En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


vendredi 30 mars 2012

Chimiothérapie 1

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

28 mars

Ouf! Chimiothérapie 1. Il ne reste que trois séances.

J’ai bien tenté sauvegarder le plus de souvenirs possibles de cette première séance de chimiothérapie. Beaucoup d’interférences dans ce qui se passe : des émotions, de l’anxiété, un désir d’apprivoiser l’inconnu et, plus que tout, l’espoir.

5 h 45 : je devance mon réveil, préoccupée davantage par l’oubli de quelques tâches bénévoles à terminer pour un organisme culturel qui me tient à cœur. Des documents à expédier et quelques courriels à écrire pour tout orchestrer. Si j’en parle, c’est que cela fait partie du cheminement dans ce combat : il est plus difficile de s’abandonner que de continuer à vivre comme si tout était normal. Bonne ou mauvaise chose? Mon Réjean protecteur aimerait me voir plus soucieuse de me protéger. La terre va continuer de tourner sans moi… mais je n’ai peut-être pas envie d’y croire. Et cette pulsion à ne jamais lâcher, n’est-elle pas aussi une partie de ma force guerrière?

Douche, petit déjeuner, 16mg dexamethasone avalées, préparation d’un casse-croute pour l’hôpital, choix d’un livre et de musique pour mon iPod. Mon regard lorgne mon ordinateur portable. Je lis dans les yeux de mon garde du corps : « N’y pense même pas. » À défaut, j’apporte carnet et stylo.

7 h 20 : départ vers l’hôpital. Je me sens bien. Je me sens même en superbe forme. Et j’ai un bref sentiment de nostalgie à l’idée de ne plus l’être. Marchant sur les bords du fjord, la veille, je marquais les haltes repos possibles pour mes marches futures auxquelles je ne veux pas renoncer. Je prépare ma stratégie reconstruction.

En route

Centre hémato-oncologie. Je tire le numéro 42 et passe à la salle d’attente. Bien vite appelée au guichet pour l’inscription. Un papier à glisser dans la boîte de réception de la pharmacie. Un second à porter au centre de traitement pour ma prise de sang, pesée, mesure (impossible de convaincre ma préposée que 5’4 équivaut à 1m64 et non pas 1m60 comme l’indique sa feuille d’équivalence. Le temps d’un doute elle préfère croire son papier et m’inscrit en perte de 4 cm). Suit l'installation du soluté. 

Mon pharmacien attitré, le très sympathique Réginald Tremblay, me donne une première dose de cortisone, 8mg d’ondansetron en prévention contre les nausées. Il prend le temps de m’expliquer ce qui va suivre : je recevrai d’abord ma dose de cyclophosohamide et par la suite le taxotère. Donnés séparément, cela permet d’amoindrir le choc qu’inévitablement le corps va ressentir.  

- « Si picotement, douleur ou quelque malaise que ce soit, surtout n’hésiter pas à le dire », prévient-il.

Retour à la salle d’attente où deux écrans sont ouverts sur deux postes différents. La salle divisée en trois sections est bien occupée. Hommes, femmes et leurs accompagnateurs. Pas toujours des membres de la famille. Des bénévoles offrent leur temps pour véhiculer, attendre des patients qui n’ont personne pour prendre soin d’eux et partager leur angoisse. Il y a toujours de la grandeur chez l’humain.

Une dame coiffée d’un foulard, belle, dynamique est à ses côtés, en attente des résultats des analyses de ses plaquettes. Quand elle revient de son rendez-vous, elle dit au revoir, précisant que son traitement est retardé d’un mois. Ses plaquettes sont trop basses. C’est son quatrième cancer, confie-t-elle, ajoutant : « J’ai déjà gagné pas mal de temps, si je me rends à 60 ans je serai bien contente. » Ma gorge se noue.

Fauteuil numéro 10

Vers 9 h 30, je suis appelée.  Accueillie devrais-je dire par Marlène, mon infirmière attitrée et sa stagiaire dont le prénom m’échappe. L’infirmière chef, Line Bouchard supervisera au besoin.

Joie! On me demande si j’ai une préférence pour un fauteuil. Bien sûr, toujours là où il y a une fenêtre. Fauteuil numéro 10. J’ai compté une vingtaine de places, incluant quelques lits dans une pièce en retrait. L’ambiance est détendue, chaleureuse. Il y a les habitués qui observent les néophytes. Certains regards sont plus tristes que d’autres.


Chimiothérapie, le chaud et le froid
© Photo Réjean Leclerc

Il est 10 h. Bien assise, couverture préalablement réchauffée, c’est la coulée du cyclosphosphamide pendant les 30 premières minutes. Pas de casque protecteur pour les cheveux. Mais un bassin avec de la glace pour éviter la chute des ongles. La première étape se passe bien. 

10 h 34 : phase 2 le taxotère. Les gouttes coulent dans mes veines. Environ 15 minutes plus tard, je sens une douleur fulgurante au dos. J’en ai le souffle coupé tellement la pression est forte. Arrêt immédiat du traitement. On me donne de l’oxygène et le pharmacien accourt. Il explique que ce médicament est extrait des aiguilles d’if et peut provoquer une allergie.

La pause traitement a mis fin à la douleur. 11 h 20 : remise sous taxotère en moins forte dose. Des regards inquisiteurs surveillent mon état. Survient une pression douleureuse dans la gorge. Je le dis. Une toux provoque l'allerte. Stop! Mon pharmacien revient avec une injection de zantac. Suit une distribution de benadryl par le soluté. Ce dernier va provoquer de la somnolence, m’avertit Réginald. « Ah!? De toute façon je ne suis pas très occupée aujourd’hui! » Moins drôle est l’avertissement de sensation de brûlure et de montée rouge de la veine. À surveiller, sinon il y a risque d’éclatement et de voir s’épandre le remède sous la peau. Marlène surveille attentivement la montée rouge qui effectivement se manifeste, bien que la sensation de brûlure ait disparu.

12 h 25 : reprise du taxotère à raison de 25ml/h.
12 h 45 : on augmente à 50 ml/h
13 h 05 : un x sur ma peau pour souligner la progression de la veine rouge.
13 h 17 : taxotère à 100ml/h. Il semble que le benadryl soit efficace.
13 h 39 on passe à 200ml/h. Tout va bien, si ce n’est que Marlène soucieuse sollicite l’avis de l’infirmière en chef. Avec raison, celle-ci interrompt la coulée, le temps de replacer le cathéter dans une autre veine.
14 h : taxotère à 400ml/h
14 h 45 : début nausées, légère douleur au dos, somnolence. Nouvelle injection de ? pour m’aider.
15 h 30 : Fin. Et dernières instructions dont je me souviens plus ou moins. On me remet de la documentation, m’invite à ne pas hésiter à téléphoner et me donne une trousse de soins pour les dents, la peau et les ongles. Je me sens passagère en classe affaire pour un vol vers la guérison.

Retour à la maison

Sensation de fatigue extrême, mais plus encore bonheur d’être de retour à la Maison heureuse. Tendre moment avec les enfants venus faire des câlins à leur Mamieke. La vie est là. Ma vie. 

*** 

mardi 27 mars 2012

Des cheveux courts

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27 mars

Demain, Christiane retourne au combat. Je me prépare de toutes les façons.

Ma cote de mailles est tricotée des pensées chaleureuses par vous envoyées. Mon armure est bardée de tous les rires partagés. Mon esprit se dresse orgueilleux de l’amusant pied-de-nez fait au cancer lors de mon dîner d’anniversaire où le crabe a été dévoré dans une ambiance festive.

Hier, j’avais rendez-vous avec Clément, mon coiffeur musicien qui transforme la coupe de cheveux en accords de guitare. Une coupe très courte, la plus courte. 

 Sous les ciseaux de Clément Tremblay, parée pour la chimiothérapie
© Photo Christiane Laforge
 
Cela, en prévention de la perte complète de mes cheveux qui surviendra, prédisent mes médecins, dix jours après le premier traitement en chimiothérapie. Par cette coupe, j’affirme que je dirige les opérations sans crainte des pertes inévitables. C’est le cancer qui m’a attaquée, mais c’est moi et mes alliés qui lui faisons la guerre.

Ce matin, en prenant mes comprimés de dexaméthasone, pour prévenir certains effets secondaires du traitement, je mesurais mon avancée sur le terrain. Oui, j’avance sans plaisir. Oui, tout l’inconnu des prochaines semaines me fait peur. Oui le meilleur et le pire se disputeront mon corps.

