En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


samedi 21 avril 2012

Chimiothérapie 2

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

18 avril mercredi

Le réveil n'a pas sonné. Il est 7 h 07 et je dois être à l'hôpital à 8 h. Je me précipite sous la douche, avale un nestlé vanille avec ma cortisone. Au moins, pas de chichi pour me coiffer. Et je traverse le pont Dubuc en moins de 15 minutes. Ah! Chicoutimi, je t'aime!

À l'accueil, je me sens à l'aise : celle qui sait quoi faire. Pas le temps d'attendre. Pharmacie avec Lisa, pesée (perdu un kilo), puis installation du soluté par une dame en rose qui ne me laissera aucune marque. Et à 9 h, Sabrina m'installe au fauteuil 8. Pas de compagnon aujourd'hui. On y a droit uniquement à la première séance. Mon infirmier se nomme Jacques Savard. Jovial... On discute de son épouse artiste peintre qui a bien connu mon père lors d'un symposium à Sainte-Rose-du-Nord. J'aime ce souvenir, mais plane un petit brin de nostalgie à l'idée que papa a été vaincu par le cancer.

Pression 135-66, pulsions 72. Un peu anxieuse au souvenir de la douleur. Premier traitement cyclosphosphamide 30 minutes. Puis on commence par le benadryl anti-allergène. Cela chauffe un peu, mais Sabrina me rassure. On passe au Zantac. À 9 h 35, Lisa démarre le premier écoulement de Taxatère, 50 ml pendant 20 minutes. Je suis calme, somnolente, les doigts dans la glace.

Je tente de noter les fréquences, le rtyhme et les doses, mais mon esprit est brouillé et je préfère m’abandonner aux mains expertes. Je comprends que l’on y va prudemment. Petite alerte au dos, mais la pharmacienne opte pour un traitement plus lent plutôt que d’ajouter d’autres médications. Un court arrêt du traitement vers 10 h 25 pour permettre au mal de s’atténuer et on reprend à petites doses 50 ml/h pendant 20 minutes.

J’ai très froid et le ventre douloureux. À peine dit, on me couvre d’un drap préchauffé.

10 h 53, on opte pour 100 ml/h pendant 20 minutes, puis 200 ml/h. Mini-repas de fruits et noix et à 11 h 35 on entreprend le dernier tour à 400 ml/h. Je suis bien.

À ma droite, ma voisine confie qu’elle en est à son troisième cancer. Que dire? Comment fait-on pour retrouver la force de reprendre le combat? L’espoir.

Un récent reportage présenté à Découverte traitait justement de ce traitement expérimenté sur les humains. Dans ma tête, je calculais le temps de rémission : 5 ans, plus l’évolution de la recherche sur humain : 6 -7 ans, et les possibilité d’une récidive pour aboutir finalement à une vision optimiste d’apprendre que ce type de soin sera sans doute à point si jamais je subissais une nouvelle attaque d'ici 10 ans.

Je quitte l’hôpital  vers 13 h 15. Épuisée. Prochaine séance inscrite le 8 mai.  Sous l’effet de la cortisone, je sais que demain me donnera l’illusion d’être bien.


***

jeudi 19 avril 2012

Crâne nu devant les enfants

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

Le nouveau rythme de médication porte fruit. Je retrouve le sommeil et l'énergie du matin. Matinée douce avec beaucoup de posologie 55 (des câlins). 

Le gruau pour déjeuner, un velouté de légumes verts pour midi. Quelques tâches ménagères pour l'exercice et je déclare forfait : fatigue déjà et douleur au dos.

13 avril vendredi

Jour 15 après
Mes petits annoncent leur visite, curieux de la nouvelle coiffure de Mamieke. Élika, 4 ans, Victor 2 ans et 11 mois réagissent différemment. Ils savent que je suis malade et que le cancer a fait tomber mes cheveux. Mon petit Victor m'affronte sans détour. Il soulève ma casquette d'un geste rapide:

- Oh! wow!, fait-il me recoiffant aussitôt et nous déconcerte en disant : fromage!

Blottie dans les bras de son Papili, Élika refuse de me regarder. Je tente de l'apprivoiser.

- Tu sais ma chérie que je porte ma belle casquette Chicoutimi. Mais j'aimerais voir avec toi si on peut trouver d'autres jolis chapeaux et foulards. Et pour cela j'aimerais que tu m'aides.

Sans mot dire ni me regarder, elle me prend par la main et m'entraîne dans la salle de bain. Elle sait où se trouve chapeaux et foulards. Alors elle me fait front, me dévisage, retire mon couvre-chef. Je sens un grand soupir de courage sortir de sa poitrine. Elle prend conscience de la maladie. Elle en évalue la trace et vient se coller tout contre moi comme pour m'insuffler tout son courage. Puis nous nous amusons à trouver le plus joli couvre chef. Les chapeaux l'emportent sur les foulards et me voilà parée du plus ravissant sourire d'enfant. J'ignore qui de nous deux en sort la plus heureuse.


***
14 avril samedi

Jour 16 après. Grande soirée en perspective : spectacle annuel de danse de l'école des Farandoles. J'économise mes forces pour y assister. Un peu anxieuse de me retrouver en public. Pour Élika, l'essentiel est la présence de sa famille. Pour l'amuser, je lui dis :

-Tu diras à Louis Wauthier (son professeur qu'elle adore), qu'il a une jumelle dans la salle.

Elle s'y prépare, l’œil malicieux de le surprendre par cette nouvelle. On en rira encore le lendemain, lors du repas festif  de pizza maison. Cette fois, c'est moi qui a le privilège de m'asseoir près de ma petite princesse, détrônant le Papili après 4 ans de règne ininterrompu. Dans ce rapprochement qui se veut protecteur, je pressens l'étonnante capacité d"empathie de ma petite-fille. C'est bon se ressentir la vie!

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16 avril , lundi

Jour 18 après
La seconde séance de chimiothérapie doit avoir lieu le mardi. Pour éviter un déplacement inutile, Karine m'a suggéré de faire la prise de sang la veille. 

Prise de poids (perte de quelques kilos) et prélèvement sanguin : astal, bilt, crea. Le but est d'évaluer le taux de globules blancs, rouges et plaquettes.

Les complications qui ont suivis la première séance incitent la prudence. Contrairement au programme prévu, je rencontre mon oncologue mardi  afin de réévaluer le traitement. Rendez-vous mardi 14 h. 

La salle d'attente est très occupée. Regard intense échangé entre deux personnes qui croient se reconnaître. Effectivement. Une dame de mots, avec qui j'ai partagé des soirées littéraires intéressantes. Elle a eu son diagnostic en 2011. Sœur de combat où il y a similitude et différence. 

13 h, rencontre avec Jean-Luc Houde. Il écoute bien. Il entend bien. J'aime son approche, son intérêt et son humour. Je le sens présent, confiant. Le traitement  CT (Taxotère- Cyclos) est maintenu, mais il sera donné le lendemain, avec précaution. La durée sera plus longue afin que le corps puisse absorber la dose en douceur.

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mardi 17 avril 2012

Tondre cheveux

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

12 avril jeudi


Jour 14 après. Bonne nuit. Douleur contrôlée.
7 h 30 : Ms-1r 2,5 mg.
Les cheveux tombent par poignées. Je m'impose une séance de photos. C'est affreux. Je m'y étais préparée, décidée de tondre plutôt que de camoufler. Je coiffe ma casquette gravée Chicoutimi, cadeau de Réjean qui sait combien j'aime ce nom de ville.


 Duo des casquettes
Casquette unique offerte 31 décembre 2010 alors que MON cher Hugues, fils de France adopté par la famille arborait sa propre casquette des Saguenéens de Chicoutimi. Un beau souvenir.
© Photo Alix Forgeot

13h : mon fils arrive avec tout l'équipement nécessaire à la tonde. Il est précis, calme et j'écoute le ronron de l'instrument qui me dépouille. Jusqu'en 1985 ma longue chevelure châtain claire a été la parure de mon identité.

 Christiane Laforge - 1979
Lors du lancement de Au delà du paraître
©  Photo archives Le Quotidien


Puis ce fut la coupe mi-longue et bouclée. Et, depuis quelques années les séances de teinture cachant les prémices d'un hiver auquel nul n'échappe.

