En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


jeudi 25 octobre 2012

Joie et peur se côtoient



Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

La joie

J’investis toute mon énergie dans ma reconstruction. Chaque habileté reconquise me réjouit et me stimule à exiger davantage. 

- Tu es rayonnante, me dit mon fils dont le regard plein de tendresse me semble légèrement admiratif. Après lui, d’autres le diront et j’en aurai grand plaisir.


Moment heureux avec Isyëv - 15 septembre 2012

Le 28 juillet, j’ai recommencé à lire, malgré mes yeux larmoyants. Ce fut une page, puis plusieurs. Au bout d’une semaine je retrouvais ma cadence. À la mi-septembre, la table du salon était jonchée des livres dévorés. Un peu de tout : suspense, policier, romans historiques, histoire. J’ai particulièrement aimé Éva de Lucie Page, L’île sous la mer d’Isabel Allende, Charleston Sud de Pat Conroy. 

Le 7 août, je récupérais Max,  ma voiture délaissée faute de pouvoir conduire. Pour la reprise du volant, je me suis grisée des 30 kilomètres entre la Maison heureuse et mon Refuge du fjord. Puis j’ai savouré le simple fait de cette indépendance qui consiste à pouvoir aller et venir d’un lieu éloigné à un autre sans dépendre de qui que ce soit.

Le 20 août,  bien chaussée, bâton de marche en main, je franchissais mes premiers 500 mètres de côte, sachant aller plus loin tous les jours suivants. Début septembre je grimpais facilement mon premier kilomètre. Le 16 du même mois, j’atteignais mes 3,4 kilomètres.

Moins amusant et cependant significatif de cette reconstruction physique, se sont ajoutées les tâches ménagères : ménage, lavage, rangement, cuisine.

Tout cela  peut paraître bien anodin. Et pourtant, quand je pense à ces mois péniblement vécus, entre le lit et le fauteuil, terrassée par la douleur et les effets insupportables de la chimiothérapie, tout cela c’est vivre.

Je lis beaucoup de témoignages sur différents forums. Des femmes souffrent, s’inquiètent, se désolent, se révoltent. Il y a de tout : optimisme, colère, sentiment d’impuissance, résignation, combativité, courage, impatience. Et cela peut durer longtemps. Les douleurs subsistent malgré les années. Le cancer du sein laisse des traces psychologiques et physiques. Alors, pas question de pavoiser. La joie, lors de chaque étape de ma reconstruction, compense l'inconfort des blessures et la peur qui rôde quand se manifeste des symptômes inconnus.

La peur

Dans l’orgueil de mes escalades de plus en plus osées je me suis risqué à grimper le flanc ouest de ma montagne. Au 122e jour après la chimio, au 67e jour post radiothérapie et au 37e jour d’Arimidex, la tentation est grande de démontrer que rien ne m’arrêtera. Quelques heures plus tard, j’avoue que mon bras gauche me fait mal.

 Pourquoi m’inquiéter? Le repos fera son œuvre.

Certes, il n’y a pas encore eu de véritables répits à l’inconfort des cicatrices, aux élancements semblables à des coups de couteau ou, plus tolérables, aux fourmillements électriques rappelant la radiothérapie. 

Mais du 1er au 09 octobre le sein gauche devient très douloureux, chaud, gonflé et dur. Douleur permanente et non élancement.  Sensation que l’on tire sur les muscles à vouloir les arracher. Un mal si fort que les analgésiques ne soulagent pas. Seule la morphine (5 mg aux 6 heures) parvient à la rendre supportable.

Nuit du 8 au 9 octobre : réveillée par une douleur foudroyante. Je vois naître le jour.  Quand je me lève, ma robe de nuit et mon drap sont humides.  Je pense avoir renversé de l’eau en prenant un analgésique vers 4 h 30 du matin.

Journée du 9, je constate que mon maillot de corps est humide et taché. Je crois avoir été trop généreuse avec l’huile d’amande douce et crème aveeno.

Journée du 10 octobre. Pas mis de crème. Chemisette humide. Cette fois, je ne doute plus que le liquide vienne de mon sein. Je me fais un coussinet  de papiers mouchoirs. Très imbibé en peu de temps par un liquide jaunâtre. En soirée, je perçois franchement l’écoulement provenant du mamelon. Qu’est-ce encore?

Recherche vaine sur Internet concernant ce symptôme post radiologie.  Sur les mots écoulement mammaire, 105 000 résultats. Si je précise post opération cancer ou post radiologie, j’atteins 376 000 résultats.  Après des pages et des pages de lectures, je n’ai pas de réponse sur mon cas. Pas plus sur le site de la Société canadienne du cancer. Pas davantage sur les forums. Dois-je ou non m’inquiéter? La raison ne peut pas grand-chose contre l’émotion et la peur que surgisse une nouvelle complication.