Demain, 8h, je serai au centre d’hémato-oncologie, au 2e étage de l’hôpital de Chicoutimi . En attendant, je continue de m’informer sur la chimiothérapie, sachant cependant que chaque cas est unique. Donc, en toute modestie, je suis unique!

Avec toutes les limites inhérentes à mon statut de patiente et non de spécialiste, je tenterai de partager ce que je vois le plus souvent possible.

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vendredi 23 mars 2012

Premier pas en hémato-oncologie

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23 mars

Mardi 20 mars 14h30 je me retrouve dans la salle d’attente du service d’hémato-oncologie de l’hôpital de Chicoutimi. Divisé en trois sections vitrées, ce lieu de patience réunit évidemment des personnes en guerre contre le cancer. Des hommes et des femmes en phase combat, la plupart accompagnés heureusement.

Devant moi un homme d’automne et son fils en fin de printemps. Je ne les vois que de dos et je ferme l’oreille à ce qu’ils disent tout bas. Je ne veux pas être indiscrète puisqu’eux-mêmes se font discrets. J’aime l’image de ces deux chevelures, grise et brune, rapprochées dans le murmure.

À différents moments, des appels sont lancés. Le nom d’un patient invité à se rendre à une porte numérotée. Je regarde une dame âgée passant à petits pas, la tête couverte d’une tuque qui m’envoie un aperçu de ma propre tête dénudée dans quelques semaines.

Je surveille la porte du bureau numéro 1 où se trouve l’oncologue qui va m’accompagner au printemps et une partie de l’été. Je l’ai aperçu entre ses sorties et entrées : un homme très grand, jeune, le pas pressé. D’autres personnes y accèdent avant moi, chacune avec sa propre histoire. Au fil du va-et-vient entre les différents locaux je n’ai vu aucune larme.

Une heure vient de s’écouler quand j’entends mon nom. Je suis une parmi d’autres avec son compagnon. Nous entrons et prenons place face au médecin qui nous accueille gentiment puis retourne aussitôt à son ordinateur ouvert sur des pages de mon dossier médical. Un dossier qu’il a pris le temps d’étudier admet-il, afin de me donner la médication la plus appropriée.

Nouveau bilan de mon cancer. De nouvelles précisions encourageantes. Sous réserve de mon inexpérience en ce domaine, disons que l’on exclut le marqueur Her2 de mon cancer ce qui accroît mes chances de victoire.

Opérations réussies. Les examens de l’ensemble du corps permettent désormais d’écarter toute trace de cancer... de cancer visible. C’est pour l’hypothétique présence de cellules cancéreuses invisibles que l’on envisage la chimiothérapie (4 séances aux 3 semaines) et l’hormonothérapie pendant 5 ans. Sans oublier l’incontournable radiothérapie qui suivra, un mois après la chimio.

-    Il n’y a plus trace de cancer, répète mon oncologue. Alors pourquoi vous injecter un poison?  On le fait peut-être pour rien. Mais, c'est la meilleure garantie.

Voilà sans doute une question que l’on doit se poser. J’ai beaucoup lu sur le sujet, avertie que je suis depuis le début de devoir subir une chimiothérapie. Je lui en fais part. Il comprend que j’ai compris.

-    Je veux être bien certaine qu’il n’existe même plus l’ombre de ce crabe. Je ne veux même pas imaginer qu’une parcelle puisse nous avoir échapper.

Je suis consciente que ce n’est pas sans risque. Je crois que le bénéfice est plus grand que les inconvénients. Je râlerai sans doute pendant les semaines à venir, mais jamais je ne détournerai les yeux de l’objectif ultime : guérir.

-    Vous utiliser le mot guérison ou rémission?
  
-    Je n’aime pas le mot rémission, rétorque le médecin. Cela sous-entend que le cancer est toujours là. 
   
-    Moi aussi, je préfère le mot guérison.

Une fois la décision prise, le Dr Houde m’explique les grandes lignes du traitement. Dans mon cas, il s’agit d’un protocole utilisant deux médications. Si je me souviens bien, cela se traduit par taxotere et cyclophosphamide  ou dans le jargon médical TC. 

Nous refaisons le point sur les effets secondaires. Il me rassure quant aux vomissements appréhendés. Une médication préventive nous est donnée pour éviter cela. Du dexamethasone 4mg m’a été donné. Deux comprimés matin et soir 24 heures avant le premier traitement. Idem le jour même et le surlendemain. J’aime bien l’idée d’occulter les nausées, mais j’espère ne pas troquer un désagrément pour un autre. Je lis ici : « Si le dexaméthasone diminue les nausées, il cause toutefois des effets secondaires tels qu’insomnie, indigestion, anxiété et changements d’humeur. » On le saura bientôt.
Ma première séance aura lieu la semaine prochaine, le 28 mars me prévient Karine au lendemain de ma visite. Un report de quelques jours à ma demande :

-    Est-ce un problème si on retarde de quelques jours? Le 24 mars, c’est mon anniversaire et je voudrais être en bonne forme pour manger du crabe.
   
-    Du crabe? Et pourquoi du crabe?
   
-     Pour montrer à mon cancer que c’est moi qui le dévore. Pas l’inverse.


À la pharmacienne qui apportait mes comprimés de dexamethasone en s’informant du jour de mon traitement, il explique aussitôt :

-    On commencera seulement la semaine prochaine car il faut d’abord manger du crabe. C’est très important, insiste-t-il devant son regard étonné.

Je lui souris, ravie.

Cette première rencontre avec l’oncologue m’aide à apprivoiser la prochaine étape. J’ai confiance.

Suit un premier face à face avec mon infirmière pivot, la dynamique Karine Martin au bureau tapissé de dessins d’enfants. Ceux des siens et de ses petits patients. Je trouve cela vivant, chaleureux. La froideur ne s’est pas installée dans ces lieux, l’indifférence non plus.

Karine complète l’information abondante déjà reçue, veillant à ne pas trop en ajouter non plus. On ne peut pas tout retenir en une fois. Elle propose la visite du centre de traitement.
 Un exemple de la salle de traitement, celle de l'hôpital Saint-Sacrement, Québec
Une porte vitrée s’ouvre sur un univers qui m’impressionne : une longue rangée de fauteuils accompagnés de l’équipement nécessaire à l’injection des produits chimiques. Pas de patients dans la salle. Il est plus de 16h. Seule l’infirmière qui les accompagne dans leur traitement est là, le regard lumineux et un grand sourire pour saluer sa future cliente.

***

samedi 17 mars 2012

L'antre de la caverne

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Il pleurait sur Chicoutimi ce vendredi 16 mars, alors que je me rendais au rendez-vous post opératoire 2 pour entendre le verdict. Mauvaise nuit, anxieuse que j’étais malgré tout pour la suite. Non, il ne faut plus espérer un revirement. Je n’échapperai pas à la chimiothérapie imminente.

-    Bonne nouvelle, annonce mon chirurgien, les résultats sont négatifs.

-    C’est positif! Conclut mon amoureux- garde du corps qui tient mordicus à être présent à tous mes entretiens, soins et traitements.
 
-    C’est positif, assure le médecin, manifestement content de l’état de mes cicatrices et du contrôle réussi des enflures provoquées par le liquide lymphatique.

Si l’on veut imager la cicatrice sous l’aisselle, pensons à un vêtement déchiré, puis recousu sans l’ajout d’une pièce. Cela fait pli et rétrécit le tissu qui ne s’étirera plus jamais complètement. Il subsiste un inconfort qui s’atténuera sans disparaître totalement. Par contre, la cicatrice au sein est « belle ». En recoupant exactement au même endroit, on évite d’accentuer la blessure et le galbe reprend sa forme habilement préservée par le chirurgien.

-    Ce n’est que partie remise m’ont prévenue les expertes, la radiothérapie va transformer ta peau en cuir.

J’ai parlé à l’imparfait des douleurs énoncées dans une page antérieure. Après une fin de semaine d’une douleur permanente et pénible, une prescription d’analgésiques opioïdes (MS-IR) m’a été délivrée par mon médecin traitant. Deux prises de 5mg les deux premiers jours, de quoi retrouver le sourire. Une prise par jour de 5mg les deux jours suivants, puis zéro depuis le cinquième jour, de quoi retrouver l’imparfait.