 Christiane Laforge, Au lancement de Cœur innombrable - 1999
© Photo Sylvain Dufour - Le Quotidien

J'étais mentalement prête à cette perte des cheveux. Mais le choc a quand même été le sentiment d'un étape importante et troublante à franchir.

Coco à apprivoiser
© Photo Réjean Lelcerc 

 Et pas seulement pour moi. 
- Ça va mon cœur. Je t'en demande beaucoup.
- J'ai si souvent failli te perdre, que tes cheveux, c'est juste ta coupe de combat.
 
Peu de temps après je lis ces mots sur la page Facebook d'Ariel :


Miroir me renvoie mon nouveau visage. Oh! non madame, pas de larmes. Que sont des cheveux perdus, le drame de tant d'hommes qu'ils en finissent par être beaux? Et il y a la casquette:

Casquette unique qui a bien du succès dans les salles de patience

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jeudi 12 avril 2012

Les jours d'après.

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

28 mars mercredi

Jour J. première séance de chimiothérapie; racontée ici.

29 mars jeudi

Jour 1 après. La couleur des jours change. Le lendemain de ma première chimiothérapie a été calme, voire paresseux. 

-  Soyez prudente. Vous venez de parcourir un marathon. Votre corps est fatigué. Vous devrez-vous ménager, me recommande Karine.

Quelques tâches ménagères, du repos, quelques jeux pour les neurones et, somme toute, une assez bonne forme. Un sourire pointe à l’horizon quand je m’endors.

30 mars vendredi

Jour 2 après. Le surlendemain m’étonne par ses contrastes. Une belle énergie m’anime et, avec mon manque de sagesse coutumier, j’entreprends lavage, rangement et de longues heures sur l’ordinateur.

-    Besoin de médicaments? demande mon Réjean.

-   Oui, une médication régulière aux 55 minutes : un câlin.

-   Ça je peux, dit-il joignant le geste à la parole.

55 minutes plus tard, sonne la minuterie. Je questionne sur la raison :

- C’est l’heure du médicament 55, rétorque-t-il en m’enveloppant de ses bras.

Je ris… et prends une bonne dose.


La mi-journée se passe bien. Je ressens quelques nausées (mais pas assez pour prendre le prochlorpérazine . Des picotements dans la bouche, que je soulage avec du bicarbonate de soude diluée dans l’eau, augurent des futurs problèmes d’ulcère.

Mais plus la journée avance, plus le corps devient douloureux. Sensation d’avoir mal aux os. Des élancements sporadiques intenses ciblant le dos, les jambes, la nuque. Je me résigne à prendre des tylénols en gélules 500 mg à effet rapide. Sans grand soulagement. Malgré tout, après avoir mis en ligne le récit du ma première séance de chimio, je tiens absolument à aller marcher le long du fjord. Ne disent-ils pas de ne pas négliger l’exercice physique?

Karine, mon infirmière pivot, prend de mes nouvelles en fin d’après-midi. Je lui dis que cela va somme toute très bien. Je pressens un soupçon d’étonnement. Elle insiste : ne pas hésiter à lui téléphoner si j’ai des soucis.

Au cours de la journée, j’aurai absorbé six acétaminophènes sans succès véritable. Je les digère mal. Il est minuit. Je ressens une extrême fatigue, anticipe le plaisir de m’endormir. Impossible.

Commence ma première nuit d’insomnie. Je regarde changer les heures sur le cadran. La douleur amplifie mon mal-être. Il est 3 h et je voudrais tellement dormir. Je prends 5mg de morphine et obtient un léger, très léger soulagement. Pas assez cependant. À 4 h 44, je prends un second capelet de MS-IR 5mg, cette fois avec succès après une quinzaine de minutes. Le sommeil s’empare enfin de moi et je reprendrai conscience la tête pleine d'une atroce douleur : le dos se casse en deux et les jambes hurleraient si possible de desserrer l'étau. Il n'est que 7 h 23.

31 mars samedi

Jour 3 après. À nuit infernale journée infernale. Je me sens cassée de partout. La douleur prend toute la place.

Pas d'appétit. Je m'oblige un déjeuner liquide (nestlé vanille) moins pénible à avaler. Ma gorge se resserre à chaque gorgée. Ce simple avalement m'épuise.

10 h 41 : Ms-IR 5mg dans l’espoir que cela soit tolérable.

Nausées, bouche pâteuse, des plaies au palais, aux gencives, rendent toute absorption douloureuse. Je suis sans énergie et sans patience. Je tente de surmonter le malaise, de me nourrir au mieux (fruit, légumes, protéines et beaucoup d’eau). Rien ne passe, mais je me contrains malgré tout.. Hélas, la constipation s’installe et cela me déplaît au plus haut point. J'ai toujours très mal réagi à ce blocage (maux de tête, aphtes, perte d'appétit, douleur au ventre, perte d'énergie). Je me sens le corps si gonflé que je supporte mal tout vêtement. Le délais de trois jours requis est inadéquat dans mon cas. Les faits le démontreront.

15 h 41 MS-IR 5 mg
17 h 50 Prohlorpérazine. Soulagement bénin.

Pas de concentration, pas de lecture (pour moi, il n'y a pire privation que cela), à peine quelques lignes d’écriture. Même pas un jeu. Je me force à prendre un repas complet comme on prend un médicament. Chaque bouchée est insupportable.  Le plaisir est absent. Journée perdue.

Je hais les fins de semaine. On devient orphelin, livré à nous mêmes. Info santé ne peut faire de diagnostic ni d'ordonnance. On se retrouve finalement aux urgences, ce que je veux éviter à tout prix.

1er avril dimanche

Jour 4 après.

Sommeil sporadique et bref. Je cumule les cauchemars. Je me sens menacée. J'avalerais bien tout ce qui me tombe sous la main pour que cela cesse. J'entends le rythme régulier de la respiration de mon amoureux. Il me fait confiance. Je ne peux faire moins. Frisson d'effroi à la pensée des personnes seules!

0 h 30 :  Ms-IR 5mg
6 h 30 : Ms-IR 5mg Douleur moins violente, mais omniprésente. Les exercices aident peu. Une courte marche n’aura servi qu’à mesurer l’absence d’équilibre et d’énergie. Je râle sur cette autre journée perdue.

-    Non maman, corrige Ariel. Ton travail c’est de te reposer. Ton travail c’est de laisser ton corps faire ce qu’il doit contre le cancer.

-    Ça fait mal. Les os. les jambes, la colonne, le ventre. Comme si une main me tordait à l'intérieur. Pourquoi on ne nous endort pas quelques jours? Je ne parviens plus à faire quoique ce soit. Je ne sais plus manger tellement la bouche est douloureuse. Je voudrais dormir. Je voudrais ne plus rien ressentir.


-   ...........   (Que peut-il dire? Que peuvent-ils dire?)


-    C’est pas vivant. Vivre ainsi, c’est pas vivant. 


 Je suis en colère.


Mon fils utilise le silence. Mon amoureux prépare les plats de fruits et les repas. Je les observe. Ils sont complices et partagent la même impuissance. Ils ne tenteront pas de me raisonner. Ils ont la sagesse de se taire.

10 h 00 : tylenol gel 500 mg
14 h 17 : tylenol gel 500 mg. En vain.

Je m'efforce d'aller marcher, espérant naïvement que l'air allégera le mal de tête. En vain.

18 h 20 tylenol gel 500 mg
21 h 20 J'associe tylenol gel 500 mg (malgré le mal d'estomac)  et Teva bromazepan.

J’écourte la soirée, espérant trouver l’oubli dans le sommeil. Je dormirai comme un bébé… qui ne fait pas ses nuits. Sommeil une heure, réveil une heure. Le temps s’écoule. J’entends battre mon cœur. Le matelas est une caisse de résonance. Respiration-expiration.

Du calme! m'ordonne ce qui me reste de raison.

01 h 00 Je risque MS-IR 5 mg.

2 avril lundi


Jour 4 après. Nuit mouvementée. Alternances douleur-sommeil. Un tylenol 500 mg à minuit. Je résiste jusqu’à 6 h 56 pour le prochain. J'ai un foie fragile et la phobie des produits chimiques pouvant le détruire plus qu'il ne l'est. J'ai un estomac affaibli par un ulcère lors de mes 24 ans, une méga hémorragie interne à laquelle j'ai survécu en 2002 et 11 ligatures qui me font redouter de nouvelles varices stomacales. Voilà pourquoi je résiste tant à prendre des antis douleurs.

