En 2011 au Canada, on estime à 23 400 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. En moyenne, chaque jour, 64 Canadiennes apprendront qu'elles sont atteintes du cancer du sein et 14 Canadiennes mourront des suites de la maladie. Une femme sur neuf risque d'avoir un cancer du sein au cours de sa vie. Une femme sur 29 en mourra. Le 16 décembre 2011, je suis devenue officiellement une des 23 400 femmes ayant un diagnostic de ce cancer. En 2021, on estime que 229 200 Canadiens recevront un diagnostic de cancer et que 84 600 décèderont du cancer.


lundi 23 juillet 2012

Radiothérapie : grande finale

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

Est-ce possible? 

Sonnez les cloches, chantez, dansez, envahissez l'espace, ouvrez grand les bras pour enlacer la vie... dans quelques heures, les rayons signeront sur mon corps mutilé les closes d'une armistice entre le cancer et moi. Il dépose les armes après sept mois de combat. Ce soir je sabre le champagne!

À 16 h 10, ce 23 juillet 2012, je vivrai ma 20e et dernière séance de radiothérapie. Bien sûr, il faudra un ultime examen pour conclure à la victoire. Mais je la sens en moi, vibrante et lumineuse.

 Aujourd'hui, j'accepte de poser les yeux sur les ruines d'un corps qui a chèrement combattu pour vivre. Dépouillée de mes cheveux, des mes cils, de mes sourcils, le sang anémié, la chair à jamais marquée par des cicatrices encore douloureuses, les mains laides de mes ongles assaillis par les poisons chimiques, la vue sans cesse brouillée par les larmes d'une pluie persistante, l'énergie en berne et la douleur couvant sous les cendres, je regarde devant moi et vois l'avenir.

Le quotidien de la radiothérapie

À la quatrième séance de traitement, j'ai compris que tout ce mois allait se passer au rythme des passages quotidiens au service de radio oncologie

Bien que suivant le conseil du technicien, à savoir prévenir la douleur au bras et au dos en prenant un analgésique avant le traitement, je n'échappe pas totalement à la douleur, mais parviens à espacer la prise de morphine, mais non au triatec.

Déjà habituée à la promptitude du service, la 5e séance va se révéler plus cahoteuse. Ce vendredi 29 juin, l'humeur du temps est orageuse. À peine arrivée dans la salle d'attente pour mon rendez-vous de 14 h 45,  je lis sur le tableau blanc les retards des salles 1, 2 et 3 variant de 20 minutes ( 2 et 3) à 1 h 55 (salle 1). Le nombreux de patients impatients va croissant. Les conversations se multiplient. Je tente d’occulter les propos réactionnaires de quelques messieurs installés devant la télévision. Tous les préjugés y passent jusqu'à ce que le propos se fasse plus personnel. Une description détaillée de leurs ennuis de santé, de la vessie à la prostate. Face à moi, trois femmes échangent sur leur expérience. Je frémis en entendant l'une d'elle mentionner qu'après avoir combattu un premier cancer du sein, sans chimio, elle est en lutte pour un second. Elle ne se plaint pas. Elle se veut rassurante concernant les effets de la radiothérapie, fière de ne pas avoir perdu ses cheveux blonds et bouclés. 

Le retard s'accentue. Les orages provoquent de courtes pannes d'électricité. Or une interruption, même très courte, exige une vérification de toutes les machines. Afin de gagner un peu de temps, chacune est appelée pour redessiner les tracés rouges qui, en prévision des douches de la fin de semaine, sont protégés par un ruban collant transparent. J'y passe à 15 h. Je choisis de retourner dans la salle d'attente en jaquette d'hôpital pour éviter un second déshabillage. J'en couvre l'inélégance par ma veste, laquelle fait l'envie des autres qui commencent à mal supporter le froid de la salle d'attente. Bon samaritain, le concierge distribuera quelques couvertures. Il est sympathique cet homme; saluant les patients qui le croisent pour montrer qu'ils ne sont ni anonymes, ni invisibles. Je le rencontrerai à d'autres étages où nous échangeront sourire et bonjour comme de vieilles connaissances. À 17 h, je suis enfin priée de me diriger en salle 1. Quelques minutes pour bien m'installer sur la table avant de lancer les radiations et voilà que survient une nouvelle interruption de courant. À peine quelques secondes. Il faut recalibrer la machine. Retour  en attente jusqu'à 18 h 30. Pas de grogne. Tous les patients comprennent le problème. Une employée confie qu'en dix ans de travail au centre, c'est la première fois qu'elle voit une telle succession de pannes. 