-    Pas de soulagement avec les tylenols, lui dis-je, et je les digère très mal.

-   Cela prenait quelque chose de plus fort,
concède-t-il, content de mes ressources.

Examen terminé, on se retrouve face à face pour parler d’avenir. Au moins les six prochains mois en chimiothérapie. Chaque personne réagit différemment. Entre le pire et le moins pire. Dans son regard, je pressens qu’il jauge ma force combattive. Il lance :

-    Vous allez perdre vos cheveux

-    J’espère qu’ils repousseront bouclés. J’économiserai sur les permanentes.

-   Cela arrive souvent,
rétorque-t-il en souriant, expliquant plus sérieusement les possibles changements qui peuvent survenir.

On peut bien badiner, le sujet n’en est pas moins grave. Ce qui m’attend est une chimiothérapie adjuvante, c’est-à-dire qui suit un traitement chirurgical. « Elle a pour but de réduire le risque de récidive du cancer à distance (métastases), en agissant sur d’éventuelles cellules persistantes et non détectables après la chirurgie. »(source)

En quittant le bureau, où je ne reviendrai que dans quatre mois, je déclare terminée l’étape 1, en deux prises, qu’est l’extraction des masses cancéreuses. En route vers la seconde quête… il y a une princesse à délivrer.

Aujourd’hui, alors que le ciel troque le gris brouillard du matin contre un bleu nénuphar du midi, j’avance vers un mardi importun. Je me sens fauve au seuil d’une grotte obscure, dans un va-et-vient mental où il n’y a pas d’issue. Pour combattre l’ennemi je dois entrer dans les entrailles de ce lieu inconnu, effrayant. J’y affronterai inconfort et douleur. Et nul ne peut affirmer hors de tout doute que j’en sortirai indemne.

dimanche 11 mars 2012

Infirmière pivot

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Semaine laborieuse où l’écriture a occupé toute la place. Profitant d’un répit médical imposé par le délai d’attente postopératoire pour connaître le fin mot des analyses, j’ai rythmé mon temps comme une semaine régulière de travail. Objectif : rédiger deux textes majeurs que je dois livrer avant le 25 mars.

De longues heures devant l’ordinateur pour la recherche et la rédaction… comme jadis. Si j’en crois la cadence de mes pas dans mes kilomètres qui me mènent toujours plus près du sommet de la grande côte du rang Saint-Joseph je suis en bonne forme physique. Pourtant, au sixième jour de mon labeur imposé, je ne suis que douleur dans la nuque, le dos. Comme souvent au temps du travail régulier. Je me gronde de retomber si facilement dans le piège de mes excès d’horaire au clavier.

Et cela aurait pu me plaire parce que, pendant ce temps, ce fut souvent comme si le cancer cessait d’exister. Il ne se laisse pas oublier si facilement. À la douleur soudaine d’un coup de scalpel ouvrant la chair dont je parlais dernièrement, se sont ajoutées d’autres sensations désagréables. La cicatrice sous l’aisselle donne l’impression de refermer le bras sur un morceau de bois pénétrant sous la pression. Et le sein gauche irradie d’élancements presque constants, semblables à un coup que l’on se donne en se cognant contre le coin d’une table tout en devenant d’une lourdeur que je ne parviens pas à soulager. Devant l’inefficacité des antidouleurs je me suis résignée à prendre le dernier comprimé de morphine (5mg) qui me restaient sur les 20 prescrits après l’opération. Soulagement temporaire. Et après?

Infirmière pivot

Devrais-je téléphoner à mon infirmière pivot en oncologie? Laissons-lui son dimanche. Ce service existe depuis 2006. Elles ne sont que six dans la région pour répondre à de nombreux appels. De quoi s’étonner et apprécier leur constante disponibilité.

Justement, la semaine dernière CBJ a entrepris une série d’entrevues sur le cancer, afin de souligner la levée de fonds de Leucan dont le point culminant avait lieu samedi par une journée de ski au Mont Lac-Vert. Mercredi, l’invitée de Jean-Pierre Girard à L’heure de pointe était Karine Martin, infirmière pivot en oncologie. Celle-ci a bien décrit l’importance de ce service offert au malade et aux membres de leur famille, car explique-t-elle :« ... pour eux la terre a cessé de tourner.  Nous on est là pour essayer de faire tourner la terre un petit peu. »

L’infirmière pivot est le trait d’union qui assure un lien entre le patient et les services disponibles. Mais c’est aussi une oreille experte et attentive.

***
Heure de pointe à CBJ : le lien

samedi 3 mars 2012

Au jour le jour


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27 février

L’énergie revient plus rapidement que lors de l’opération 1. Il est vrai que l’intervention a duré moins longtemps. Cette fois, j’espère profiter pleinement de cette parenthèse entre opération et chimiothérapie. Car c’est ainsi que j’apprends à vivre. En acceptant chaque jour pour ce qu’il est. Il y a des mauvais jours, comme samedi dernier. Douleur, nausées et fatigue. Il y a des bons jours comme ce lundi alors que le corps est comme une rivière délivrée de sa prison de glace.

Visite de ma grande amie L. cet après-midi. Trop courte visite pour combler les 500 kilomètres qui nous séparent depuis une décennie.  Elle me condamne à l’optimisme, se présentant pour preuve que l’on peut vaincre le cancer. Ajoutant exécrer le mot « survivante » utilisé pour les femmes ayant combattu avec succès le cancer du sein.

-    On n’est pas des survivantes, assure-t-elle, mais des victorieuses. On l’a vaincu.

-    Survivre : « réchapper à une catastrophe » définit l’encyclopédie internaute. Résister, continuer, demeurer, persister, rester.

-    Mais je te le concède, lui dis-je, j’aime bien l’idée de la victoire.  

28 février

Journée moins glorieuse. Trop abusé d’une énergie fragile. Le besoin d’aller marcher est impérieux. J’ai rebroussé chemin à mi-parcours, tristement heureuse de retrouver les bras de mon fauteuil.

Depuis fin janvier, surtout après mon entrevue à CBJ, j’ai reçu plusieurs témoignages. Des « victorieuses » soucieuses de m’encourager. Des agressées récentes qui avouent envier mon aveu public. Leur crainte est le regard des autres. Surtout le regard de l’autre :

-    J’ai épousé une femme complète. Pas question que je reste avec une demi-femme, lui a-t-il dit en la quittant, me raconte une dame outrée.

Elles craignent la pitié autant que le dédain. Le cancer du sein atteint la femme dans sa féminité et dans l’expression de sa sensualité. Elles ne veulent pas seulement survivre. Elles veulent vivre.

En phase combat, la préoccupation ne concerne pas ou peu les perspectives de reconstruction du corps mutilé. (Si ma recherche est bonne, il semble que la reconstruction mammaire post mastectomie pour tumeur maligne, que ce soit sur le sein mastectomisé ou sur le sein controlatéral, est d'emblée autorisée. Ceci s’applique aux codes 1386 et 1388.) Source RAMQ. Cela fait partie d’un « après » encore lointain. Tout comme la perte des cheveux : perruque, foulard, tonde?  Curieux que ces questions préoccupent tant les personnes non concernées, me suis-je dit.

Au cumul des témoignages, je comprends mieux pourquoi le silence des femmes. Le mot cancer frappe de plein fouet celle qui reçoit le diagnostic, mais tout son entourage est ébranlé. La majorité des « autres » se précipite sur les statistiques rassurantes de rémission.

-    C’est le cancer qui se soigne le mieux, me dit-on souvent.

-    Oh! que je suis contente!,
que j’ironise en silence. De quoi devrais-je me plaindre?
 
En fait, je ne me plains pas. J’affirme un fait : j’ai un cancer. Je confirme une action : je me bats. Et quand la douleur me rappelle le coup du scalpel ouvrant ma chair je râle. Cette soudaine sensation d’une coupure profonde qui m’assaille plusieurs fois par jour m’indispose.  
 
29 février

Pas question de musarder. Aujourd’hui je grimpe au moins le tiers de la grande côte.

-    Avance Christiane. Marche vers demain.

Au retour, appel de mon infirmière pivot, inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles depuis la seconde opération. Je la rassure et décris mon quotidien. Elle me gronde gentiment.

-    Vous voulez aller trop vite. Vous venez tout juste de subir une seconde intervention. Donnez-vous le temps de récupérer.
 

