après 3

Des douleurs au dos et retour à la morphine 2,5 mg à 10 h, 14 h, 18 h pour terminer avec 5 Mg à 23 h. La fièvre rode frôlant les 38, mais revient à 36,5 le lendemain au réveil. Journée terne.

Dimanche 20 mai, jour 12 de l’après 3

Routine des maux habituels (bouche, yeux et tache rouge sur le bras) le tout additionné de nausées que calme le Prochlorperazine.

Petite sortie dans le jardin. Deux heures de plaisir à voir jouer les enfants qui m’apportent des fleurs jaunes tout en évitant de m’approcher de trop très pour me protéger de leur rhume. Je fais provision de baisers envolés.

Lundi 21 mai, jour 13 de l’après 3

La phase de l’après 3 se révèle capricieuse. Les journées alternent entre des moments « pas trop pires » et des effets secondaires de première. Un peu d’énergie dépensée à mettre les comptes en ordre, quelques vertiges, un orgelet à l’œil gauche, mal de gorge qui me fait craindre un rhume dont je calme les effets avec un tylenol nuit 500 mg à 23 h 15.

 Mardi 22 mai, jour 14 de l’après 3

Bonne nuit qui prend fin dans la brûlure de l’œil gauche causée par un orgelet qui ajoute à l’agacement des larmes et d’une grande sensibilité des ongles qui prennent une vilaine couleur rouge à la base.

L’Immodium fait son œuvre et je m’impose quelques heures au magasin qui me conforte dans mon refus de vivre la phase 3 en légume. Je me fouette mentalement pour m’imposer l’effort de rendre vivantes quelques heures de chacun de ces jours, même si cela se termine pas la fatigue, l’essoufflement et la sensation d’avoir très froid.

Mercredi 23 mai, jour 15 de l’après 3
Jeudi 24 mai, jour 16 de 3


La routine des effets secondaires me fait râler. Chaque jour ressemble à la veille, si ce n’est de plus longs moments d’énergie que je dépense en écriture et, ce jeudi, afin de remercier mon homme dévoué, je lui fais la surprise de préparer le souper. Malgré la fatigue qui s’ensuit, chaque action de vie que je parviens à réaliser à la saveur d’une victoire.

Vendredi 25 mai, jour 17 de l’après 3
Samedi 26 mai, jour 18 de l’après 3

Grande faiblesse, dos douloureux, essoufflement, douleur au bras, à la nuque et à la tête. Est-ce la fatigue qui me rend plus sensible à la douleur ou la douleur qui gruge mon énergie?

Dimanche 27 mai, jour 19 de l’après 3

Pas de congé pour la douleur : les articulations rendent la marche difficile. C’est la routine des effets secondaires. Mon quotidien est routinier. Qu’y faire sinon vivre un jour à la fois et utiliser les béquilles chimiques pour rendre le tout plus supportable.
 

Brève visite à la maison au bord du fjord, bientôt lieu de séjour de l’été qui approche. Et au retour, la vie qui bat avec l’arrivée à la Maison heureuse de mon troisième petit-enfant, la magnifique Isyëv, née ce 25 mai à l'hôpital de Chicoutimi. Je regarde son visage aux traits délicats, ses longs doigts qui agrippent les miens et me sens submergée par le désir fou de continuer de vivre encore longtemps. Un être de 3,5 kilos qui me transmet sa force de tout ce qu’elle représente déjà.  

Lundi 28 mai, jour 20 de l’après 3

Mauvaise nuit. Je m’impose un rendez-vous important avec les médias, participant à une conférence de presse pour l’organisme culturel La Société de l’Ordre du Bleuet. Quelques rares courses exceptées, depuis cinq mois je n’ai pas fait de sortie publique.  J’aborde ce passage obligé avec anxiété. Peur de bafouiller, peur de manquer de concentration, peur de vertiges malencontreux. Je tente de ne pas céder à toute appréhension de coquetterie avec ce visage bouffi et rougi par la cortisone, mon crâne nu dissimulé sous un chapeau, des lunettes noires pour protéger de la lumière des yeux sans cils et des sourcils clairsemés.

Et pourtant, je sais devoir affronter cela comme un entrainement à la prise en main de ma vie. Un exercice physique et mental nécessaire afin d’éviter la tentation de l’isolement, faux confort qui risque de m’entraîner dans la facile renonciation au combat. 




À ma droite, en compagnie de Jérémie Giles, Guylaine Simard
© Photo Rocket Lavoie - Le Quotidien


Halte rapide au centre d’hémato-oncologie pour la prise de sang. Je reviens épuisée de cette journée, mais, tel un mantra, je ne cesse de me dire : je l’ai fait et cela s’est bien passé. Je prends conscience que de se battre contre le cancer, c’est aussi se battre contre sa propre faiblesse.