Encore trois jours pour récupérer. Fatigue, frilosité, nausées, mal à l'estomac et dos douloureux, le sein lui me semble moins enflé et moins brûlant. Par contre je réagis mal à l’œdème spectaculaire de mes pieds. Est-ce un effet inattendu de la radiothérapie?

Mardi 3 juillet, les techniciens admettent que la plupart des effets énoncés peuvent être une conséquence de la radiothérapie, précisant que la chimiothérapie n'a pas fini non plus de se manifester, mais l’œdème n'en fait pas partie.

Mercredi 4 juillet, seconde rencontre avec l'oncologue. Il atténue mon angoisse pour certains symptômes : estomac, toux, taches brunes sur le sein. L'enflure de mes pieds l'alerte cependant. 

- Non, ce n'est pas la radiothérapie qui en est la cause, assure-t-il. 

Pas de conseil pratique en attendant, sinon, garder le plus possible les pieds surélevés. 

Je lui confie avoir eu, la veille, une journée où je me sentais relativement bien... une sensation d'énergie. Un regain. Il me regarde intensément :

- Cela va vous arriver plus souvent et cela va durer plus longtemps.

Et mes ongles?

- Patience. Vos ongles? On a tenté de vous empoisonner... on vous a empoisonnée. Patience, les effets de la chimio sont encore là pour plusieurs semaines... beaucoup de semaines.

Jeudi et vendredi, 8e et 9e traitement. C'est la routine avec son lot de fatigue, de sensations douloureuses. Supportables parce qu'on s'y habitue? Si ce n'était l'enflure de mes pieds et de mes jambes maintenant, la fin de semaine serait presqu'agréable. Je cueille chaque bon moment et m'offre, le dimanche, ma première vraie balade en cinq mois et marche en forêt, montant jusqu'au ruisseau qui borde mon terrain. La montée est forte bien que la distance soit courte. 

Lundi 9 juillet j'entame la seconde moitié de mes traitements, impatiente au mercredi, angoissée que je suis par ces pieds gonflés démesurément. Je ne suis pas la seule, me confie une connaissance en pleine guerre elle aussi. L’œdème l'envahit du pied à la cuisse avec douleur, inquiétude et entêtement de tous à nier un lien avec la radiothérapie. Pourtant? me dis-je, nous sommes plusieurs à constater cet effet. 

La salle d'attente est aussi une salle d'entente. On n'échappe difficilement aux confidences. Un regard suffit à distinguer l'accompagnateur du patient. Je suis chaque fois émue de cette volonté manifeste de vaincre le cancer qui les anime toutes. Les unes sont davantage épargnées, d'autres sont en désarroi à la seule idée d'être obligées de reprendre le travail dans quelques mois alors qu'elles se sentent encore si vulnérables. Il ne sert à rien de dire que tout va bien aller. On ne vit pas dans un futur probable quand on se noie dans le mal-être. Entendez-vous ma détresse crie-t-on dans nos silences autant que dans nos plaintes? Un cri devenu plus fort avec ces mois de lutte qui s'accumulent tandis que le corps continue de se dégrader. Ne pas nier ni le mal, ni la peur, ni l'angoisse de ces guerrières. Sinon, on les enferme dans la noirceur.

Mercredi. Enfin! J'ai rendez-vous avec le Dr. Brassard qui constate que le gonflement de mes pieds s'est encore amplifié. 

- Rétention d'eau? Circulation du sang?
- Je pense plutôt à un manque de protéines, dit-il. Une prise de sang nous le dira. Si vous la faites prendre demain, j'aurai les résultats pour notre rencontre la semaine prochaine.