Contente d’apprendre que je m’entête à aller marcher, elle m’a recommandé un peu de modération dans mes autres exercices.

-    Ah!? Je ne peux pas encore commencer les poids et haltères?

-    Surtout pas,
réplique-t-elle alarmée, avant de comprendre que je la taquine.

Elle ne semble pas pressée de raccrocher. Chaque fois, ces infirmières qui nous soutiennent me convainquent de leur disponibilité. Je les sens attentives. Les questions sont pertinentes et visent à entendre aussi ce que je pourrais taire. Justement, je m’inquiète de mon futur oncologue. Un congé de paternité l’a éloigné temporairement. Toujours à l’affût du bon côté des choses, je me dis que la seconde opération a suffisamment retardé le traitement en chimiothérapie pour lui donner le temps de revenir au travail. Un papa tout neuf, cela augure bien dans un combat pour la vie!

***  

vendredi 24 février 2012

Opération 2


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La veille de la seconde opération s’est déroulée dans le calme. Quelques courriels pour dire « Je pense à toi », mais pas de fiesta familiale avec les enfants ni de regards inquiets. Et finalement, pas de petite valise non plus en prévision d’une hospitalisation, convaincue de rentrer à la maison le jour même. Je mémorise chaque moment comme une simple observatrice. La même histoire et pourtant elle n’est pas identique.

C’est logique. Il n’y a plus l’espoir que ce soit un cancer sans gravité. Il n’y a plus le doute non plus sur sa réalité. On a cerné l’ennemi. On sait comment le vaincre. Cette opération prise 2 consiste à extirper de mon sein toute trace visible de ce cancer.

Je m’inscris à la réception avec l’assurance de celle qui sait où elle va. La salle d’attente déborde. Des couples, des parents, des enfants. Les futurs opérés et les accompagnateurs. Les appels se succèdent. M. ou Mme x salle 1 ou salle 2 dont on revient un bracelet d’identité au poignet pour l’un et un papier avec l’horaire et les directives pour l’autre.

À ma gauche, un jeune couple lit le dépliant bleu qui explique le déroulement de l’opération et les instructions post opératoires. Devant moi, un homme attend le retour de celle qu’il accompagne. Elle surgit souriante et murmure à son oreille : c’est négatif. Sa joie me plaît. À l’hôpital quand le résultat d’un examen est négatif cela veut dire que c’est positif… une bonne nouvelle!

À mon tour d’aller en salle 1. Je suis accueillie par une jeune femme qui se dit prête à répondre à mes questions. Sauf qu’elle n’a pas de réponse à la seule question que je pose. Je signe les autorisations requises pour la chirurgie et pour l’anesthésie et retourne en salle d’attente. Prévoir encore une heure avant le prochain appel.

Le 16 janvier, la préparation avait lieu autour d’un lit. Cette fois, j’ai droit à un fauteuil verdâtre d’une autre époque. De l’autre côté du rideau, un jeune garçon se prépare pour une intervention typiquement masculine. Il rigole à l’idée de la réponse qu’il veut donner quand on lui demandera s’il est bien à jeun : « Seulement des œufs, bacon, saucisses », répondra-t-il. Ce n’est que tout bas, un bref moment avant, qu’il avoue à sa mère : « Ça me fait peur ».

Les pieds gainés des longs bas blancs et couvre chausses, coiffée du bonnet bleu, vêtue d’un peignoir blanc, je tente de me réchauffer sous le drap, taquinant Réjean contraint de rester debout pour la prochaine demi-heure : 

- Moi je suis la patiente, mais c’est toi qui es patient.

Quelques revues traînent sur le bord de la fenêtre. Je risque un œil sur la plus récente (2003) au titre racoleur : « Ce qui séduit les hommes ». Ouf! Ces messieurs ne revendiquent pas des seins sans cicatrices. Ils veulent des amantes imaginatives, entreprenantes et sans attentes.

En route

Le jeune homme protecteur du 16 janvier est remplacé par une dame d’expérience. J’en profite pour poser des questions. Par exemple les noms des oncologues, curieuse de connaître celui qui s’occupera de ma chimiothérapie. Le trop court trajet ne lui donne que le temps de se présenter et de m’assurer que c’est elle qui va prendre soin de moi pendant l’intervention. 

La salle d’opération est plus petite que la première fois. Trois infirmières se préparent, prennent connaissance de mon dossier. On marque mon bras gauche d’un x. Une précaution pour éviter de se tromper de côté. Moment de doute : je veux que l’on me confirme le nom de mon chirurgien. Cette fois, il ne viendra pas me saluer avant et me dire les mots rassurants : « tout va bien aller ». Je n’ai que le temps de voir le bleu des yeux de mon anesthésiste, Édith Massé. 

- J’aime ce prénom, lui dis-je. Il est rare et il m’est précieux.
- C’est vrai qu’il est rare, réplique Denise. C’est comme des Denise, c’est un prénom qu’on ne retrouve plus chez les nouveaux bébés.

J’ai à peine le temps de sentir qu’on installe mon soluté, d’entendre qu’on va me faire une injection et puis qu'on me mettra un masque pour l’anesthésie… que je refais surface le temps d’exprimer la douleur ressentie. Rien n’est précis, je sens une présence, puis me réveille dans un autre environnement. Des impressions se succèdent, se confondent, surgissent, disparaissent. Je m’agrippe à ce début de conscience retrouvée. Je tiens à m’éveiller, à sortir de ce brouillard. Objectif ultime : rentrer chez moi. Plus de sept heures de sont écoulées depuis mon arrivée au sixième étage de l’hôpital de Chicoutimi.

Habillement, chaise roulante, voiture, halte pharmacie et, oh! réconfort, maison.

Surlendemain

Je flotte agréablement dans cet environnement chaleureux. Je suis orgueilleuse de me sentir à ce point en forme, jusqu’à ce que je découvre que cet état de bien-être et sans douleur n’est pas étranger au fait que la dose du médicament prescrit est cinq fois plus forte que ce que j’avais eu à la première intervention. À l’humilité retrouvée se joint un élan de gratitude envers mon chirurgien qui me soustrait ainsi au difficile lendemain de l’opération précédente.

J’apprivoise l’idée que ne rien faire aujourd’hui est ce que je peux faire de mieux.

Demain, il sera encore temps de m'interroger sur ce curieux clapotis qui se manifeste dès qu'un mouvement fait bouger mon sein gauche.

***

lundi 20 février 2012

Le temps est différent


  Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

Les jours se succèdent, mais il y a une différence. Le présent bat le rythme de l’attente d’une étape. Le futur est une grande scène de théâtre où les rideaux fermés cachent le décor. J’ignore tout de ce qui va se jouer, hormis ma vie.

Petite retour sur les jours précédents
 
Après la seconde ponction, le soulagement a été de courte durée. Le lendemain, l’enflure a repris sa place. Le surlendemain la douleur s’ajoute à l’inconfort. 
 
Je sais ne pouvoir rejoindre ni mon chirurgien, ni mon médecin de famille avant lundi. Je tente de trouver, une fois de plus des réponses sur l’Internet.

Cela demeure dans la normalité me répète ma raison. Pour la plupart des opérées 80% n’auront pas à recourir à une ponction. Pour 20% il peut y en avoir une ou plusieurs. Plus je sens croître cette « grosseur » liquide plus je m’éloigne de tout ce qui n’est pas cette sensation désagréable. 
 
Au bureau du chirurgien, la secrétaire m’assure un rendez-vous pour le jeudi 16.  Sensible à mon désarroi et aux consignes du médecin, elle s’engage à communiquer avec lui dès lundi au bloc opératoire afin qu’il puisse me recevoir à l’hôpital. Je sens et apprécie que l’on se soucie de moi. En même temps, j’apprends que pour une personne souffrante ou en détresse les samedi et dimanche sont des ennemis.
 
Je dois trouver une solution temporaire. Pourquoi pas de la glace? Les compresses souples légèrement coussinées que l’on met au congélateur sont requises. Le froid et la pression ne réduisent rien, sinon qu’elles me donnent l’impression de contrôler l’enflure. Illusion, me dira le médecin, le froid n’y est pour rien. Par contre, la pression a pu aider.

Tel que promis, je suis vue par mon chirurgien à la clinique externe de l’hôpital. Ponction 3 de 280 cc. 