08 h 00 : Prochlorperazine contre nausée.
10 h 00 : J’annule mon rendez-vous à la Société canadienne du cancer pour le service « Belle et bien dans sa peau ». Pas de force, peu d’équilibre. Une tête à faire peur. On est lundi.
10 h 00 : je tente de rejoindre Karine.
10 h 30 : Mon ange est au bout du fil : Karine. Je raconte. Elle écoute. Elle rassure. Je me rassure. (??).

-   Cela va aller mieux affirme-t-elle. Plus on s’éloigne du traitement, mieux cela va aller.

Elle confirme que j’ai fait le bon choix en optant pour la morphine. Les tylenols ne me réussissent pas. Le MS-IR 5mg me convient. Elle me suggère de donner priorité à soulager la douleur. D'être plus régulière dans la prise des doses. Oublier mon foie. Le mal me fait plus de tort que la chimie. Ce pic de mal-être est « normal ». Mouais!! 

Pour les intestins, elle recommande du senokot, avec prudence. On se reparlera dans deux jours si le problème persiste. Je n'ose penser que tout va aller pire. J'évite même de penser aux prochaines semaines. Je ne veux pas imaginer qu’il y aura de nouveaux traitements et qu'il faudra vivre une nouvelle traversée d'enfer.

10 h 37 : Senokot 2x contre constipation qui s'accentue même si je me noie à boire des litres d'eau.
11 h 51 : violente douleur à l'estomac.
13 h 00 : MS-IR 5 mg
16 h 45 : MS-IR 5 mg
19 h 46 : Senokot 2x
21 h 43 : Ms-IR 5 mg
23 h 30 : Ms-Ir 2,5 mg

Je passe du lit au fauteuil, franchissant les 13 marches voûtée comme une vieillarde aux pas usés.

Nuit-réveil en alternance. Le ventre est dur et gonflé. Cela accapare toute ma pensée.  Une force fait pression sur mes chevilles. Elles vont casser, me dis-je, à moins que ma colonne les devance.

3 avril mardi

Jour 5 après. Aucun compromis possible : pas question de tolérer une journée de plus avec ce ventre dur et totalement bloqué. Je suis prête pour les décisions extrêmes.

05 h 22 : Sénokot 2x
05 h 26 :Ms-1R 5 mg
08 h 15 : orgie de pruneaux
10 h 00 : Karine inquiète demande des nouvelles. Réjean explique l'intolérable qui perdure depuis vendredi soir.
10 h 30 : Karine annonce faire ses recherches et nous rappellera. Dans la possibilité d'une possible occlusion intestinale, elle joue de prudence. Même si cela peut n'être qu'un simple iléus paralytique ou pseudo-obstruction intestinale, en route vers l'urgence où ils sont prévenus, confirme-elle.

Urgence

Lorsque je franchis les portes de l'urgence, je suis attendue. Efficace Karine! Je présente mon livret bleu, sorte de passe-port pour chambre isolée réservée aux personnes en chimiothérapie. Le temps de décrire mes symptômes, de prendre tension et température que je suis véhiculée à travers les corridors.

Installée sur une civière, portes closes, je ne verrai le médecin que cinq heures plus tard. J'ai compris la leçon : apporter de l'eau en quantité car les infirmières ne vous donneront rien sans avis du médecin. Ne pas oublier vos médicaments et une liste à jour de ce que vous prenez sur ordonnance ou en automédication. Vous pouvez vous tordre de douleur, rien ne vous sera donné, ni pour réhydrater, ni pour soulager tant que le médecin ne vous a pas examinée. Ainsi le veut le système.

L'urgence est bondée et deux appels codés provoquent un  brans-bas-de combat. Code bleu (malaise cardiaque) et code blanc (violence). Moi, je suis stable, non prioritaire, sauf que le malaise évolue. Réjean revient d'une brève absence et me retrouve agrippée aux barreaux. Je cumule les étourdissements et une douleur fulgurante me vrille le ventre. Je l'entends interpeller l'infirmière :

- SVP, elle semble aller vraiment mal.
- Je ne peux rien faire tant que je n'aurai pas trouvé un médecin.
- Mais ne peut-on l'aider?
- Ben! est-ce qu'elle respire?

J'ai l'impression que c'est lui qui ne respire plus. L'infirmière concède finalement à venir jeter un coup d’œil sur le bord de la porte.

- Je vais tenter de trouver un médecin, mais nous avons eu des urgences.

Je parviens à maîtriser la douleur. Je tente d'expliquer :

-  Vous savez, il m'a vue me tordre et il se sent impuissant,
- Madame, je le comprends... il vous aime. Son regard est intense, comme si cette vérité la touchait personnellement. Je vais tout faire pour vous trouver un médecin.

16 h 00 : Le Dr Louis Gagnon se présente. Esprit vif, attentif. Il croit m'avoir déjà vue. J'en doute. Je m'en souviendrais. Mais il a pris le temps de lire mon dossier et, l'examen terminé, se révèle très sûr de son diagnostic. Le pire est évité.

- Je vous rassure, ce n'est pas une occlusion. Mais c'était sage de s'en assurer. Je sais que cela a été long, mais on ne peut se permettre d'erreur.

Prescription :
300 PMS-lactulose (667 mg), 30 ml une fois par jour au coucher. Il s'agit d'un émollient, comme pour le colace (docusate sodique).  Utile, efficace, mais pas dans ce cas précis qui m'affecte. Je devrais le prendre en prévention sachant que la morphine constipe. Cercle vicieux!
 
- En priorité ce soir : lavement fleet. Lequel prendra moins de dix minutes avant d'agir. (Oh! le bonheur!)... de courte durée. L'hygiène demeure essentielle. La douche précède les soins. Des serviettes humides pour peau de bébé sont très utiles aussi. Mon infirmier est étrangement silencieux. Les serviettes sont imbibées de sang. Il en faudra plusieurs avant de pouvoir enfin traiter les plaies avec du clotrimaderm (1%), jour après jour.


- Mais tu dois avoir terriblement mal?
- Oui, mais ça je le supporte. Il y a pire!

Ce pire durera quelques jours. L'efficacité du lavement me donne l'impression de vide où les intestins se collent les uns contre les autres. Je n' ai pas de mots pour décrire à quel point cela fait mal. Alors je tente de remplir le vide : lait, jello, potage.... et patience. Mes heures tournent à vide. Le plaisir est mort.

Je sais, je suis sans pudeur. Je n'en suis plus là. Ou je dis les choses ou j'habille mes mots en rose pour rendre ce mal-être plus « sexy » comme disait quelqu'un pour me consoler.

Je tiens à rendre hommage à cette génération de médecins, pourtant débordés, qui prennent le temps de lire nos dossiers et qui nous abordent avec empathie. Ils nous écoutent, ils nous entendent et, du moins en ce que je vois, ils nous croient. Je n'oublierai jamais cette expérience en 2005, suite à une opération au ventre où le médecin (l'exceptionnel Stanley Volent)  prenait la peine de noter ses directives dans le dossier. À l'infirmière qui semblait ignorer ces directives et répétait les mêmes erreurs, je lui signale :

- Le Dr Volent a précisé dans le dossier les modifications à apporter.
- Croyez-vous que j'ai le temps de lire votre dossier?
- Alors à quoi sert-il?

Plus tard, mon fougueux garde du corps n'a pas toléré cette attitude. Résultat : j'ai été changée de département et me suis retrouvée dans un monde de délicatesse, avec soins adéquats où l'infirmer chef scandalisé n'en revenait pas que personne n'ait protégé ma peau mise à vif par les changements de pansement successifs alors qu'il existe des bandes protectrices pour éviter d'écorcher la peau

20 h 00 : épuisée, j 'absorbe mes 30ml de lactulose.
20 h 29 : MS-IR 2,5 mg
20 h 30 : dodo
22 h 00 : MS-IR 2,5 mg
03 h 00 : MS-IR 5 mg

Trop de douleur pour dormir.

4 avril mercredi

Jour 6 après : douleur 6/10. Chaque mouvement provoque un vertige. Je me sens terriblement faible.
Mais je dois faire l'effort de me nourrir si peu soit-il.