Il me recommande de ne pas m'inquiéter. Si désagréable que soit l'enflure, il n'y a aucun danger d'autant plus qu'il demeure convaincu de la cause. Et pour la peau de plus en plus sèche du sein que malmènent les rayons, il conseille une crème, genre aveeno sans parfum. Tout à fait dans mes choix puisque j'utilise déjà leur gel nettoyant hydratant quotidien pour la douche. Je me sens plus légère.

J'aborde le jeudi et le vendredi comme une experte. Je sais que la fin de semaine sera bénéfique. L'augure est bonne pour le jour où les traitements prendront fin. Quittant la salle de traitement, je salue la dame qui, depuis un certain temps, me succède à la salle 1. Elle me connaît par son amoureux qui est un ami du mien, ancien confrère de travail et copain de ski. Je me souviens que mon Réjean lui avait confié sa peine de me voir attaquée par le cancer. Et voilà que la compagne de l'ami affronte le même ennemi. Pas de chimio pour elle, me rassure-t-elle et la radio se laisse apprivoiser. Nous sommes une femme sur neuf à affronter le cancer. Quelle que soit la direction où je regarde, un de mes proches sera atteint.

Mardi 17 juillet

J'attendais avec impatience de revoir mon oncologue, curieuse de connaître les secrets de mon sang. Bonne nouvelle : plaquette, globules blancs et rouges, circulation du sang, reins, foie, etc, rien d'alarmant. Et, tel que prévu, confirmation sans équivoque d'une carence en protéines. 

- Combien par jour me faut-il?
-Bonne question, dit-il en me signant un papier qui me donne accès à une nutritionniste.
- Pas de diurétique?

Il se montre prudent et me prescrit de l'apo-furosemide 20ng, pour quatre jours seulement.

Finalement, dans les circonstances, je dois absorber plus de 60 à 70 gr de protéines par jour. Je me transforme en chasseresse de protéines : 100 gr de yogourt vaut 4 gr de protéines, 50 gr d'amandes en vaut 10, deux œufs 13. Je fais l'inventaire de ce que je mange et me retrouve largement déficitaires de mes besoins. J'entreprends une discipline alimentaire dans le but de corriger cette carence. C'est fastidieux. Depuis l'enfance j'ignore ce que c'est que ressentir la faim. Mon corps ne me signale pas qu'il est en manque sinon par un état de faiblesse soudain et fort désagréable qui me donne la nausée. Faim ressentie ou pas, je m'oblige à consommer mes 60gr de protéines, surveillant l’œdème de mes pieds dans l'espoir de retrouver des chevilles fines.

Vendredi 20 juillet, 19e traitement. Michel ose poser la question : d'où venez-vous? Je suis arrivé au Québec en octobre 1957 à l'âge de 9 ans, mais j'ai gardé un accent qui semble tout aussi étranger quand je me retrouve en Belgique. Il a connu Bruges, n'ignore pas le conflit entre Flamands et Wallons et s'informe sur la fête nationale. Le 21 juillet, répond la Wallonne qui n'a pas tout à fait oublié l'histoire de son pays d'origine. J'aime mes trois jeunes techniciens : leur curiosité, leur souci de mon bien-être, la chaleur de leur accueil comme de l'au revoir. Je les reverrai lundi 23 pour la dernière fois.

23 juillet 2012

20e séance de radiothérapie. La dernière. J'ai l'impression d'être arrivée dans un lieu recherché après une longue traversée d'un champ de mines. La fin d'un parcours. Devant moi le vide. Je n'ai plus de repères, seulement une sorte d'euphorie. Voilà sept mois que j'ai entrepris une guerre contre le cancer. Elle n'est pas totalement terminée puisque je devrai me soumettre à une hormonothérapie pendant cinq ans. Elle se continue dans les effets secondaires de la chimiothérapie qui se manifesteront encore longtemps  et de la radiothérapie pour quelques semaines. Mais ce soir je fais la fête.