Suivie d’un pansement destiné à faire pression pour maintenir collée peau contre chair. Je quitte la clinique toute joyeuse de mon bras retrouvé. Je bats des ailes pour savourer. Le jeudi, retour au bureau du médecin pour enlever le pansement et constater une nette amélioration. Si ce n’était de la cicatrice qui… mais là vraiment, je crois que je vais tolérer. Un certain temps du moins!

Entre deux temps
 
De retour à la maison, je compte bien profiter des cinq prochaines journées. La parenthèse souhaitée avant la seconde opération du 22 février. J’aspire à oublier, un moment, que je fais partie des femmes touchées par le cancer du sein.

J’y arrive souvent. Jamais totalement. Non pas pour me plaindre ou courber l’échine. Non, simplement parce qu’il m’est impossible de faire des projets à court terme, sachant que dans un mois, commencera la chimiothérapie. Parce que chaque matin je m’éveille de plus en plus tôt et que la première pensée qui traverse la brume de mes rêves, c’est le cancer. Je tente d’écarter le mot qu’aussitôt tourbillonnent dans ma tête toutes les tâches qu’il me faut absolument terminer avant de ne plus en avoir la capacité. 
 
Je prends conscience d’un temps qui n’est plus comme avant. J’ai vécu des urgences santé frisant la catastrophe. Plusieurs fois. La chute brutale. La vie sauvée. La reconstruction. La différence avec le cancer, c’est qu’il nous habite.  Un envahisseur sournois qui exige un abandon, une confiance totale envers ces médecins dont la science et l’expérience sont mes alliés.

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jeudi 9 février 2012

Les petits deuils

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Depuis que ma petite-fille Élika a découvert sous le sapin de Noël l'enveloppe contenant SON billet d'entrée pour l'opérette de la Société d'art lyrique du royaume, Les Brigands, j'anticipais le plaisir de l'accompagner à cette soirée. Tout un privilège pour une petite de 4 ans. La grande sortie avec son Papili et sa Mamieke.

L'intervention d'hier n'a pas eu l'effet souhaité. Inconfort, douleur croissante et malaise insidieux depuis la nuit dernière. Je reste à la maison. La maman d'Élika hérite de mon billet. J'entends le silence qui suit le départ de la voiture où la petite a pris place avec des cris de joie. J'entends le silence de ces petits deuils qui se multiplient depuis décembre. 

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mercredi 8 février 2012

Ponction... prise 2


 Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.


 
Questionné sur la probabilité de recourir une seconde fois à la ponction du liquide séreux postopératoire, mon chirurgien avait répondu :

-    Peut-être. Et si cela est, ne surtout pas tarder à prendre rendez-vous, insista-t-il.
-    Oui, oui… Je promets de ne plus attendre.


Après trois jours de répits, la probabilité devient une certitude. Premier hic : le bureau médical n’est pas ouvert en fin de semaine.  Attendre lundi. Appel à mon chirurgien où on ne répond au téléphone qu’entre 13h et 16h30. Quand la ligne est occupée, pas d’alternative, sinon de recomposer plus tard. Mon plus tard est devenu trop tard passé 16h30. Je recommence mardi 13h01, avec succès vers 14h.

Pas de chance, mon chirurgien est absent pour la semaine. 

-    Est-ce qu’un autre médecin de la clinique peut le remplacer, puisqu’il m’a recommandé de ne pas attendre? 
-    Non,
se désole mon interlocutrice, pas avant lundi prochain.
-    Que puis-je faire?
-    L’urgence,
suggère-t-elle.
-    Je risque fort de ne pas être une urgence. Je vais plutôt aller voir du côté de mon infirmière pivot.
-    Oui, c’est une bonne idée!
dit-elle manifestement soulagée.

L’infirmière pivot en oncologie est l’ange gardien des cancéreux.  Pourtant, malgré ses propres tentatives, elle me rappelle pour me dire qu’elle n’a pas de solution en vue. 

Même si tout cela est décrit comme faisant partie du processus de guérison normal qui va s’estomper avec le temps, l’importance de l’enflure, la douleur de mon bras et la sensation d’avoir ma peau qui se décolle de ma chair me convainc de rejoindre mon médecin de famille. Je franchis le premier « impossible cette semaine » et obtiens l’assurance que mon appel lui sera transmis.

Quelques heures d’attente… confiante cependant, sachant qu’il ne me fera pas défaut. Je veille, farouche, à ce que personne ne mobilise le téléphone. Je suis la priorité. Sonne le téléphone, se calme l'impatiente.
 
Permission accordée de me faufiler entre deux patients ce mercredi matin.

Ponction, prise 2  de 350 cc

Dans le guide pour les femmes Comprendre les traitements du cancer du sein, je lis : 
« Si vous avez subi une ablation des ganglions lymphatiques, il se peut que vos perceptions sensorielles soient altérées le longs de la partie interne supérieure du bras. […] Ceci peut entrainer :
-    une absence de sensation ou des sensations réduites
-    des engourdissements
-    une froideur
-    une faiblesse au bras
-    une sensibilité au toucher ou à la pression
-    une sensation de brûlure ou de picotement.
Ces symptômes diminuent ou disparaissent après quelques mois. Il peut être difficile de soulager complètement les symptômes chez certaines femmes, mais il existe des traitements qui peuvent aider. »


Je le confirme, tous ces symptômes se peuvent.

Il est  fortement recommandé de consulter si rougeur, enflure ou fièvre.

À chaque ponction s’accroît le risque d’une blessure, d’un traumatisme interne, d’une infection. De tout ce que j’ai lu, c’est une minorité d’opérées qui se retrouvent avec des ponctions répétées. J’aimerais mieux faire partie des minorités de Loto-Max.

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samedi 4 février 2012

Entre parenthèse


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Appel de l’hôpital vendredi matin. La seconde opération aura lieu le 22 février.

Je range l’information dans un coin, occupée que je suis à préparer la fête d’anniversaire de mon fils dans une Maison heureuse envahie par la jeunesse.

Aujourd’hui, lendemain de la fiesta, j’éprouve un peu de nostalgie à l’égard d’un temps pas si lointain où mon énergie me semblait infinie. Je vais devoir envisager d’être plus sage…. Seulement après demain. Car dimanche, c’est la tradition instaurée dans le plaisir depuis plus de 17 ans quand Ariel a commencé à jouer au football au secondaire : on dresse une table remplie de victuailles et on regarde le Super Bowl avec les amis.

Lundi je poursuivrai ma quête d’informations. J’apprivoiserai cette terre nouvelle où me précipite le cancer. Sans doute irais-je m’inscrire sur ce forum fort bien fait et superbement nommé Les Impatientes.

Lundi je m’efforcerai de considérer que les seize prochains jours sont une parenthèse, sorte de trêve entre deux batailles où je veillerai à savourer pleinement ce bien être physique retrouvé dix jours après l’opération du 16 janvier. 

mercredi 1 février 2012

Retour à la case départ

   
 Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés  par ordre chronologique dans lacolonne de droite.

1er février

Rencontre hier avec mon chirurgien. Dans la salle d’attente trois personnes me précédaient, quatre autres me suivaient.  Un contretemps a provoqué un retard dans les consultations. Mais les patients ont l’habitude. Attendre s’inscrit dans la norme à laquelle se résigner.

Je les observais me disant que chacune vivait son histoire. La première doit revoir le médecin dans trois mois. C’est donc qu’elle a franchi les étapes et qu’elle est dans le suivi. C’est d’abord aux trois mois, puis au six mois, puis une fois l’an. Le second, seul homme en attente feuillette un magazine sur les automobiles de luxe. Il a choisi un siège dans un coin, face à la porte du médecin. Lorsqu’il délaisse la revue, il s’isole dans une bulle, ne regarde personne, même les nouvelles entrées, jusqu’à l’appel de son nom. La troisième est calme, silencieuse. Ses cheveux noirs coupés courts sont brillants, bien coiffés. Je me dis que mon coiffeur Clément admirerait en lui disant que c’est bon signe : des cheveux sain sur un corps sain.

Je sais que je serai reçue après elle. 