J'utilise des coussins chauffants pour soulager le ventre.  Des plaies apparaissent sur mon poignet droit, rivalisant de rouge avec les fesses qui me vaudront un changement de lit. Réjean n'est que douceur, mais son regard me désarme. Je me veux encore plus forte pour lui. Moi, j'ai de la douleur. Lui, il a de la souffrance.

11 h 07 : prochlorperazine
12 h 45 : jello (aux framboises. Mon préféré)
13 h 00 : MS-IR 2,5 ng. Lit. (et toujours pas la capacité de lire). Pour les plus curieux, je parviens à refaire le parcours de ces jours infernaux grâce au carnet de note que j'ai tenu à portée de doigts. Un heure et un seul mot pour résumer un ensemble de faits.

14 h 00 : verre de nestlé ( 300 calories)
15 h 12 : douleur 5/10. Chouette une moyenne encourageante.
16 h 16 : mal de tête 6/10. Zut! Je décide de prendre 2 novo-gésic.
16 h 46 : étourdissement. Pauvre Réjean, tu vas devoir m'assister pour la douche!

19 h 00 : un premier repas complet : poisson, purée, carottes. Jello.

Le prix à payer : de fortes douleurs au ventre. J'aurais dû être plus prudente Un mal de gorge surprenant et de nouvelles pression dans les os. Je réclame un massage. Réjean propose du Voltaren . Entre la chaleur de ses mains et le produit, j'ignore ce qui réussit. Je m'étonne que nous n'y ayons pas pensé plus tôt. Cela me calme.

20 45 : novo-gésic 1x
22 h 30 : Ms-1R 2,5 mg
02 h 46 : Ms-1R 5 Mg

5 avril jeudi

Jour 7 après.
Fièvre : 38,2
Appel de Frédéric, stagiaire auprès de Karine. J'aime sa voix. On fait un bilan. Promet de me téléphoner. J'en suis à ne plus savoir vers quel produit me tourner pour trouver un peu de répit.

1- maintenir un rythme de 4 heures entre deux morphines.
2- Le soir, ajouter un Teva -promazepan pour aider le sommeil. Un médicament que j'utilise depuis 10 ans à raison de 1 capelet 5 mg aux trois ou quatre semaines.

09 h 30   : MS-1R 5 mg
13 h 30   : MS-1R 5 mg
17 h 30   : MS-1R 5 mg
21 h 30   : MS-1R 5 mg
21 h 30 Teva-Bromazepan
Massage voltaren
fièvre 28,2
Dodo

6 avril vendredi

Jour 8 après

05 h 30   : MS-1R 5 mg
09 h 30   : MS-1R 5 mg

Massage au voltaren.
10 h 30 : fièvre 38,5
11 h 25 : fièvre 38,1
13 h 30 : MS-1R 5 mg
14 h 12 : fièvre 38,3
16 h 39 : fièvre 39,1

17h 00 : lavement 2, car pas question de passer plus de 36 heures.
On baigne la peau en sang. Soins et dodo.

19 h 58 : fièvre 38
21 h 19 : fièvre 37,9

21 h 26 : duo bromazépan et morphine.

7 avril samedi


Jour 9 après
01 h 30 : MS-1R 5 mg
07 h 30 : MS-1R 5 mg

Le corps réagit bien à tout. Seule la peau demeure fragile. Mon infirmier demeure d'une délicatesse touchante.

Déjeuner au jello et au substitut nestlé. Seuls aliments que la bouche tolère. Les ulcères prolifèrent.

10 h 10 : fièvre 37,8

La journée est pénible. Incapable de concentration

8 avril dimanche


 Jour 10 après
 04 h 40 : Ms-1R 5 mg
 08 h 46 : Ms-1R 5 mg

10 h 00 : premier café depuis des jours. Humm!
10 h 30 : déjeuner au gruau et je trouve cela bon.
11 h 00 : JE téléphone. La vie revient.
12 h 30 : crème vanille impériale que je fais venir de Belgique. Pur délice!

12 h 46 : Ms-1R 5 mg
16 h 19 : Ms-1R 5 mg

19 h 19 : nausées. Zut! je prends du prochrlozéparine
20 h 15 : Ms-1R 5 mg

Massage
00 h 00 duo Ms-1R 5 mg + Bromazépan

9 avril lundi

Jour 11 après

Je DORS pendant 14 h 05 sans réveil.
Réjean est étendu près de moi et caresse mon épaule tout en parlant:

- Chut. Ne crains rien. Je suis là. Tu dors depuis plus de 14 heures. Il y a du soleil.

Les soins suivent en cascade : toilette, massage, repas de gruau.

16 h 14 téléphone d'amies étonnées que ce soit moi qui réponde. Même Réjean ose aller au ravitaillement. Mais non, je ne suis pas seule. Une simple volée de marches séparent l'appartement de mon fils du mien.

18 h 30 : au menu, velouté de légumes verts.
20h 00 : Ms-1R 5 mg.
Soirée télé, surtout pour l'entrevue avec Ziegler. J'espère pouvoir me procurer son livre.
24 h 00 : soins et dodo.


10 avril mardi

Jour 12 après
Nuit ce 6 h 50 sans éveil.

L'énergie revient. Mes journées sont des routines de 4 heures. Médicaments, massage, soins, repas légers. Je maintiens le rythme des médicaments encore un jour. Le plus pénible est l'érythème fessier. 
 
Je profite de mes nouvelles forces pour terminer l'analyse de textes journalistiques, comme membre d'un juré. Deux textes se distinguent. Pour l'ensemble je trouve que nos journalistes manquent de curiosité. La recherche n'est pas leur force, leur culture générale non plus. Quoi? me voilà en train de discuter travail? Cela redevient vivant!

J'abuse me reproche mon garde du corps.
20 h 18 : grande fatigue, mal de tête. Douche. Antifongique sur plaies vives et sanglantes. Massage jambes et dos avec Voltaren.
20 h 28 : morphine
21 h 58 : bromazepan et dodo pendant 12 heures.

11 avril mercredi

Jour 13 après
En bonne forme
massage avec voltaren.
Réduction de la posologie à 2,5 mg de morphine à partir de 13 h.

14 h 10 repas croissant, café.
Je bois d'énorme quantité d'eau. Plusieurs 200 ml de gastrolyte.

Karine propose de consulter la pharmacienne concernant le magic mouth et le Pénaten pour bébé. On opte pour de Clotrimaderm et l'oxyde de zinc.



La perte des cheveux est amorcée. Rats de cale fuyant le navire.

***

vendredi 30 mars 2012

Chimiothérapie 1

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

28 mars

Ouf! Chimiothérapie 1. Il ne reste que trois séances.

J’ai bien tenté sauvegarder le plus de souvenirs possibles de cette première séance de chimiothérapie. Beaucoup d’interférences dans ce qui se passe : des émotions, de l’anxiété, un désir d’apprivoiser l’inconnu et, plus que tout, l’espoir.

5 h 45 : je devance mon réveil, préoccupée davantage par l’oubli de quelques tâches bénévoles à terminer pour un organisme culturel qui me tient à cœur. Des documents à expédier et quelques courriels à écrire pour tout orchestrer. Si j’en parle, c’est que cela fait partie du cheminement dans ce combat : il est plus difficile de s’abandonner que de continuer à vivre comme si tout était normal. Bonne ou mauvaise chose? Mon Réjean protecteur aimerait me voir plus soucieuse de me protéger. La terre va continuer de tourner sans moi… mais je n’ai peut-être pas envie d’y croire. Et cette pulsion à ne jamais lâcher, n’est-elle pas aussi une partie de ma force guerrière?

Douche, petit déjeuner, 16mg dexamethasone avalées, préparation d’un casse-croute pour l’hôpital, choix d’un livre et de musique pour mon iPod. Mon regard lorgne mon ordinateur portable. Je lis dans les yeux de mon garde du corps : « N’y pense même pas. » À défaut, j’apporte carnet et stylo.

7 h 20 : départ vers l’hôpital. Je me sens bien. Je me sens même en superbe forme. Et j’ai un bref sentiment de nostalgie à l’idée de ne plus l’être. Marchant sur les bords du fjord, la veille, je marquais les haltes repos possibles pour mes marches futures auxquelles je ne veux pas renoncer. Je prépare ma stratégie reconstruction.