***

à suivre

dimanche 22 juillet 2012

Radiothérapie 2 et oncologue à la 3e

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

Après la chimiothérapie, la radiothérapie devrait me paraître plus facile affirment des anciennes combattantes. Certaines, qui sont passé directement de l'opération à la radiothérapie, affichent un souvenir à peine désagréable qui ne les privait pas de leur vie active. D'autres me confient que ce fut une douloureuse épreuve avec plaies, suintements et immense fatigue. Je n'oublie pas ce que m'ont dit chacun de mes médecins, chirurgiens et oncologues : chaque cas est unique dans ce combat. Après trois jours d'interruption, je me rends à ma seconde séance sans a priori. Seulement attentive à mes propres réactions.

Le mal de tête et les nausées des derniers jours sont toujours là. Je suis essoufflée à l'effort. Je suis au 26e jour de l'après ma chimiothérapie et donc encore pour un temps (plusieurs mois affirmera l'oncologue) à la merci des effets secondaires du taxotère et du cyclophosphamide auxquels s'ajouteront ceux de la radiothérapie. 

Je montre mon code barre au lecteur de l'accueil, vois paraître sur l'écran mon nom, l'heure du rendez-vous et le numéro de la salle où je serai traitée. Je m'entends appelée et priée de me diriger vers la salle 1. Je suis encore une néophyte dans ce dédale. Au bout du couloir, je vois une double porte vitrée s'ouvrir et se refermer sur un patient en civière. Traitement, lis-je. Je m'avance donc pour la franchir. Pas de sésame pour moi. J'avance et je recule sous l’œil qui passe du vert au rouge au rythme de mon va-et-vient qui en devient loufoque. Soupir de soulagement quand la porte s'ouvre enfin. Gentiment on m'indique la bonne porte, située tout près de la salle d'attente parfaitement identifiée salles 1 et 2.

Passage rapide dans une des quatre cabines pour me dévêtir, brève attente à l'antre du corridor menant à la salle de traitement. Deux techniciens m'accueillent : le beau Marc-Antoine qui réveillerait bien Cléopâtre et le très prévenant Michel. Il ne manque que la belle Catherine au sourire de soleil. Tous m'inspirent confiance et pourtant ils me paraissent si jeunes. 

Le traitement est rapide. Plus tard je ressens douleur au sein et bras gauches ainsi qu'une grande fatigue. J'affronte le souper sans appétit, aspire à la fin de cette journée. J'espère que deux triatecs vont suffire à rendre la douleur supportable. 

Rencontre avec l'oncologue

La troisième séance est précédée d'une rencontre avec le radio oncologue. Tel que recommandé j'ai apporté mes médicaments et une liste mise à jour de ceux-ci. J'ai aussi une liste des sujets que je veux aborder avec lui, inquiète que je suis par un nouvel épisode d'aveuglement partiel de mon œil gauche. Plus que le tiers recouvert d'un voile noir opaque pendant un peu plus de quatre minutes. Après seulement deux traitements, mon sein est enflé, très coloré et douloureux de l'intérieur : comme des morsures ou coups d'aiguille furtifs.

Je me sens écoutée. Ce médecin entend ce que je dis, démontre une attention réelle. Il n'a pas toutes les réponses, mais des hypothèses plausibles à vérifier. Pour l’œil, il faudra explorer la possibilité d'un caillot. Dommage, mais je ne peux pas prendre de l'aspirine pour éclaircir le sang. Le pharmacien me conseillera de l'ail en gélules, mais j'y renoncerai, préférant attendre l'avis de mon médecin de famille. Quant au sein gonflé, douloureux, c'est en réaction à la radiothérapie. Il s'étonne d'une manifestation si précoce, ces symptômes apparaissant après plus de 7 séances. Il conseille des compresses froides et surtout de la patience face à tous les symptômes accumulés :

- Il faudra encore bien des semaines pour que les effets secondaires cessent. Cela peut durer un an.

Je n'ose lui demander si les six mois que je viens de traverser péniblement sont décomptés de cette année-là? Je connais la réponse.

Pourvue d'une prescription de morphine et d'un rendez-vous le mercredi suivant, je me dirige vers mon 3e traitement. Mon équipe m’accueille comme si j'étais une personne importante et s'informe de mon état. Je résume ma rencontre avec Le Dr Marc-André Brassard

- Pour votre douleur au bras c'est notre faute... nous l'étirons beaucoup, concède Marc-Antoine. Si vous prenez un analgésique 15 minutes avant le traitement cela peut vous aider à vous détendre et à avoir moins mal.