Alors que mon inquiétude grandit, mon sein, lui, à légèrement dégonflé;  il est aussi moins douloureux.

Matin du 11 octobre, je constate que l’écoulement a encore eu lieu dans la nuit. Le sein est sensible, mais la grande douleur est partie.  Le sein est moins dur et la peau fraîche. Cependant, je choisis quand même de téléphoner à mon infirmière pivot en oncologie. Il est 9h30, je laisse un message. Ariane me rappelle vers 10 h. Je décris de qui se passe depuis onze jours. 

Le phénomène n’est pas habituel, concède-t-elle. Elle croit plus prudent que je sois examinée par mon médecin chirurgien ou, à défaut, en clinique externe du cancer du sein, ouverte sans rendez-vous le mercredi. Elle va trouver une solution promet-elle. Sa sollicitude me fait du bien. À 10 h 15, Ariane appelle de nouveau. Elle a réussi à m’obtenir un rendez-vous avec Patrick, pour mardi 16 octobre.

- Mais, d’ici là, si le sein devient enflé, rouge et chaud, même sans température, allez à l’urgence, car cela peut être une infection, insiste-t-elle.

On ne badine pas avec les infections quand il y a cancer du sein. Plusieurs battantes de mon groupe l’ont appris avec angoisse lors d’épisode de septicémie, ce à quoi j’ai heureusement échappé. 

Cinq jours d’attente. Bonjour l’angoisse. Si rationnelle que je puisse être, avec un soupçon de fatalisme (ne pas confondre avec résignation), je ne parviens pas à toujours occulter cette peur que tout recommence. Plusieurs expériences antérieures, d’un autre ordre que le cancer mais non moins graves, ont laissé des séquelles, sorte de chocs post-traumatiques qui me gardent en état d’alerte permanent et vulnérable à l’angoisse. Je contrôle relativement bien tout cela, mais impossible de ne pas penser que, oui, certaines femmes sont frappées plus d’une fois par un cancer. Et si le taux de survie est élevé, il y a tout de même des victimes.

Bien sûr, en ce moment je n’imagine pas le pire. Je me limite à la possibilité d’une simple infection. Laquelle peut guérir par les défenses de mon corps ou sinon, peut-être avec l’aide de médicaments dont décidera mon chirurgien. Une fois de plus, je prends note de l’importance, tant psychologique que médicale, de l’accès à l’écoute attentive et compétente d’une infirmière pivot. Je ne suis pas seule dans ce combat, mais entourée, réconfortée et soutenue. En moins de dix ans, confrontée pour la seconde fois au cancer, je mesure les progrès apportés à notre système médical. Je découvre la qualité humaine de notre personnel en soins de la santé.

Il m’arrive très souvent de penser à l’équipe du Centre d’hémato-oncologie. Pas plus que je n’oublie la très grande gentillesse et l’accueil plein de chaleur de mes jeunes techniciens en radiothérapie. Je pense à eux avec reconnaissance et le fol espoir qu’ils fassent partie d’un passé révolu.

Savoir enfin!

Impatiente de rencontrer mon médecin, j’observe le nombre de personnes arrivées avant moi dans la salle d’attente de la clinique. L’inquiétude domine sur les visages. Je tente de mesurer le désarroi, d’imaginer l’espoir, la peur. La porte du bureau s’ouvre soudain. Une dame en sort tout sourire : ce n’est pas un cancer, lance-t-elle triomphante à la personne qui l’attendait. Je lui souris, heureuse pour elle. Je refais mon propre scénario : la mammographie, le rappel, l’échographie, la biopsie, l’opération de la masse identifiée…  et l’attente des résultats de l’examen des tissus enlevés. L’appel de la secrétaire du chirurgien, le rendez-vous pour entendre le verdict.

Je laisse ma pensée s’accrocher à ce sourire heureux, jusqu’à ce que ce soit mon tour d’entrer dans le bureau où je ne devais revenir qu’en janvier, pour les résultats de la mammographie prévue quelques mois après les traitements.

La rencontre sera brève. J’explique. Il m'examine. 

Tout en manifestant son étonnement devant l’absence d’information sur ce symptôme, il assure que cela n’a rien d’inquiétant. C’est une inflammation. Le corps remplit le vide par un liquide. Le liquide a trouvé une voie de sortie par le mamelon.   

Dois-je tenir compte de mes escalades?  Si la prudence et la modération sont souhaitables, la mise en forme et l’activité physique le sont tout autant. 