En route

Centre hémato-oncologie. Je tire le numéro 42 et passe à la salle d’attente. Bien vite appelée au guichet pour l’inscription. Un papier à glisser dans la boîte de réception de la pharmacie. Un second à porter au centre de traitement pour ma prise de sang, pesée, mesure (impossible de convaincre ma préposée que 5’4 équivaut à 1m64 et non pas 1m60 comme l’indique sa feuille d’équivalence. Le temps d’un doute elle préfère croire son papier et m’inscrit en perte de 4 cm). Suit l'installation du soluté. 

Mon pharmacien attitré, le très sympathique Réginald Tremblay, me donne une première dose de cortisone, 8mg d’ondansetron en prévention contre les nausées. Il prend le temps de m’expliquer ce qui va suivre : je recevrai d’abord ma dose de cyclophosohamide et par la suite le taxotère. Donnés séparément, cela permet d’amoindrir le choc qu’inévitablement le corps va ressentir.  

- « Si picotement, douleur ou quelque malaise que ce soit, surtout n’hésiter pas à le dire », prévient-il.

Retour à la salle d’attente où deux écrans sont ouverts sur deux postes différents. La salle divisée en trois sections est bien occupée. Hommes, femmes et leurs accompagnateurs. Pas toujours des membres de la famille. Des bénévoles offrent leur temps pour véhiculer, attendre des patients qui n’ont personne pour prendre soin d’eux et partager leur angoisse. Il y a toujours de la grandeur chez l’humain.

Une dame coiffée d’un foulard, belle, dynamique est à ses côtés, en attente des résultats des analyses de ses plaquettes. Quand elle revient de son rendez-vous, elle dit au revoir, précisant que son traitement est retardé d’un mois. Ses plaquettes sont trop basses. C’est son quatrième cancer, confie-t-elle, ajoutant : « J’ai déjà gagné pas mal de temps, si je me rends à 60 ans je serai bien contente. » Ma gorge se noue.

Fauteuil numéro 10

Vers 9 h 30, je suis appelée.  Accueillie devrais-je dire par Marlène, mon infirmière attitrée et sa stagiaire dont le prénom m’échappe. L’infirmière chef, Line Bouchard supervisera au besoin.

Joie! On me demande si j’ai une préférence pour un fauteuil. Bien sûr, toujours là où il y a une fenêtre. Fauteuil numéro 10. J’ai compté une vingtaine de places, incluant quelques lits dans une pièce en retrait. L’ambiance est détendue, chaleureuse. Il y a les habitués qui observent les néophytes. Certains regards sont plus tristes que d’autres.


Chimiothérapie, le chaud et le froid
© Photo Réjean Leclerc

Il est 10 h. Bien assise, couverture préalablement réchauffée, c’est la coulée du cyclosphosphamide pendant les 30 premières minutes. Pas de casque protecteur pour les cheveux. Mais un bassin avec de la glace pour éviter la chute des ongles. La première étape se passe bien. 

10 h 34 : phase 2 le taxotère. Les gouttes coulent dans mes veines. Environ 15 minutes plus tard, je sens une douleur fulgurante au dos. J’en ai le souffle coupé tellement la pression est forte. Arrêt immédiat du traitement. On me donne de l’oxygène et le pharmacien accourt. Il explique que ce médicament est extrait des aiguilles d’if et peut provoquer une allergie.

La pause traitement a mis fin à la douleur. 11 h 20 : remise sous taxotère en moins forte dose. Des regards inquisiteurs surveillent mon état. Survient une pression douleureuse dans la gorge. Je le dis. Une toux provoque l'allerte. Stop! Mon pharmacien revient avec une injection de zantac. Suit une distribution de benadryl par le soluté. Ce dernier va provoquer de la somnolence, m’avertit Réginald. « Ah!? De toute façon je ne suis pas très occupée aujourd’hui! » Moins drôle est l’avertissement de sensation de brûlure et de montée rouge de la veine. À surveiller, sinon il y a risque d’éclatement et de voir s’épandre le remède sous la peau. Marlène surveille attentivement la montée rouge qui effectivement se manifeste, bien que la sensation de brûlure ait disparu.

12 h 25 : reprise du taxotère à raison de 25ml/h.
12 h 45 : on augmente à 50 ml/h
13 h 05 : un x sur ma peau pour souligner la progression de la veine rouge.
13 h 17 : taxotère à 100ml/h. Il semble que le benadryl soit efficace.
13 h 39 on passe à 200ml/h. Tout va bien, si ce n’est que Marlène soucieuse sollicite l’avis de l’infirmière en chef. Avec raison, celle-ci interrompt la coulée, le temps de replacer le cathéter dans une autre veine.
14 h : taxotère à 400ml/h
14 h 45 : début nausées, légère douleur au dos, somnolence. Nouvelle injection de ? pour m’aider.
15 h 30 : Fin. Et dernières instructions dont je me souviens plus ou moins. On me remet de la documentation, m’invite à ne pas hésiter à téléphoner et me donne une trousse de soins pour les dents, la peau et les ongles. Je me sens passagère en classe affaire pour un vol vers la guérison.

Retour à la maison

Sensation de fatigue extrême, mais plus encore bonheur d’être de retour à la Maison heureuse. Tendre moment avec les enfants venus faire des câlins à leur Mamieke. La vie est là. Ma vie. 

*** 

mardi 27 mars 2012

Des cheveux courts

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27 mars

Demain, Christiane retourne au combat. Je me prépare de toutes les façons.

Ma cote de mailles est tricotée des pensées chaleureuses par vous envoyées. Mon armure est bardée de tous les rires partagés. Mon esprit se dresse orgueilleux de l’amusant pied-de-nez fait au cancer lors de mon dîner d’anniversaire où le crabe a été dévoré dans une ambiance festive.

Hier, j’avais rendez-vous avec Clément, mon coiffeur musicien qui transforme la coupe de cheveux en accords de guitare. Une coupe très courte, la plus courte. 

 Sous les ciseaux de Clément Tremblay, parée pour la chimiothérapie
© Photo Christiane Laforge
 
Cela, en prévention de la perte complète de mes cheveux qui surviendra, prédisent mes médecins, dix jours après le premier traitement en chimiothérapie. Par cette coupe, j’affirme que je dirige les opérations sans crainte des pertes inévitables. C’est le cancer qui m’a attaquée, mais c’est moi et mes alliés qui lui faisons la guerre.

Ce matin, en prenant mes comprimés de dexaméthasone, pour prévenir certains effets secondaires du traitement, je mesurais mon avancée sur le terrain. Oui, j’avance sans plaisir. Oui, tout l’inconnu des prochaines semaines me fait peur. Oui le meilleur et le pire se disputeront mon corps.

Demain, 8h, je serai au centre d’hémato-oncologie, au 2e étage de l’hôpital de Chicoutimi . En attendant, je continue de m’informer sur la chimiothérapie, sachant cependant que chaque cas est unique. Donc, en toute modestie, je suis unique!

Avec toutes les limites inhérentes à mon statut de patiente et non de spécialiste, je tenterai de partager ce que je vois le plus souvent possible.

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vendredi 23 mars 2012

Premier pas en hémato-oncologie

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23 mars

Mardi 20 mars 14h30 je me retrouve dans la salle d’attente du service d’hémato-oncologie de l’hôpital de Chicoutimi. Divisé en trois sections vitrées, ce lieu de patience réunit évidemment des personnes en guerre contre le cancer. Des hommes et des femmes en phase combat, la plupart accompagnés heureusement.

Devant moi un homme d’automne et son fils en fin de printemps. Je ne les vois que de dos et je ferme l’oreille à ce qu’ils disent tout bas. Je ne veux pas être indiscrète puisqu’eux-mêmes se font discrets. J’aime l’image de ces deux chevelures, grise et brune, rapprochées dans le murmure.

À différents moments, des appels sont lancés. Le nom d’un patient invité à se rendre à une porte numérotée. Je regarde une dame âgée passant à petits pas, la tête couverte d’une tuque qui m’envoie un aperçu de ma propre tête dénudée dans quelques semaines.

Je surveille la porte du bureau numéro 1 où se trouve l’oncologue qui va m’accompagner au printemps et une partie de l’été. Je l’ai aperçu entre ses sorties et entrées : un homme très grand, jeune, le pas pressé. D’autres personnes y accèdent avant moi, chacune avec sa propre histoire. Au fil du va-et-vient entre les différents locaux je n’ai vu aucune larme.