Soirée faste ce mercredi, j'assomme mes maux avec 5mg de morphine et m'abandonne au sommeil que je souhaite réparateur. Car demain tout recommence.

***




mardi 17 juillet 2012

Radiothérapie 1

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 


Les effets secondaires de la chimiothérapie n’ont pas rendu les armes. Ils se manifestent de plusieurs façons et cela pour encore plusieurs mois me prédit l’oncologue. J’évite de regarder mes mains aux ongles dont l’état témoigne de l’empoisonnement du corps. Je protège les plus menacés avec un pansement collant. Étourdissements et nausées ne doivent pas me faire courber l’échine alors que je me prépare pour ma première séance de radiothérapie.

Les grands traits rouges couvrant ma poitrine me rappellent que l’heure est encore à la guerre. Je présente au robot lecteur le code barre de ma carte d’hôpital, un œil sur l’écran pour vérifier que je suis bien inscrite. Dans le doute, je la passe une seconde fois me retrouvant avec deux Christiane Laforge inscrites en salle 1 à la même heure. Chouette! Me dis-je, j’ai enfin mon clone.

Accompagnée de mon fidèle gardien, j’entre dans la salle d’attente, sachant que pour le premier rendez-vous quelqu’un viendra me chercher. 14 h 40, une jeune femme m’appelle et m’initie à ce qui va être ma routine pour 19 autres fois : choisir une cabine, retirer vêtements du haut seulement, endosser la jaquette bleue et s’asseoir dans le coin d’attente, le temps que le patient précédant revienne de son traitement. Ce n’est jamais long avant d’être appelé à se rendre là où les techniciens opèrent les ordinateurs et autre écran ouvert sur mon visage. Lors de la rencontre préparatoire on avait pris une photo de moi. J’en comprends l’utilité : on est soucieux de s’assurer de l’identité du patient. On me demande de dire mon nom et ma date de naissance. Bonne réponse! Je gagne le droit de franchir un dernier passage et de m’allonger sur une table étroite couverte d’un drap blanc. Le moule de mon bras gauche y est déjà fixé. Ils sont deux à virevolter autour de moi, retraçant en rouge les frontières sur ma peau entre la partie qui sera irradiée et la partie préservée. Bras opéré relevé et maintenu dans son moule, bras droit le long du corps en partie soutenu par une planchette.  Immobile, abandonnée, je dois les laisser placer mon corps selon la zone ciblée par les rayons. Vérification des mesures et on me laisse seule sous la machine grise qui va « stériliser » le sein victime du crabe et du bistouri.

Ne pas bouger est le mot d’ordre. Bien sûr, c’est là que survient l’envie d’éternuer, que les fourmillements se multiplient sur le visage et que les jambes surélevées par un coussin ont des envies de tango. Je me concentre sur le bruit de l’accélérateur linéaire de particules. C’est indolore et rapide. Je compte une fois six secondes et une fois neuf. Puis la machine passe de l’autre côté de mon corps, le technicien revient pour une vérification ultime et le ronronnement  reprend en deux temps aussi rapides. C’est terminé, je peux baisser le bras, enfiler la manche de la jaquette et m’agripper au bras offert pour me redresser. 

Nous somme à la veille de la fête nationale du Québec, une fin de semaine de trois jours avant la seconde séance. Je reçois un petit papier qui m’indique la date et l’heure. Le rendez-vous suivant n’est jamais connu qu’après le traitement du jour. Le tout s’est déroulé en 20 minutes à peine.
Au cours de la soirée, je ressens fatigue et mal de dos. Et de 1, reste 19. 

vendredi 29 juin 2012

L'après 4 : long et pénible

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

Je pensais avancer dans l'après quatrième séance de chimiothérapie avec tolérance, forte à la pensée qu'au bout du 20e jour il n'y aurait plus de traitement matraqueur. Erreur!