Demain, quatrième traitement de chimiothérapie. Le dernier.


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jeudi 10 mai 2012

Chimiothérapie 3

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

Mardi 8 mai 2012

Premier faux pas : j’ai oublié les quatre doses de cortisones à prendre 24 h avant le traitement. J’en préviendrai la pharmacienne de l’hémato-oncologie qui en tiendra compte dans la prémédication avant la chimio.

Levée à 6 h, préparer collation (yogourt, clémentine, avelines, eau), douche, vêtements confortables et chauds, carnet de notes indispensable à ma mémoire, traversée du pont Dubuc à 7 h 40. Stationnement facile pour une fois. J’ai le pas fragile et tiens solidement la main de mon compagnon. Je monte vers le centre de traitement sans rien anticiper : ni douleur, ni les jours suivants. Je suis totalement dans le présent. J’en suis à la phase trois.

Je connais la routine : prendre numéro et attendre l’appel pour passer à la réception, dépôt feuille de route au comptoir du centre de traitement, attendre ouverture de la pharmacie pour confirmer ma présence et retour à salle d’attente, une fois encore très occupée. Dans la rangée du fond une dame soleil. Un chapeau du même jaune que son veston couvre la nudité de son crâne; cela fait du bien au regard de la voir si sereine, presqu’enjouée, se demandant si, elle la première arrivée, n’a pas été oubliée tandis que commence l’appel des numéros. À mes côtés un homme me raconte son cancer de la peau, lui qui ne va jamais au soleil. Cela a commencé sous le pied, mais il a fallu du temps avant d’avoir un bon diagnostic. Il n’est pas très optimiste et confie sa solitude dans le sous-sol où il demeure après un long séjour à l’hôpital. Plus tard dans la journée, j’entendrai à la télévision que « Le taux de mortalité pour tous les cancers au Canada a diminué de 21% chez les hommes et de 9% chez les femmes de 1988 à 2007.  […]  La Société canadienne du cancer prévoit qu'il y aura dans l'ensemble 47 600 nouveaux cas de cancer au Québec en 2012, et que 20 000 décès seront imputables à la maladie. » (Source : TVA )

Me voilà à la première phase : ma prise de sang a été faite la veille. On y gagne en temps pour le matin de la séance de chimio, mais cela permet surtout d’être prévenue si les plaquettes trop basses imposent de retarder le traitement. C’est la pesée : encore quelques kilos en moins, rien d’alarmant; j’avais - que dis? - j’ai de bonnes réserves. On poursuit avec l’installation du cathéter. J'ai droit à la dame douce de la dernière fois qui forme une nouvelle recrue. Les veines disponibles se raréfient. Elle en trouve une qui semble convenir. Hélas, il me faudra y revenir.

Passage à la pharmacie pour recevoir la cortisone de la phase 4 et transmettre la feuille de poids, donnée essentielle pour ajuster les doses de la chimio. Dès 9 h, mon infirmière, Geneviève m’installe dans le fauteuil numéro 8. Prise de la pression : 118-53 et prémédication : d’abord le bénadryl : sensation de brûlure

-    C’est normal, me rassure Geneviève.

Moi, j’ai un doute pourtant, car la sensation est plus intense que lors de la dernière séance

À 9 h 15, on passe ensuite au Zantac, puis on démarre  le Procytox (Cyclophosphamide) pour 30 minutes.

Mais la veine devient rouge et la trace ne cesse de monter vers le coude. J’explique qu’à la première séance, il avait fallu repiquer ailleurs. L’infirmière chef vient confirmer l’inquiétude de Geneviève. On me débranche et m’expédie au lieu d’installation des cathéters. C’est Jacques Savard qui s’occupe de moi.

-    Ça va piquer, prévient-il.

Je l’avoue, avec lui on sent passer l’aiguille… et pas qu’un peu. Premier essai refusé. Second essai trop incertain. Il tente une troisième fois en allant plus haut sur l’avant bras. C’est la bonne et le pincement oublié, le traitement va pouvoir reprendre bientôt, sans autre problème de veine. Enfin!  me dis-je : j’ai de la veine non?

À 10 h 10, visite de Karine, mon infirmière pivot, tandis que le Procytox coule en moi depuis 15 minutes. Elle me gronde un peu de n’avoir pas été prudence lors de la fièvre qui m’a affectée pendant deux jours. Le risque est toujours grand d’une infection, sachant surtout à quel point ma bouche a été attaquée. Ne pas oublier que la chimiothérapie affecte le système immunitaire et me rend plus sensible aux infections. Si je ressens de nouveau une fièvre de plus de 38,5 qui persiste plusieurs heures, c’est direction urgence où l’on pourra me traiter rapidement aux antibiotiques. 