- Et cela est possible après tant de mois après l’opération.
- Avec vous tout est possible, taquine-t-il.
- Cela peut durer longtemps?
- Six mois… un an. Écoutez,  votre sein a subi deux  opérations, puis  20 séances de radiothérapie. Il a été agressé. Il lui faut du temps pour guérir. Cet écoulement n’est pas inquiétant. C’est surtout dérangeant pour vous.

À mon tour je suis sortie du bureau tout sourire.

Aujourd’hui, au 146e jour après la chimio, au 91e jour post radiothérapie et au 61e jour d’Arimidex, ce petit inconvénient s’ajoute à ce qui persiste de ce combat contre le cancer : les ongles tombés, les sourcils qui tardent à pousser, l’inconfort des cicatrices, les larmes intempestives de l’œil gauche, les douleurs musculaires, les petites bouffées de chaleur nocturnes, l’insomnie occasionnelle, la fatigue soudaine. 

Peu importe, car  j’aime me réveiller le matin, impatiente de vivre ce nouveau jour et découvrir les plaisirs qui en surgiront. J’aime m’endormir la nuit, heureuse de ce jour vécu. Vivre.

***

dimanche 7 octobre 2012

Radiothérapie, difficile de l'oublier

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 


La douleur s'impose encore. J'en suis au 128e jour post chimio, 73e post radiothérapie, 43e jour d'Arimidex. J'ai des jours fastes, où pleine d'énergie j'ambitionne peut-être. Et la douleur, telle un  gardien de prison, m'impose des limites que je tolère mal.

De légères douleurs musculaires, une nuque sensible, à peine quelques bouffées de chaleur et une belle énergie me permettaient de croire que l'Arimidex était très tolérable. Je le pense toujours et espère que cela va continuer ainsi.

Mon erreur? Oublier que le bras gauche demeure vulnérable et doit donc être ménagé. Que le sein gauche a subi deux opérations, ce qui complique et retarde sa guérison. Que les symptômes de la radiothérapie peuvent se manifester de nombreux mois après le dernier traitement (entre 6 et 12, parfois plus). Chaque cas est unique, dois-je me répéter. Je ne suis pas une statistique, ni une moyenne. Je suis moi, avec ses propres effets secondaires, ses propres réactions et ses limites.

Et fière de mes marches répétées, en chemin très pentu, de 3,4 km minimum, je me suis permis d'aller plus haut, plus loin, en escalade, armée de mes deux bâtons de marche pour m'aider à grimper ma montagne à travers une forêt touffue. Au retour, j'ai senti que mon bras gauche avait été trop sollicité. Il s'en remettra, me suis-je dit, sans plus d'égard pour les tiraillements insistants, ce dimanche du 30 septembre dernier.

J'ai manifesté la même indifférence le lendemain, convaincue que le temps jouait en ma faveur. Le 2 octobre, le sein gauche dur et tellement enflé, brûlant et douloureux, j'ai quand même attendu la soirée pour chercher un peu de soulagement dans la morphine (5mg). Le lendemain, je résiste encore à prendre des anti-douleur, cherchant plus que tout à sauvegarder mon esprit éveillé. Le 4 octobre, j'arracherais mon sein si je savais cela capable de calmer le mal si grand que j'en ai des nausées, un violent mal de tête, une sensation de fatigue intense et peu d'appétit. Enfin! je déclare forfait et entreprends une médication systématique aux quatre heures. En fin d'après-midi, je retrouve le sourire et prends la résolution d'écouter la douleur et de la combattre. 

Aujourd'hui, trois jours plus tard de traitement intensif, je peux espacer la prise des analgésiques. Je retrouve, presqu'avec plaisir, les élancements fugitifs mais fulgurants semblables à des coups d'aiguille. 

Pourquoi ne pas être plus sage? Pourquoi chercher constamment à dépasser les limites? Pourquoi tant d'hésitation à prendre des anti-douleur? Parce que... 

Voilà dix mois que je vis avec le diagnostic du cancer, ses traitements et leurs conséquences. Je n'aspire qu'à une chose : que cela cesse. Que vienne la fin du mal, des souvenirs de ce qu'ont été mon printemps et mon été, que je puisse saisir à bras le corps ma vie en reconstruction. Même si je ne saurai que dans plusieurs mois si j'ai gagné la dernière bataille, même si je ne saurai que dans cinq ans si j'ai gagné la guerre, c'est aujourd'hui qu'il m'importe de vivre pleinement.

Je sais, mon enthousiasme est un allié. Mon impatience est une tentation à laquelle je ne dois pas céder. Ma raison sait. Le marin que je suis dans toutes les fibres de mon âme ne veut entendre que le chant du vent dans les voiles... et rejoindre Ulysse au pays des sirènes.