Un seul jour pour dire Ouf! que les réactions post chimio se sont abattues sur toutes les parties vulnérables. La valse des douleurs, le cortège des effets secondaires attaquant les muqueuses et une fatigue si grande, si handicapante. Je lutte pour rester debout, pour effectuer un minimum de tâches incontournables comme transférer au centre de radiologie l'ordonnance médicale pour un taco sur l'ostéoporose. Au téléphone, la réceptionniste m'explique que mon rendez-vous ne sera pas avant 6 à 9 mois car , dit-elle : on n'en fait pas tous les jour. Même pas toutes les semaines

Les jours 3 et 4 de l'après 4 frappent sur tous les fronts. Je m'impose de manger et recours à la morphine pour rendre les douleurs supportables. J'ai la sensation que l'on casse les os de mes jambes. 

C'est le recours à la panoplie de médicaments : magic mouth, morphine, prochlorperazine, voltaren, lactulose, bromazepan. J'espère une bonne nuit de sommeil en prévision du lendemain alors que j'ai rendez-vous avec des bénévoles de la Société canadienne du cancer pour leur programme Belle et bien dans sa peau. Mon compagnon n'est pas d'accord que j'y assiste sachant dans quel état de faiblesse je me trouve. Mais la fibre journalistique est plus forte : je veux savoir en quoi consiste cette rencontre.

Sois belle malgré tout

Réconfortée par une nuit de 11 heures sans interruption, je m'entête à faire fi des vertiges et de la douleur que je contrecarre avec 5mg de morphine. Un verre de déjeuner liquide pour repas et me voilà en direction du 530 de la rue Jacques-Cartier pour 13 h. Quatre dames bénévoles m'y accueillent ainsi que six autres combattantes. Un bonjour collectif, sans se présenter individuellement, et le cours débute sur les perruques. Un bérêt blanc couvre mon crâne nu. Toutes les autres ont des cheveux et manifestent plus que moi un grand intérêt pour les différents choix de coiffure.

Je pense à cette nouvelle stratégie de collecte de fonds où les hommes et les femmes se font tondre comme d'autres courent un marathon. Geste de solidarité et de générosité, je n'en doute pas. Mais aussi symptômes d'une société masquant d'un côté et confondant de l'autre le signe visible de la maladie. J'entendrai beaucoup de témoignages dans les salles d'attente des centres d'oncologie, avouant préférer que les gens ne sachent rien de leur cancer. Éviter le regard, les questions et les conseils. J'ai choisi le contraire. Sans doute parce que cela m'est plus facile d'affronter ma réalité au grand jour parmi les miens, amours, amis, parents, confrères qui, une fois passé le malaise du début, évoluent avec moi avec la même impatience rageuse dans les douleurs et le même espoir que je fixe avec intensité par dessus les moments de détresse.

Après les perruques, nos bénévoles abordent le point crucial : comment dissimuler les ravages du cancer sur notre visage. Un boîte rose remplie de différents produits de maquillage est remise à chacune de nous. J'avoue avoir peu d'expérience en ce domaine. Pleine de bonne volonté je suis attentivement tout le processus pour créer l'illusion. Soins et hydratation de la peau, cela va de soi. Cela se complique quand il faut dessiner les sourcils. La perte des sourcils et des cils m'est plus insupportable que celle de mes cheveux. Avec un crayon on apprend à repérer les trois points névralgiques pour un tracé qui recréera la courbe des sourcils. Pas si simple d'atteindre un même résultat côté droit et côté gauche. Face à ses femmes expertes je suis le cancre de la classe. Je vois quelques sourires amusés tandis que ma monitrice vient à mon secours.

Un mini pause café favorise quelques confidences. Ma voisine de gauche manifeste une longue expérience de tout ceci. Et pour cause! Voilà de longs mois qu'elle se bat. Elle va recevoir son 135e traitement de chimiothérapie. Un chiffre astronomique quand je pense à mes quatre séances. Elle ne renonce pas quitte à se soumettre à des doses expérimentales. Mais sa vie dans tout cela?

- Avant j'avais un grand carré de sable. Aujourd'hui, j'ai toujours un carré de sable... sauf qu'il est plus petit.