La numéro cinq est jeune. Une grande femme qui ne tient pas en place. Elle entre et sort plusieurs fois, consulte et range son téléphone « intelligent » à un rythme qui pourrait trahir l’anxiété, car elle ne se concentre jamais longtemps. Peu avant que je quitte la salle, sans doute croyait-elle que c’était enfin son tour,  elle passe la courroie de son sac par dessus sa tête, le manteau replié serré contre elle de ses deux bras, le buste penché vers les genoux. Prête au combat me suis-je dit, consciente que je nourris mon propre fantasme guerrier. Il existe des opérations bénignes qui pourraient justifier sa présence dans cette salle bien nommée salle d’attente. 

Un peu d’animation entre alors que s’installe un couple. Ils apprennent qu’il y a un retard de 30 minutes… une heure protestent « les déjà là ». Comme ils sont arrivés une demi-heure à l’avance, la dame hésite entre profiter de ce temps ailleurs ou se joindre aux patients. Mais où aller? Finalement le couple reste avec nous et entreprend un duel de mots croisés. Peu après une dame âgée accompagnée de son mari s’ajoute. Elle regarde ceux qui la précèdent et sourit à ceux qui la regardent.  Le lieu lui est familier. On la sent prête à répondre à toutes les questions. Mais personne n’est vraiment bavard. Moi, moins que quiconque, pressée que je suis de savoir.

 Mon tour

Le Dr Trudeau nous accueille, moi et un Rejean déterminé à assister à tous les entretiens, devinant que son amoureuse n’hésiterait pas à occulter certaines informations.

Priorité à l’état présent. Depuis une semaine je vis avec des douleurs au bras et un gonflement croissant sous l’aisselle qui m’inquiète. À tort, j’ai cru à un lymphoedème, possible après une telle opération, cherchant en vain comment me soigner. Il s’agit plutôt d’un liquide séreux post-opératoire. Et oui, madame, cela fait partie des problèmes inscrits sur la liste des motifs indiqués sous le titre : Quand appeler votre médecin, me suis-je remémoré en me grondant intérieurement, pendant que, plus gentil que moi, le docteur effectuait la ponction de près d’un demi litre de ce liquide séreux.

-    Est-ce que cela va recommencer?
-    Peut-être… probablement pas.
-    Et je fais quoi?
-    Vous m’appeler et on refait une ponction.

Tandis qu’il me soigne je tente d’autres questions. Très calme, il me sourit en répliquant :

-    Pas tout de suite
-    Ah! Je vais encore trop vite?
-    Une chose à la fois… vous savez, je suis un gars,
me taquine-t-il. Une chose à la fois.

Je ne parviens pas à ignorer les personnes qui attendent de l’autre côté de la porte et cherche à ce que la rencontre soit brève.  Mauvaise attitude. Je dois penser à moi. Car en ce moment, dans ce cabinet, c’est ce que mon chirurgien fait : s’occuper de moi.

En second : information post-opératoire

Le résultat des analyses confirment les prédictions. Sur les vint-et-un ganglions enlevés trois étaient cancéreux, les dix-huit autres n'étaient pas atteints. On s’est attaqué à un carcinome canulaire de 2,2 cm  T2N1. La chimiothérapie et la radiothérapie sont incontournables. 

À notre première rencontre je lui ai dit :
-    Je veux vivre. Je veux une vie de qualité. Je ferai tout pour cela. Je veux que vous preniez tous les moyens pour cela.

Un mois et demi et une opération plus tard, c’est encore le seul objectif.

Petit hic, hélas! La tumeur de 2,2 cm n’était pas seule. Dans ma tête je comprends qu’elle s’est entourée de petits satellites dont au moins un, si minuscule qu’il n’a pu être vu et capturé lors de l’opération. Heureusement, les analyses postopératoires ont débusqué l’ennemi caché.  Solution? Compte tenu de l’objectif ultime, parmi les options je choisis le retour à la salle d’opération. Pas question de laisser un soupçon de cette saleté dans mon corps. Je suis déterminée. Mon chirurgien aussi. Mieux! Il croit en ma victoire.

De retour à la maison, savourant mes retrouvailles avec un bras normal bien que douloureux, j’ai rangé mon cancer dans le tiroir demain.

Aujourd’hui c’est demain. Je pense au 3 avril, 29e anniversaire de mon fils. On fera la fête. Et voilà grand ouvert le tiroir de mes craintes : nouvelle opération le plus tôt possible ce mois de février signifie ne pas attraper de rhume, d’infection. C’est retourner à la case départ et ces journées « après » de récupération et de remise en forme que je viens de passer. C’est attendre de nouveau le résultat des analyses. Et seulement si le résultat convient, entreprendre la phase II.

Aujourd’hui… je voudrais être demain.

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lundi 30 janvier 2012

CBJ, Rencontre avec Doris

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois, je suggère de commencer par le début. Et pour vous éviter de chercher dans les archives, dont la chronologie est inversée, j'ai mis les liens ci-contre.

J’ai accueilli la demande d’entrevue de CBJ Saguenay-Lac-Saint-Jean comme le début d’une réponse à la création de ce blogue. Utile ou futile cette mise à nu de cette période de ma vie?  Il semble que cela puisse s’avérer utile.

Éveillée à l’aube par ce système d’alarme interne qui ne fait pas confiance à la sonnerie de mon réveil électrique, j’ai commencé à remettre en question ma participation à cette entrevue pour Café Boulot Dodo. Le doute sur la pertinence de mes confidences a refait surface, même si ma décision de mettre en ligne Nordique du cancer a été réfléchie.

-    Assume, a répliqué mon cerveau gauche.   
-    S’ils te le demandent c’est qu’ils croient que cela en vaut la peine, a ajouté mon cerveau droit. 
-   C’est tout de même moi qui se dénude, me dis-je. Je peux avoir autant de retours positifs que négatifs.   
-    Bof! Tu raffoles des tomates et les citrons sont excellents pour le système immunitaire, ont conclu mes deux cerveaux.



À 8h38, sonne le téléphone. Mise en onde dans deux minutes. J’en profite pour me rappeler la raison d’avoir confiance : Doris sait poser les bonnes questions.

L’entrevue terminée, j’ai le sentiment d’avoir reçu un présent. Le préambule de Doris me conforte dans la décision de poursuivre ce blogue.  Par contre, mon sens critique me rappelle que j’ai inversé les statistiques. Contrairement à ce que j'ai dit, ce sont une personne sur quatre qui aura un cancer au cours de sa vie et une femme sur neuf qui aura un diagnostic du cancer du sein.

Lien vers l’entrevue : CBJ 30-01-12

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samedi 28 janvier 2012

Après l'opération

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois, je suggère de commencer par le début. Et pour vous éviter de chercher dans les archives, dont la chronologie est inversée, j'ai mis les liens ci-dessous :

Page 1.  2012/01/14  Un orage sur l'océan
Page 2.  2012/01/15  La veille
Page 3.  2012/01/26 Aujourdhui 26 janvier




Retour sur le 16 janvier


Le réveil post opératoire est très particulier. Avant que les souvenirs ne refluent, on passe d’un point néant à un stade sonore avant même de retrouver le sens du toucher. Des voix envahissent petit à petit mon espace, imprécises, flottantes, jusqu’à ce que les mots prennent un sens et que, finalement, je comprenne que quelqu’un m’appelle.

J’émerge tandis qu’autour de moi je capte des présences floues, le temps d’une mise au point mentale qui redonne à chaque chose sa réalité.

Cet après-midi du 16 janvier, la première sensation bien tangible est la douleur. L’impression d’être prise en traître, sans défense contre un coup de stylet irradiant dans la poitrine et le bras. Douleur à peine exprimée, aussitôt soulagée. Bien sûr, la notion du temps n’appartient pas à cet univers cotonneux d’un entre deux mondes où s’opposent conscience et inconscience. Mais l’intervention efficace de l’ange blanc m’a semblé rapide.

Je suis repartie pour un nouveau somme m’apprendra-t-on plus tard. Laissée à mon propre rythme, c’est la patience de mon accompagnateur qui est sollicitée. Au réveil, j’ai l’apparence d’un être lucide, mais les souvenirs ne sont pas vraiment fidèles. Habillement, chaise roulante jusqu’à la sortie, froid de l’extérieur, trajet familier pour retourner à la maison. Repas dont je ne me souviens pas, confort du fauteuil et sans doute bien d’autres détails oubliés ponctués à heure fixe par la prise des médicaments. Rien de lourd : 500mg d’acétaminophène aux 6 heures, 1mg de morphine aux 4 heures.