Une heure vient de s’écouler quand j’entends mon nom. Je suis une parmi d’autres avec son compagnon. Nous entrons et prenons place face au médecin qui nous accueille gentiment puis retourne aussitôt à son ordinateur ouvert sur des pages de mon dossier médical. Un dossier qu’il a pris le temps d’étudier admet-il, afin de me donner la médication la plus appropriée.

Nouveau bilan de mon cancer. De nouvelles précisions encourageantes. Sous réserve de mon inexpérience en ce domaine, disons que l’on exclut le marqueur Her2 de mon cancer ce qui accroît mes chances de victoire.

Opérations réussies. Les examens de l’ensemble du corps permettent désormais d’écarter toute trace de cancer... de cancer visible. C’est pour l’hypothétique présence de cellules cancéreuses invisibles que l’on envisage la chimiothérapie (4 séances aux 3 semaines) et l’hormonothérapie pendant 5 ans. Sans oublier l’incontournable radiothérapie qui suivra, un mois après la chimio.

-    Il n’y a plus trace de cancer, répète mon oncologue. Alors pourquoi vous injecter un poison?  On le fait peut-être pour rien. Mais, c'est la meilleure garantie.

Voilà sans doute une question que l’on doit se poser. J’ai beaucoup lu sur le sujet, avertie que je suis depuis le début de devoir subir une chimiothérapie. Je lui en fais part. Il comprend que j’ai compris.

-    Je veux être bien certaine qu’il n’existe même plus l’ombre de ce crabe. Je ne veux même pas imaginer qu’une parcelle puisse nous avoir échapper.

Je suis consciente que ce n’est pas sans risque. Je crois que le bénéfice est plus grand que les inconvénients. Je râlerai sans doute pendant les semaines à venir, mais jamais je ne détournerai les yeux de l’objectif ultime : guérir.

-    Vous utiliser le mot guérison ou rémission?
  
-    Je n’aime pas le mot rémission, rétorque le médecin. Cela sous-entend que le cancer est toujours là. 
   
-    Moi aussi, je préfère le mot guérison.

Une fois la décision prise, le Dr Houde m’explique les grandes lignes du traitement. Dans mon cas, il s’agit d’un protocole utilisant deux médications. Si je me souviens bien, cela se traduit par taxotere et cyclophosphamide  ou dans le jargon médical TC. 

Nous refaisons le point sur les effets secondaires. Il me rassure quant aux vomissements appréhendés. Une médication préventive nous est donnée pour éviter cela. Du dexamethasone 4mg m’a été donné. Deux comprimés matin et soir 24 heures avant le premier traitement. Idem le jour même et le surlendemain. J’aime bien l’idée d’occulter les nausées, mais j’espère ne pas troquer un désagrément pour un autre. Je lis ici : « Si le dexaméthasone diminue les nausées, il cause toutefois des effets secondaires tels qu’insomnie, indigestion, anxiété et changements d’humeur. » On le saura bientôt.
Ma première séance aura lieu la semaine prochaine, le 28 mars me prévient Karine au lendemain de ma visite. Un report de quelques jours à ma demande :

-    Est-ce un problème si on retarde de quelques jours? Le 24 mars, c’est mon anniversaire et je voudrais être en bonne forme pour manger du crabe.
   
-    Du crabe? Et pourquoi du crabe?
   
-     Pour montrer à mon cancer que c’est moi qui le dévore. Pas l’inverse.


À la pharmacienne qui apportait mes comprimés de dexamethasone en s’informant du jour de mon traitement, il explique aussitôt :

-    On commencera seulement la semaine prochaine car il faut d’abord manger du crabe. C’est très important, insiste-t-il devant son regard étonné.

Je lui souris, ravie.

Cette première rencontre avec l’oncologue m’aide à apprivoiser la prochaine étape. J’ai confiance.

Suit un premier face à face avec mon infirmière pivot, la dynamique Karine Martin au bureau tapissé de dessins d’enfants. Ceux des siens et de ses petits patients. Je trouve cela vivant, chaleureux. La froideur ne s’est pas installée dans ces lieux, l’indifférence non plus.

Karine complète l’information abondante déjà reçue, veillant à ne pas trop en ajouter non plus. On ne peut pas tout retenir en une fois. Elle propose la visite du centre de traitement.
 Un exemple de la salle de traitement, celle de l'hôpital Saint-Sacrement, Québec
Une porte vitrée s’ouvre sur un univers qui m’impressionne : une longue rangée de fauteuils accompagnés de l’équipement nécessaire à l’injection des produits chimiques. Pas de patients dans la salle. Il est plus de 16h. Seule l’infirmière qui les accompagne dans leur traitement est là, le regard lumineux et un grand sourire pour saluer sa future cliente.

***

samedi 17 mars 2012

L'antre de la caverne

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Il pleurait sur Chicoutimi ce vendredi 16 mars, alors que je me rendais au rendez-vous post opératoire 2 pour entendre le verdict. Mauvaise nuit, anxieuse que j’étais malgré tout pour la suite. Non, il ne faut plus espérer un revirement. Je n’échapperai pas à la chimiothérapie imminente.

-    Bonne nouvelle, annonce mon chirurgien, les résultats sont négatifs.

-    C’est positif! Conclut mon amoureux- garde du corps qui tient mordicus à être présent à tous mes entretiens, soins et traitements.
 
-    C’est positif, assure le médecin, manifestement content de l’état de mes cicatrices et du contrôle réussi des enflures provoquées par le liquide lymphatique.

Si l’on veut imager la cicatrice sous l’aisselle, pensons à un vêtement déchiré, puis recousu sans l’ajout d’une pièce. Cela fait pli et rétrécit le tissu qui ne s’étirera plus jamais complètement. Il subsiste un inconfort qui s’atténuera sans disparaître totalement. Par contre, la cicatrice au sein est « belle ». En recoupant exactement au même endroit, on évite d’accentuer la blessure et le galbe reprend sa forme habilement préservée par le chirurgien.

-    Ce n’est que partie remise m’ont prévenue les expertes, la radiothérapie va transformer ta peau en cuir.

J’ai parlé à l’imparfait des douleurs énoncées dans une page antérieure. Après une fin de semaine d’une douleur permanente et pénible, une prescription d’analgésiques opioïdes (MS-IR) m’a été délivrée par mon médecin traitant. Deux prises de 5mg les deux premiers jours, de quoi retrouver le sourire. Une prise par jour de 5mg les deux jours suivants, puis zéro depuis le cinquième jour, de quoi retrouver l’imparfait.

-    Pas de soulagement avec les tylenols, lui dis-je, et je les digère très mal.

-   Cela prenait quelque chose de plus fort,
concède-t-il, content de mes ressources.

Examen terminé, on se retrouve face à face pour parler d’avenir. Au moins les six prochains mois en chimiothérapie. Chaque personne réagit différemment. Entre le pire et le moins pire. Dans son regard, je pressens qu’il jauge ma force combattive. Il lance :

-    Vous allez perdre vos cheveux

-    J’espère qu’ils repousseront bouclés. J’économiserai sur les permanentes.

-   Cela arrive souvent,
rétorque-t-il en souriant, expliquant plus sérieusement les possibles changements qui peuvent survenir.

On peut bien badiner, le sujet n’en est pas moins grave. Ce qui m’attend est une chimiothérapie adjuvante, c’est-à-dire qui suit un traitement chirurgical. « Elle a pour but de réduire le risque de récidive du cancer à distance (métastases), en agissant sur d’éventuelles cellules persistantes et non détectables après la chirurgie. »(source)

En quittant le bureau, où je ne reviendrai que dans quatre mois, je déclare terminée l’étape 1, en deux prises, qu’est l’extraction des masses cancéreuses. En route vers la seconde quête… il y a une princesse à délivrer.