J'ai mille questions qui se bousculent, malheureusement, cette rencontre a un but précis et un  horaire à suivre. Il existe d'autres programmes pour celles qui aimeraient discuter avec d'autres battantes. Je sais que je n'oublierai pas de si tôt cette belle femme énergique. Je n'ose lui souhaiter bonne chance lors du départ parce que ce n'est pas une question de chance.

Réjean ramène à la maison une femme maquillée au cœur barbouillé.

7 au 9e jour de l'après 4

Vaincue par la fatigue qui rend mon pas chancelant, les jours à venir s'annoncent pénibles. La bouche n'est plus que plaies ne tolérant que ce qui est glacé pour me nourrir. Entre des yeux pleureurs qui me plongent dans une vision voilée de larmes et des muqueuses buccales ulcérées qui rendent la parole impossible, je reste dans mon fauteuil condamnée à ne pouvoir rien faire.

Je m'accroche à la pensée que c'était le dernier traitement de chimio, que lorsque le mieux viendra on ne me replongera pas dans le cycle infernal où tout est à recommencer. Cependant, les effets accumulés s'imposent et attaquent ce qui avait jusque là été épargné.  Pourtant je dois faire bonne figure afin de ne pas empêcher mon compagnon de partir pour une fin de semaine joyeuse à Montréal. Je sais compter sur la présence de mon fils, mais tout nouveau papa d'un troisième enfant il en a déjà plein ses bras généreux.

Au cours du 10e et 11e jour, j'apprivoise un sentiment nouveau : la solitude. Je prends la mesure de cette grande chance qui m'est donnée par la présence tendre et indéfectible de mon amoureux. Depuis le premier tremblement à la perspective d'un possible cancer, il a été là avec patience et compréhension, vivant sa propre peur, sa détermination et sa confiance que je ne renoncerais pas à me battre. Le cancer attaque une personne, mais plusieurs sont atteintes en même temps. 

12e jour de l'après 4

Tout doucement je parviens à parler. Non sans mal, mais signe d'amélioration. Je parviens à prendre un vrai repas.

13e jour de l'après 4 : la radiothérapie

13 h, rendez-vous en radio-oncologie. Séance préparatoire aux traitements qui débuteront le 22 juin. On m'explique le déroulement d'une séance, m'assurant : c'est beaucoup moins pire que la chimio.

Je m'étends sur une étroite table de traitement, jambes surélevées, pour une préparation aux séances prochaines. Les techniciens et techniciennes, la plupart du temps deux ou trois m'entourent et expliquent ce qui va se passer. La description lue sur ce site correspond bien à ce que j'ai connu :

« La simulation est une séance de planification qui a lieu à l’hôpital avant votre premier traitement. Elle a pour but de s’assurer que la radiation sera chaque fois dirigée exactement vers le même endroit de votre corps. Cette séance comporte plusieurs étapes et dure entre 15 minutes et une heure, parfois plus :
  • Un appareil de simulation (simulateur) prend d’abord des images de la tumeur.
  • L’équipe soignante décide ensuite de la meilleure position à adopter pour le traitement. La simulation et les traitements devront se faire dans cette position. Si vous éprouvez de l’inconfort dans la position utilisée lors de la simulation, dites-le. Votre équipe de radiothérapie devrait être en mesure d’adapter la position pour qu’elle soit plus confortable. » (source SCA)
 Un aperçu, mais non identique, de la table et de l'appareil utilisés en radiothérapie

Un moule de mon bras gauche a été fait afin d'assurer chaque fois la bonne position. Bel exercice d'étirement!  Suit le traçage à l'encre rouge (à la fushine) sur la peau lors du centrage définissant le champ d'irradiation. Des lignes n'ayant rien d'esthétique à l'encolure remarquera plus tard ma petite Élika :

- Mamieke, ils ne sont pas très bons en dessin tes infirmiers, commente ma critique de 4 ans.

Torse nu, à demi couverte par la jaquette bleue d'hôpital, mon sens de l'humour ne me sauvera pas de mon sentiment de vulnérabilité quand se présente, penché vers moi, mon oncologue. Notre dernière rencontre remonte au mois de mars, déjà marquée par deux opérations, en attente du verdict finale sur la gravité de mon cancer. Nous voilà donc arrivé à cette étape annoncée des 20 traitements de radiothérapie.