À  10 h 25, en route pour le Taxatère. Seconde couverture chauffée, bassin de glace pour les ongles et départ de douceur à raison de 50 ml/h pendant 20 minutes. Tout va bien. À 10 h 52, 100 ml/h pour 20 minutes. Petite douleur à la poitrine et à la jambe droite, mais très supportable. À 11 h 10 on augmente à 200 ml/h pour 20 minutes. La douleur légère persiste, mais je me sens capable de continuer. À 11 h 30, c’est la totale : 400 ml/h . La barre dans la poitrine subsiste, mais c’est au dos que je sens une douleur croissante. Un barre horizontale entre les omoplates et un point brutal au creux de la colonne. Une toux sèche alerte mon infirmière. Il est 12 h 10, elle suspend le traitement et contacte la pharmacie. On hésite à me donner plus de médication. Un temps de repos s’impose, les douleurs s’estompent et le traitement reprend à 12 h 43 au rythme de 200 ml/h jusqu’à la fin.  Je quitte mon fauteuil à 13 h 30, une fois le rinçage des veines terminé.

Visite au médecin

Oh! joie. Rejean a devancé mon appel pour attendre avec moi la visite du Dr Houde. Il nous accueille gentiment tout en remettant de l’ordre sur la table de consultation. Il a toujours une petite tâche anodine à faire avant d’entreprendre la conversation. Je le soupçonne de profiter de cette ambiance bon enfant pour capter les ondes et sentir l’état d’esprit de son patient.

-    Les prises de sang sont belles, dit-il enfin. Mais à la limite de l’anémie.
-    Que puis-je faire pour l’éviter?
-    Arrêter la chimiothérapie, fait-il en souriant. Il n’y a rien à faire, sinon prendre soin de vous.

L’anémie explique mes étourdissements et ma fatigue. Il me recommande la patience pour les 10 à 12 jours qui m’imposent un temps mort.

-    Patience dit-il. Le corps se bat. Et c’est un très bon signe.
-    Et que fait-on maintenant?
-    Maintenir les soins tels que reçus depuis la seconde séance. Combattre la douleur avec la morphine, surveiller la température et ne pas hésiter à se rendre à l’urgence si elle persiste plusieurs heures en continu à plus de 38,3 – 38,5
-    Et la prochaine séance?

-    29 mai et je vous revois tout de suite après.

Bonheur de retrouver la maison. Picotement dans la bouche aussitôt pris en charge par le « magic mouth ». À 17 h 30, 16 mg de cortisone. Et pour la nuit, même si le mal de dos est supportable, je prends 2,5 mg de MS-IR. Je dormirai jusqu’à 4 h 44 du matin.

Le jour 1 de l’après 3e séance va commencer.

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dimanche 6 mai 2012

L'après deuxième séance de chimiothérapie

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.


19 avril, jour 1 de l’après 2

L’expérience sera-t-elle différente? Vétérante d’une première séance de chimiothérapie, j’anticipe l’après séance 2 avec une naïveté qui me fera perdre mes repères illusoires.

J’espérais ressentir cette énergie factice due à la cortisone du lendemain pour vivre agréablement ce premier jour de l’après deuxième séance. Mais la recommandation des mes alliés a été très claire :

-    La douleur peut vous nuire plus que le remède contre elle.

Pour chaque patient les réactions diffèrent. On se doit donc d’adapter la médication la plus adéquate. Dans mon cas, l’acétaminophène (Tylenol, novo-Gésic) se révèle insuffisant dans les douleurs fortes (6 et + sur 10). Solution? La morphine ou MS-IR 5mg.

-    Vous ne devez pas attendre la douleur, mais la prévenir. La régularité des doses est importante. Ici, on parle de 5mg aux quatre heures.
-    Et je vais passer mes jours à somnoler, ne puis-je m’empêcher de rétorquer.
-    Vous allez passer vos jours à récupérer vos forces.

Pas la peine de me rebiffer. J’ai désormais un infirmier autoproclamé qui a décidé de devenir mon maître soigneur attitré. Il se montre implacable et ponctuel… Et bien armé.

L’épisode qui a suivi la première séance de chimiothérapie m’a fait, bien malgré moi, explorer à peu près tous les effets secondaires appréhendés.  Nul besoin de refaire le récit de la page 18 : « Les jours d’après ». Je suis parée pour affronter les effets déjà vécus et, mieux, les éviter. S’ajoutent cependant des nausées à répétition. Oups! On a oublié de me donner une ordonnance pour du prochlorperazine. Un appel au pharmacien de l’hôpital et moins de 15 minutes plus tard, la pharmacie la plus près de chez moi est prête à me livrer le remède. Il me sera très utile, les trois premiers jours surtout, à raison de 10 mg aux six heures. Les deux jours suivants, j’y aurai recours à deux reprises pour un total de huit comprimés que j’aurai fort appréciés.