Aujourd’hui, alors que le ciel troque le gris brouillard du matin contre un bleu nénuphar du midi, j’avance vers un mardi importun. Je me sens fauve au seuil d’une grotte obscure, dans un va-et-vient mental où il n’y a pas d’issue. Pour combattre l’ennemi je dois entrer dans les entrailles de ce lieu inconnu, effrayant. J’y affronterai inconfort et douleur. Et nul ne peut affirmer hors de tout doute que j’en sortirai indemne.

dimanche 11 mars 2012

Infirmière pivot

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Semaine laborieuse où l’écriture a occupé toute la place. Profitant d’un répit médical imposé par le délai d’attente postopératoire pour connaître le fin mot des analyses, j’ai rythmé mon temps comme une semaine régulière de travail. Objectif : rédiger deux textes majeurs que je dois livrer avant le 25 mars.

De longues heures devant l’ordinateur pour la recherche et la rédaction… comme jadis. Si j’en crois la cadence de mes pas dans mes kilomètres qui me mènent toujours plus près du sommet de la grande côte du rang Saint-Joseph je suis en bonne forme physique. Pourtant, au sixième jour de mon labeur imposé, je ne suis que douleur dans la nuque, le dos. Comme souvent au temps du travail régulier. Je me gronde de retomber si facilement dans le piège de mes excès d’horaire au clavier.

Et cela aurait pu me plaire parce que, pendant ce temps, ce fut souvent comme si le cancer cessait d’exister. Il ne se laisse pas oublier si facilement. À la douleur soudaine d’un coup de scalpel ouvrant la chair dont je parlais dernièrement, se sont ajoutées d’autres sensations désagréables. La cicatrice sous l’aisselle donne l’impression de refermer le bras sur un morceau de bois pénétrant sous la pression. Et le sein gauche irradie d’élancements presque constants, semblables à un coup que l’on se donne en se cognant contre le coin d’une table tout en devenant d’une lourdeur que je ne parviens pas à soulager. Devant l’inefficacité des antidouleurs je me suis résignée à prendre le dernier comprimé de morphine (5mg) qui me restaient sur les 20 prescrits après l’opération. Soulagement temporaire. Et après?

Infirmière pivot

Devrais-je téléphoner à mon infirmière pivot en oncologie? Laissons-lui son dimanche. Ce service existe depuis 2006. Elles ne sont que six dans la région pour répondre à de nombreux appels. De quoi s’étonner et apprécier leur constante disponibilité.

Justement, la semaine dernière CBJ a entrepris une série d’entrevues sur le cancer, afin de souligner la levée de fonds de Leucan dont le point culminant avait lieu samedi par une journée de ski au Mont Lac-Vert. Mercredi, l’invitée de Jean-Pierre Girard à L’heure de pointe était Karine Martin, infirmière pivot en oncologie. Celle-ci a bien décrit l’importance de ce service offert au malade et aux membres de leur famille, car explique-t-elle :« ... pour eux la terre a cessé de tourner.  Nous on est là pour essayer de faire tourner la terre un petit peu. »

L’infirmière pivot est le trait d’union qui assure un lien entre le patient et les services disponibles. Mais c’est aussi une oreille experte et attentive.

***
Heure de pointe à CBJ : le lien

samedi 3 mars 2012

Au jour le jour


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27 février

L’énergie revient plus rapidement que lors de l’opération 1. Il est vrai que l’intervention a duré moins longtemps. Cette fois, j’espère profiter pleinement de cette parenthèse entre opération et chimiothérapie. Car c’est ainsi que j’apprends à vivre. En acceptant chaque jour pour ce qu’il est. Il y a des mauvais jours, comme samedi dernier. Douleur, nausées et fatigue. Il y a des bons jours comme ce lundi alors que le corps est comme une rivière délivrée de sa prison de glace.

Visite de ma grande amie L. cet après-midi. Trop courte visite pour combler les 500 kilomètres qui nous séparent depuis une décennie.  Elle me condamne à l’optimisme, se présentant pour preuve que l’on peut vaincre le cancer. Ajoutant exécrer le mot « survivante » utilisé pour les femmes ayant combattu avec succès le cancer du sein.

-    On n’est pas des survivantes, assure-t-elle, mais des victorieuses. On l’a vaincu.

-    Survivre : « réchapper à une catastrophe » définit l’encyclopédie internaute. Résister, continuer, demeurer, persister, rester.

-    Mais je te le concède, lui dis-je, j’aime bien l’idée de la victoire.  

28 février

Journée moins glorieuse. Trop abusé d’une énergie fragile. Le besoin d’aller marcher est impérieux. J’ai rebroussé chemin à mi-parcours, tristement heureuse de retrouver les bras de mon fauteuil.

Depuis fin janvier, surtout après mon entrevue à CBJ, j’ai reçu plusieurs témoignages. Des « victorieuses » soucieuses de m’encourager. Des agressées récentes qui avouent envier mon aveu public. Leur crainte est le regard des autres. Surtout le regard de l’autre :

-    J’ai épousé une femme complète. Pas question que je reste avec une demi-femme, lui a-t-il dit en la quittant, me raconte une dame outrée.

Elles craignent la pitié autant que le dédain. Le cancer du sein atteint la femme dans sa féminité et dans l’expression de sa sensualité. Elles ne veulent pas seulement survivre. Elles veulent vivre.

En phase combat, la préoccupation ne concerne pas ou peu les perspectives de reconstruction du corps mutilé. (Si ma recherche est bonne, il semble que la reconstruction mammaire post mastectomie pour tumeur maligne, que ce soit sur le sein mastectomisé ou sur le sein controlatéral, est d'emblée autorisée. Ceci s’applique aux codes 1386 et 1388.) Source RAMQ. Cela fait partie d’un « après » encore lointain. Tout comme la perte des cheveux : perruque, foulard, tonde?  Curieux que ces questions préoccupent tant les personnes non concernées, me suis-je dit.

Au cumul des témoignages, je comprends mieux pourquoi le silence des femmes. Le mot cancer frappe de plein fouet celle qui reçoit le diagnostic, mais tout son entourage est ébranlé. La majorité des « autres » se précipite sur les statistiques rassurantes de rémission.

-    C’est le cancer qui se soigne le mieux, me dit-on souvent.

-    Oh! que je suis contente!,
que j’ironise en silence. De quoi devrais-je me plaindre?
 
En fait, je ne me plains pas. J’affirme un fait : j’ai un cancer. Je confirme une action : je me bats. Et quand la douleur me rappelle le coup du scalpel ouvrant ma chair je râle. Cette soudaine sensation d’une coupure profonde qui m’assaille plusieurs fois par jour m’indispose.  
 
29 février

Pas question de musarder. Aujourd’hui je grimpe au moins le tiers de la grande côte.

-    Avance Christiane. Marche vers demain.

Au retour, appel de mon infirmière pivot, inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles depuis la seconde opération. Je la rassure et décris mon quotidien. Elle me gronde gentiment.

-    Vous voulez aller trop vite. Vous venez tout juste de subir une seconde intervention. Donnez-vous le temps de récupérer.
 

Contente d’apprendre que je m’entête à aller marcher, elle m’a recommandé un peu de modération dans mes autres exercices.

-    Ah!? Je ne peux pas encore commencer les poids et haltères?

-    Surtout pas,
réplique-t-elle alarmée, avant de comprendre que je la taquine.

Elle ne semble pas pressée de raccrocher. Chaque fois, ces infirmières qui nous soutiennent me convainquent de leur disponibilité. Je les sens attentives. Les questions sont pertinentes et visent à entendre aussi ce que je pourrais taire. Justement, je m’inquiète de mon futur oncologue. Un congé de paternité l’a éloigné temporairement. Toujours à l’affût du bon côté des choses, je me dis que la seconde opération a suffisamment retardé le traitement en chimiothérapie pour lui donner le temps de revenir au travail. Un papa tout neuf, cela augure bien dans un combat pour la vie!

***  

vendredi 24 février 2012

Opération 2


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La veille de la seconde opération s’est déroulée dans le calme. Quelques courriels pour dire « Je pense à toi », mais pas de fiesta familiale avec les enfants ni de regards inquiets. Et finalement, pas de petite valise non plus en prévision d’une hospitalisation, convaincue de rentrer à la maison le jour même. Je mémorise chaque moment comme une simple observatrice. La même histoire et pourtant elle n’est pas identique.

C’est logique. Il n’y a plus l’espoir que ce soit un cancer sans gravité. Il n’y a plus le doute non plus sur sa réalité. On a cerné l’ennemi. On sait comment le vaincre. Cette opération prise 2 consiste à extirper de mon sein toute trace visible de ce cancer.