Revenir

Les premiers jours et nuits coulent en douceur. Ou je dors ou je regarde la télé. Je tente de lire et d’écrire mais la tête est dans la brume. Je ne veux ni réfléchir à l’avenir, ni faire le bilan du présent. Ce qui m’obsède c’est la perspective d’une vraie douche qui sera possible une fois les pansements enlevés.

Lors de la visite pré-opératoire, Tony m’a transmis un nom précieux. Celui d’une infirmière oncologue désignée pour les cas de cancer du sein. J’ai son numéro de téléphone et celui de son téléavertisseur. Elle est là en tout temps pour répondre à mes questions, me conseiller au besoin, être attentive à mes angoisses. Si elle est absente, comme ce fut le cas pour Karine, quelqu’un d’autre la remplace. Aucun appel n’est resté vain. J’ai toujours eu un retour à mes messages laissés dans sa boîte vocale. C’est beaucoup. Cette présence mise à ma disposition est rassurante. La savoir là m’enlève toute peur de déranger du personnel sur-occupé pour des questions futiles sur le pansement, ou essentielle sur les assauts d’une forte douleur au bras gauche tandis que la réserve d’anti-douleur touche le fond.

Dès le vendredi, je limite les médicaments à trois puis à deux par jour. Et j’entreprends les exercices conseillés pour redonner au bras sa mobilité. J’ignore tout de l’opération. Il faut compter de 10 à 15 jours pour avoir les résultats des analyses et ma rencontre avec mon chirurgien est prévue pour le 31.

Fêlure en la demeure

Mieux je vais, plus s’insinuent les questions. Je crois que chaque jour « après » me mène quelque part. Sauf que ce lieu m’est inconnu.

Je me consolais de mon peu d’énergie par la sensation de sentir aussi s’éloigner la douleur. Illusion! Le soir quatre, une main invisible serre mon bras si violemment que la douleur provoque un mal de tête carabiné et des nausées. J’ai l’impression d’avoir une balle de golf sous le bras, une sensation d’un froid intense et je ne sais pas quoi faire pour que cela arrête.

Je n’entends ni ne vois les attentions et les mots rassurants de mon compagnon. Dans l’immédiat, je me sens frappée et désarmée. Ma raison elle-même s’est esquivée face à l’emprise d’un orage intérieur. Est-ce désormais cela ma vie? Comment vais-je pouvoir affronter les prochains mois et son cortège de mal-être que risque de provoquer la chimio et la radiothérapie? La laideur des cicatrices ajoute à mon désarroi devant ce qui reste de ce corps jadis triomphant.

Un tourbillon d’émotions plus négatives les unes que les autres m’enveloppe. Je m’isole pour ne pas voir la tristesse et l’inquiétude du regard de l’autre. Quelque chose se fissure en moi.

Heureusement, mon orgueil est plus grand que ma faiblesse. Je m’ordonne d’arrêter cette descente. Une bonne douche froide fait le reste.

-    Je suis moins forte que je ne le crois, dis-je à mon homme en retrouvant le refuge de ses bras.

Quelques réponses

Sept jours après l’opération, je savoure mes plaisirs de la marche et de la lecture. Deux jours plus tard, je dépense l’énergie retrouvée sur mon clavier. Et le 27 janvier, grande sortie en ville : rencontrer mon radio oncologue, Marc-André Brassard, récipiendaire du prix César-Galéano. Belle rencontre!

Enfin quelques réponses! L’espoir est grand. L’hiver, le printemps et l’été ne promettent pas des fleurs pour autant. Risque de pleurs à l’horizon. Je me projette en automne où tout cela sera peut-être derrière moi.

J’en saurai plus mardi le 31, après avoir revu MON chirurgien.

Ce soir, je suis calme. Je profite de chaque instant. Les présences tendres. Les rires complices. Mes points d’interrogations sont interdits de séjour jusqu’à mardi. 

***
à suivre


jeudi 26 janvier 2012

Aujourd'hui 26 janvier

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Aujourd’hui

Le 27 décembre 2004, soit 11 jours après une opération du sein droit, je retournais au travail. Aujourd’hui, le 26 janvier 2012, soit 10 jours après une opération au sein gauche, ferais-je la même chose si je n’avais pas choisi de quitter mon emploi pour avoir – enfin! – le temps de me consacrer à tous mes projets?

Ce n’est qu’un exemple d’une des questions qui tourbillonnent dans ma tête. Elles sont nombreuses, disparates, rationnelles souvent, émotives parfois.

Ce n’est pas la première attaque que j’affronte. Les coups de gueule de la vie, je connais depuis l’enfance.  À partir de 1995, certains diraient que c’est du harcèlement. Cet automne-là, le corps paralysé côté gauche du pied à l’épaule, j’ai reconquis le premier pas comme une victoire sur toutes les adversités futures. Puis, il y a eu 1996, 1999, et le printemps rouge de 2002 où la défaite annoncée n’a pas eu lieu, me laissant tout de même dépouillée des acquis de toute une vie que j’ai dû reconstruire, chantant pour moi les mots de Cabrel :


Vous pouvez détruire

Tout ce qu'il vous plaira

Elle n'a qu' à ouvrir

L' espace de ses bras

Pour tout reconstruire

Je n’ai pas envie de nommer ni d’entrer dans le détail. Peut-être raconterais-je plus tard ces batailles répétitives et surtout, après 2002, cette longue marche de 28 mois pour retrouver les gestes d’un corps vivant autant que les mots qui sont le sang de l’écrivaine.

Ce qui m’importe c’est de savoir que, contre toute attente, le 24 août 2004 je franchissais, tremblante, les portes de la salle de rédaction pour y reprendre place. Et quelques mois plus tard, ma place.

Ce que je venais de traverser m’avait laissé un sentiment d’invulnérabilité. Tomber, oui, c’était encore possible. Mais toujours je me relèverais.

Octobre 2011

Dix jours après avoir sollicité un rendez-vous pour une mammographie, fidèle à ma routine préventive aux deux ans, je me rends au premier étage de l’hôpital de Chicoutimi. Un examen inconfortable certes, en tout point désagréable et pourtant recommandé. Vivement une alternative accessible, me dis-je, tandis que la technicienne s’excuse avec gentillesse de me faire si mal.

Il faudra attendre encore un peu pour mieux connaître d’autres méthodes, comme la mammographie numérique ou l’IRM que décrit cet intéressant document tout en demeurant attentif à être bien informé, afin d’éviter les fausses croyances contre lesquelles nous prévient le programme québécois de dépistage du cancer.

Novembre 2011

Quand sonne le premier rappel, on hausse les épaules avec toute la désinvolture de celle qui se souvient d’une fausse alarme. C’était en 2005. Suite à une mammographie du 3 octobre, on a détecté un nodule de 6mm au sein gauche. Le 16 décembre 2005, un an jour pour jour après l’opération du sein droit, je me retrouve donc en radiologie pour une échographie. Cet examen écarte toute crainte. Invulnérable disais-je!

Jusqu’au 21 novembre 2011, je suis une femme en plein élan créatif, forte de ses certitudes amoureuse et maternelle qui inscrit la musique dans ses rendez-vous d’hiver. Ce jour-là, je deviens une femme qui confond les heures avec les jours, envahie par l’urgence de passer la biopsie annoncée qui mettra fin au doute et son amie la peur.

Le 24 novembre, à 14h, un appel du centre hospitalier confirme ce rendez-vous pour le 30. Seulement trois jours que j’espère cet appel. Je les ai ressentis comme s’ils avaient duré des semaines. Il est temps que la raison revienne mettre de l’ordre dans cette cacophonie de doute, de peur et d’émotions. Les films d’horreur peuvent oublier les oscars. Mon cinéma intérieur les surpasse.

Une fois le verdict confirmé quel autre choix sinon d’aborder ce qui va suivre comme on va au combat? Le but est de vaincre l’ennemi. Mes médecins seront mes alliés. Leur expérience, la somme de leurs connaissances, la technologie et les médicaments seront leurs armes. Mais que je le veuille ou non, c’est moi qui s’en va-t-en guerre.

Le 16 janvier 2012

L’aube est noire. Dernière douche sur un corps intact. Tous mes sens sont aux aguets. Je capte tout pour me souvenir de cet avant bien tangible, car je sais que dans quelques heures tout sera empreint d’un après inconnu. 