Je me retrouve donc à absorber plusieurs mixtures:
1. dernière journée de dexamethasone
2. anti-nausées pendant 4 jours :  prochlorperazine
3. anti-douleur aux 4 heures incluant la nuit : MS-IR 5 mg
4. massage au Valtaren sur les jambes et le dos, surtout au coucher.
5. Magic mouth : mélange de plusieurs médicaments dont du benadryl et du nystatin (antifongique) et du teva-prednisone, un corticostéroïdes. Efficace, mais assez cher et non remboursé par les assurances. C'est d'ailleurs le cas de plusieurs prescriptions pourtant si bénéfiques pour le patient.
6. Lactulose 30 ml matin et soir pour éviter les graves problèmes de constipation déjà connnus.
7. Gastrolyte, idéal pour l'hydradation, mais produit de luxe quand on sait qu'une dose revient à près de 11 $. J'en consomme 4 par jour.

Les jours se suivent sans surprise : grande fatigue, somnolence, de très courtes périodes d’énergie insuffisante pour lire ou suivre une émission à la télévision. Le rythme des heures est ponctué par les soins, la surveillance contre une fièvre instable qui se maintient à la limite de l’urgence (38,2 à 38,5). Mon infirmière pivot conseille à mon soigneur une surveillance étroite, mais pas de panique à moins que la fièvre continue de progresser et se révèle tenace. Dès lors, pas d'hésitation, direction urgence car il peut s'agir d'une infection.

Je peux à peine parler tellement ma bouche compte une multiplication de plaies. Mes menus se composent de glace, de jello, de crème vanille et de velouté.  Si j’ose un repas plus étoffé, c’est l’estomac qui se révolte. Mes nuits sont calmes, assommée que je suis par le duo morphine-bromazepan.

Au jour 10 de l’après 2, on réduit la dose de MS-IR à 2,5 mg pendant le jour.

La nuit du 28 au 29 avril je dors huit heures en continu. Pas de douleur. J’aborde le 11e jour d’après 2 avec un début d’optimisme à un retour de vie vivante, mais j’affronte un début de rhume que j’ose contrecarrer par 500 mg de tylenol matin et soir.  En prime une conjonctivite   affecte les deux yeux que je soigne avec des gouttes antibiotiques Optimyxin devant le miroir grossissant qui me révèle la perte de mes cils et mes paupières ravagées par des plaies dont viendra à bout le Polysporin triple antibiotique au bout d'une semaine.

J’ai presqu’envie de retourner au potager où je viens de faire un séjour de près de dix jours à l’état légume. La toux, le rhume, les yeux brûlants, la gorge douloureuse, l’absence d’appétit et les vertiges qui se multiplient, confirment une fragilité que je ne parviens plus à supporter. Je deviens impatiente, révoltée, prêtant aux autres un sentiment de lassitude et de ras-le-bol de moi que je sais injuste.

-    Vous seriez mieux sans moi. Je suis un poids mort. Je ne sers plus à rien. Dans quelques jours tout sera à recommencer. Je t’empêche de vivre. Tu n’as plus de temps pour faire ce que tu aimes…
-    Moi, je crois que c’est le temps d’un 55, réplique Réjean devant cette envolée verbale.

Je me rebiffe. Je ne veux pas être consolée. Je veux qu’on comprenne ce que je sens, ce que je vis. L’attrait de ses bras ouverts l’emporte un moment puis, avec l’aplomb de toute ma mauvaise foi, je conclus : tu vois… te ne comprends pas.

D’abord par son écoute silencieuse, il prouvera le contraire. Puis, le jour 13 de l’après 2, Réjean me conduit quelques heures au Refuge. Ma maison du bord du fjord me rappelle que ce que j’aime tant continue d’exister. Tout m’attend. Tous m’attendent.

Pendant quelques jours je retrouver quelques capacités pour rédiger lettres et communiqués de presse et réussir la mise à jour de ma comptabilité.


Je regarde mon installation-salon : fauteuil confortable, table de chevet à ma droite et trois chaise groupées à ma gauche où reposent mes livrets de note de santé, mon journal de bord quotidien qui me permet de rassembler les souvenirs nécessaires pour ce blogue, la trousse médicaments et l’ordinateur portable pour les grands moments d’énergie.

Et du 14e jour à ce dimanche, le corps chancelant mais l’esprit alerte, je me prépare au troisième combat. Demain, prise de sang pour évaluer l’état des globules blancs et, mardi 8 mai, troisième séance de chimiothérapie. 

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