Je m’inscris à la réception avec l’assurance de celle qui sait où elle va. La salle d’attente déborde. Des couples, des parents, des enfants. Les futurs opérés et les accompagnateurs. Les appels se succèdent. M. ou Mme x salle 1 ou salle 2 dont on revient un bracelet d’identité au poignet pour l’un et un papier avec l’horaire et les directives pour l’autre.

À ma gauche, un jeune couple lit le dépliant bleu qui explique le déroulement de l’opération et les instructions post opératoires. Devant moi, un homme attend le retour de celle qu’il accompagne. Elle surgit souriante et murmure à son oreille : c’est négatif. Sa joie me plaît. À l’hôpital quand le résultat d’un examen est négatif cela veut dire que c’est positif… une bonne nouvelle!

À mon tour d’aller en salle 1. Je suis accueillie par une jeune femme qui se dit prête à répondre à mes questions. Sauf qu’elle n’a pas de réponse à la seule question que je pose. Je signe les autorisations requises pour la chirurgie et pour l’anesthésie et retourne en salle d’attente. Prévoir encore une heure avant le prochain appel.

Le 16 janvier, la préparation avait lieu autour d’un lit. Cette fois, j’ai droit à un fauteuil verdâtre d’une autre époque. De l’autre côté du rideau, un jeune garçon se prépare pour une intervention typiquement masculine. Il rigole à l’idée de la réponse qu’il veut donner quand on lui demandera s’il est bien à jeun : « Seulement des œufs, bacon, saucisses », répondra-t-il. Ce n’est que tout bas, un bref moment avant, qu’il avoue à sa mère : « Ça me fait peur ».

Les pieds gainés des longs bas blancs et couvre chausses, coiffée du bonnet bleu, vêtue d’un peignoir blanc, je tente de me réchauffer sous le drap, taquinant Réjean contraint de rester debout pour la prochaine demi-heure : 

- Moi je suis la patiente, mais c’est toi qui es patient.

Quelques revues traînent sur le bord de la fenêtre. Je risque un œil sur la plus récente (2003) au titre racoleur : « Ce qui séduit les hommes ». Ouf! Ces messieurs ne revendiquent pas des seins sans cicatrices. Ils veulent des amantes imaginatives, entreprenantes et sans attentes.

En route

Le jeune homme protecteur du 16 janvier est remplacé par une dame d’expérience. J’en profite pour poser des questions. Par exemple les noms des oncologues, curieuse de connaître celui qui s’occupera de ma chimiothérapie. Le trop court trajet ne lui donne que le temps de se présenter et de m’assurer que c’est elle qui va prendre soin de moi pendant l’intervention. 

La salle d’opération est plus petite que la première fois. Trois infirmières se préparent, prennent connaissance de mon dossier. On marque mon bras gauche d’un x. Une précaution pour éviter de se tromper de côté. Moment de doute : je veux que l’on me confirme le nom de mon chirurgien. Cette fois, il ne viendra pas me saluer avant et me dire les mots rassurants : « tout va bien aller ». Je n’ai que le temps de voir le bleu des yeux de mon anesthésiste, Édith Massé. 

- J’aime ce prénom, lui dis-je. Il est rare et il m’est précieux.
- C’est vrai qu’il est rare, réplique Denise. C’est comme des Denise, c’est un prénom qu’on ne retrouve plus chez les nouveaux bébés.

J’ai à peine le temps de sentir qu’on installe mon soluté, d’entendre qu’on va me faire une injection et puis qu'on me mettra un masque pour l’anesthésie… que je refais surface le temps d’exprimer la douleur ressentie. Rien n’est précis, je sens une présence, puis me réveille dans un autre environnement. Des impressions se succèdent, se confondent, surgissent, disparaissent. Je m’agrippe à ce début de conscience retrouvée. Je tiens à m’éveiller, à sortir de ce brouillard. Objectif ultime : rentrer chez moi. Plus de sept heures de sont écoulées depuis mon arrivée au sixième étage de l’hôpital de Chicoutimi.

Habillement, chaise roulante, voiture, halte pharmacie et, oh! réconfort, maison.

Surlendemain

Je flotte agréablement dans cet environnement chaleureux. Je suis orgueilleuse de me sentir à ce point en forme, jusqu’à ce que je découvre que cet état de bien-être et sans douleur n’est pas étranger au fait que la dose du médicament prescrit est cinq fois plus forte que ce que j’avais eu à la première intervention. À l’humilité retrouvée se joint un élan de gratitude envers mon chirurgien qui me soustrait ainsi au difficile lendemain de l’opération précédente.

J’apprivoise l’idée que ne rien faire aujourd’hui est ce que je peux faire de mieux.

Demain, il sera encore temps de m'interroger sur ce curieux clapotis qui se manifeste dès qu'un mouvement fait bouger mon sein gauche.

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lundi 20 février 2012

Le temps est différent


  Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

Les jours se succèdent, mais il y a une différence. Le présent bat le rythme de l’attente d’une étape. Le futur est une grande scène de théâtre où les rideaux fermés cachent le décor. J’ignore tout de ce qui va se jouer, hormis ma vie.

Petite retour sur les jours précédents
 
Après la seconde ponction, le soulagement a été de courte durée. Le lendemain, l’enflure a repris sa place. Le surlendemain la douleur s’ajoute à l’inconfort. 
 
Je sais ne pouvoir rejoindre ni mon chirurgien, ni mon médecin de famille avant lundi. Je tente de trouver, une fois de plus des réponses sur l’Internet.

Cela demeure dans la normalité me répète ma raison. Pour la plupart des opérées 80% n’auront pas à recourir à une ponction. Pour 20% il peut y en avoir une ou plusieurs. Plus je sens croître cette « grosseur » liquide plus je m’éloigne de tout ce qui n’est pas cette sensation désagréable. 
 
Au bureau du chirurgien, la secrétaire m’assure un rendez-vous pour le jeudi 16.  Sensible à mon désarroi et aux consignes du médecin, elle s’engage à communiquer avec lui dès lundi au bloc opératoire afin qu’il puisse me recevoir à l’hôpital. Je sens et apprécie que l’on se soucie de moi. En même temps, j’apprends que pour une personne souffrante ou en détresse les samedi et dimanche sont des ennemis.
 
Je dois trouver une solution temporaire. Pourquoi pas de la glace? Les compresses souples légèrement coussinées que l’on met au congélateur sont requises. Le froid et la pression ne réduisent rien, sinon qu’elles me donnent l’impression de contrôler l’enflure. Illusion, me dira le médecin, le froid n’y est pour rien. Par contre, la pression a pu aider.

Tel que promis, je suis vue par mon chirurgien à la clinique externe de l’hôpital. Ponction 3 de 280 cc. 

Suivie d’un pansement destiné à faire pression pour maintenir collée peau contre chair. Je quitte la clinique toute joyeuse de mon bras retrouvé. Je bats des ailes pour savourer. Le jeudi, retour au bureau du médecin pour enlever le pansement et constater une nette amélioration. Si ce n’était de la cicatrice qui… mais là vraiment, je crois que je vais tolérer. Un certain temps du moins!

Entre deux temps
 
De retour à la maison, je compte bien profiter des cinq prochaines journées. La parenthèse souhaitée avant la seconde opération du 22 février. J’aspire à oublier, un moment, que je fais partie des femmes touchées par le cancer du sein.

J’y arrive souvent. Jamais totalement. Non pas pour me plaindre ou courber l’échine. Non, simplement parce qu’il m’est impossible de faire des projets à court terme, sachant que dans un mois, commencera la chimiothérapie. Parce que chaque matin je m’éveille de plus en plus tôt et que la première pensée qui traverse la brume de mes rêves, c’est le cancer. Je tente d’écarter le mot qu’aussitôt tourbillonnent dans ma tête toutes les tâches qu’il me faut absolument terminer avant de ne plus en avoir la capacité. 
 
Je prends conscience d’un temps qui n’est plus comme avant. J’ai vécu des urgences santé frisant la catastrophe. Plusieurs fois. La chute brutale. La vie sauvée. La reconstruction. La différence avec le cancer, c’est qu’il nous habite.  Un envahisseur sournois qui exige un abandon, une confiance totale envers ces médecins dont la science et l’expérience sont mes alliés.

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