Tout ce que j’ai pu apprendre ces dernières semaines sur ce mal qui me ronge, tout ce que j’ai appris du combat de mes sœurs d'armes et de larmes confirment à quel point l’expérience demeure unique. Mon armure est forte des victoires des autres autant que de la confiance affirmée dans les nombreux témoignages de réconfort que « les miens » ont pris le temps de m’écrire.

Dans l’ascenseur qui grimpe les six étages, une jolie dame blonde s’agrippe à sa petite valise noire. On se sourit. On se devine. On se comprend.

Dans la salle d’attente, les chaises sont presque toutes occupées. Les uns accompagnent les autres. Certains s’enferment dans leurs pensées. D’autres fixent l’écran de la télévision ouvert sur un flot de nouvelles. D’autres bavardent à voix forte sans retenue sur la forme et le contenu. Je m’appuie sur le bras de mon compagnon. Malgré la salle surchauffée on a gardé nos vêtements de ce pays nordique et pourtant c’est la chaleur de son amour que je ressens sur ce bras gauche bientôt condamné à demeurer fragile.

Le temps de s’inscrire que voilà l’appel. J’entends chaque nom avec tristesse. On n’est pas à une remise de trophées. C’est une distribution de lits.

Je suis dans ma bulle. Docile aux directives. L’approche est chaleureuse. Je sais que derrière chaque rideau il y a une personne. Et pourtant on pourrait croire être la favorite tellement il y a de la présence, de l’empathie. Et cela ne se démentira pas dans la salle d’opération où un jeune homme m’a guidée, prêt à me soutenir si je venais à flancher sur mes jambes. 

On m’invite à m’étendre. L’anesthésiste, le Dr Stéphane Fallu, se présente. Il est masqué, mais je l’excuse sans peine. Ses yeux confirment les mots rassurants : « C’est moi qui veillerai sur vous ». Peu après mon chirurgien entre dans mon champ de vision. Un champ que je veux grand pour tout voir. Il s’approche et son regard s’accroche au mien parce qu’il veut que j’entende ses mots. Non, il ne me demande pas comment ça va. Il le sait…  mieux que moi. « Cela va bien aller », affirme-t-il. Et ces mots-là, à cet instant, me font un bien immense. Je m’abandonne confiante.

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dimanche 15 janvier 2012

La veille



Me voici le jour avant. Opération prévue demain, 16 janvier. Ma valise est prête. Christiane s'en va t'en guerre.

Mes enfants ont préparé le repas du soir. Chaud de tendresse. Mes petits-enfants se croyaient à la fête. C'en était une en quelque sorte. Un beau moment!

Et voilà que vient le temps des bisous. Les petits m'ont fait des câlins. Les bisous rituels précédant l'heure douce où ils vont aller dormir. J'ai senti ma gorge se nouer. Mais quand mon grand garçon m'a prise dans ses bras, j'ai subi l'assaut d'une vague de larmes sur le bord de mes paupières. J'avais envie que ses bras me gardent, qu'ils soient une forteresse contre la peur qui malgré moi s'insinue à l'orée de cette nuit. L'orgueil laforgien a érigé une digue contre la marée montante et je me suis esquivée sous prétexte de ranger la cuisine. Les larmes ont reflué.

Mon amoureux n'a pas été dupe. Il a l'intelligence du cœur. Il sait être là sans s'imposer. 

Le 31 octobre dernier, j'étais sans inquiétude en passant l'examen de routine. Le 17 novembre, je demeurais stoïque devant le rappel du centre de radiologie pour m'inviter à reprendre une mammographie du sein gauche. J'avais vécu cela en 2004 et affronté une mini masse de 2 millimètres opérée le 16 décembre qui m'a classée dans la catégorie à risque. L'ajout d'une échographie à l'examen du 21 novembre n'a même pas ébranlé ma conviction que rien de grave ne pouvait m'arriver. J'avais déjà bien assez donné à ce chapitre. Mais le Dr Lord avait le front soucieux. Elle a guidé mes doigts pour m'aider à sentir l'intrus, à peine perceptible qui avait échappé aux autos examens répétitifs des deux dernières années. Lorsque je la quitte, commence l'attente pour une biopsie.

Difficile de freiner les galops d'une anxiété croissante, me disant que chaque jour devient un jour de trop. J'ai l'impression que cela fait une semaine, alors que le 24 novembre, on me fixe le rendez-vous crucial pour le 30 novembre. Échographie et biopsie. Le Dr Lord est attentive, sensible. Sollicite mes questions. Explique chaque intervention. Je me sens comprise et respectée. Les résultats de la biopsie peuvent prendre dix jours. Je me dis que chacun de ces dix jours est un jour de plus où le crabe conquiert un peu plus de terrain. Nous ne parlons plus de millimètres, mais de centimètres. Au moins deux. 

Le 8 décembre, on me convoque pour un rendez-vous avec mon chirurgien le 16 décembre. Les résultats seront-ils enfin arrivés? Je plonge dans la grande mer d'Internet où les bonnes et mauvaises informations pullulent. Je trouve quelques documents forts bien faits qui aident ma raison à aborder les faits avec calme. Je lis des témoignages. Ce sont les survivantes qui m'intéressent. Mais les histoires malheureuses se glissent dans le parcours. Il est temps de prendre du recul, d'affronter l'attente en me disant que je ne peux rien changer à ce qui est. Je ne doute pas un instant que j'ai bien l'intention de tout faire et de tout demander pour sortir vivante de ce champ de bataille.

Le 13 décembre je reçois l'appel de Gaétan, mon médecin depuis 29 ans. Il a eu les résultats. Tous se taisent dans la pièce, tandis que j'écoute à la fois le verdict et les paroles d'amitié.

Je voulais te dire que je sais et que je suis là pour toi si tu as besoin de moi. Tu es entre bonnes mains. Aie confiance.

Je suis debout, tremblante, à la fois soulagée et déçue. J'espérais encore que la biopsie écarterait le pire. C'est le contraire. Cette fois, la bête est envahissante. Je me redresse et annonce :

Bonne nouvelle, les résultats sont arrivés. On saura donc ce qu'il en est vraiment le 16 décembre. 

Ce rendez-vous ouvre la porte à l'optimisme. Il s'agit d'un cancer invasif au stade 2, mesurant 2,5 cm. J'assure que je ferai tout pour le combattre. Justement, confirme le chirurgien, il a bien l'intention d'en faire autant. J'exprime ma crainte devant l'attente avant d'agir. Il m'assure que je serai opérée en janvier. On se quitte sur le même objectif : je veux vivre.

Je suis classée prioritaire. Dans ma tête une idée surgit. Prioritaire parce que je suis en danger?  Prioritaire parce que cela va de soi que le temps est l'allié de l'ennemi? Et me voilà qui culbute mentalement dans la peur que quelque chose arrive qui retarde l'opération. Un rhume, une grippe... En pleine festivités de Noël et du Jour de l'An vais-je parvenir à me prémunir contre tous les virus des autres?

Le 22 décembre scanner des os. Les visages sont impassibles. Impossibles de deviner ce qu'ils voient. 

Le 4 janvier rencontre préopératoire et autres examens : radiologie, électrocardiogramme, prise de sang.

Le 11 janvier, échographie : foie, estomac, vésicules, reins, etc. Le Dr Rousseau pose des questions me parlent. Elle est à l'écoute et je la quitte presque rassurée sur ma crainte d'un envahissement précoce.

Mon futur oncologue était prêt à me rencontrer le 17 janvier. Le rendez-vous devra être reporté puisque je serai opérée le 16 et qu'il faudra, encore une fois, attendre au moins deux semaines avant les résultats de la masse prélevée.

Il est 21h58, dimanche 15 janvier. Les statisticiens prévoyaient que 23 400 femmes devaient recevoir un diagnostic du cancer du sein en 2011. J'ai 23 399 compagnes de guerre. Je pense à elle, car pour moi elle ne sont pas une statistique.

Je n'éprouve ni colère ni sentiment d'injustice. C'est la vie. Rien de plus, rien de moins. Dans une logique implacable mon fils, avec cet humour tendre dont il a le secret, m'a dit:

– Si tu étais morte en 2002 comme ton état le laissait croire tu n'aurais pas un cancer aujourd'hui.

Donc, si j'ai un cancer en 2012 c'est parce que je suis vivante. Ce qu'il faut maintenant, c'est de prendre les bons moyens pour continuer de l'être.

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