Le Dr. Marc-André Brassard se montre optimiste. Mieux, évoquant la chimiothérapie il me félicite de n'avoir pas baisser les bras, d'avoir réussi. Réussi? Il n'a pas tort. Il faut vouloir se donner le maximum de certitude de tout faire pour détruire son cancer pour accepter cette difficile étape qu'est la chimio, alors que, comme le disait mon autre oncologue, l'opération a pu tout retirer de lui. Mais qui sait s'il n'a pas eu le temps de semer quelques embryons qui ne demanderont qu'à se développer? C'est la perspective de cette hypothèse qui m'a fait accepter de suivre ce traitement malgré tous ses effets insupportables. C'est aussi cette même farouche quête d'une certitude d'avoir vaincu la bête qui me fait accepter les 20 traitements de radiothérapie, malgré les risques et la fatigue.

Je quitte le centre de traitement pourvue d'un code barre sur ma carte d'hôpital. À chacune de mes visites, un lecteur robot m'identifiera et signalera ma présence à qui de droit. Je n'aurai qu'à attendre l'appel de mon nom pour me diriger dans la salle adéquate : salle 1 ou 3 ou 4.

Jours 14 à 17 de l'après 4

Certains effets secondaires s'estompent. J'investis mes heures à remonter la pente dans le but d'assister à une soirée importante le samedi 16 juin. Je sais que la sagesse serait de m'abstenir. Mais je crains que le regret de l'abstention soit plus grand que les conséquences de cette sortie sur mon état le lendemain.

Je retrouve le plaisir de soucis frivoles : quel vêtement porter, vais-je savoir me maquiller, vais-je dissimuler la nudité de mon crâne? J'éprouve un peu d'appréhension à me retrouver en public. Lire dans les regards ce que le cancer a fait de moi.

Je passe l'après-midi à préparer l'apparence. Vernis pour les ongles et maquillage dont le plus difficile est de réussir deux lignes identiques pour créer l'illusion des sourcils. Je n'aime pas le reflet de mon visage dans le miroir. Pourtant pas question de renoncer. Bien déterminée à vivre cette soirée, je me mets au défi de monter au moins une fois sur la scène, d'affronter le public telle que je suis ce jour : en femme de combat, avec ses blessures et sa volonté de vivre. J'ai prévu le soutien de bras amis pour m'y rendre. Oserais-je me présenter tête nue? Sans doute, geste ultime de défier, non les gens, mais la maladie. Clamer en silence qu'elle ne me soumettra pas.

Aujourd'hui, j'ai encore le cœur chaud au souvenir de cet instant où je monte les marches de la scène soutenue, à ma gauche, par le comédien Patrice Leblanc et, à ma droite, le fabuleux baryton Jean-François Lapointe.

Jour 18 et suivants de l'après 4

Chaque jour m'éloigne de ma dernière chimio. Je sais qu'il faudra des mois  pour évacuer les poisons absorbés. Et les effets secondaires ne lâchent pas. Malgré les heures d'inconfort à tremper les mains dans la glace lors des séances de chimio, ils menacent de tomber. Racornis, bombés, prenant une vilaine couleur jaunâtre, je tente de les maintenir en place avec du sparadra. Le bout des doigts est sensible et j'ai de plus en plus de difficulté à saisir des objets sur une surface plane. Je râle.

Et me console... sachant que le 21e jour je ne serai pas dans un fauteuil bleu, une aiguille dans le bras tandis que pendant plusieurs heures s'infiltre du taxatère dans mes veines. Ce 21e jour devient l'avant-veille de ma première radiothérapie.
 

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mercredi 13 juin 2012

Chmiothérapie 4 dernière séance

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

Dès le lendemain de ma quatrième séance de chimio, il me restait assez d'énergie pour compléter la période de l'après 3e séance et sa mise en ligne. Survoltée par la cortisone je suis parvenue même à écrire l'historique de la quatrième séance, remettant au jour suivant sa publication qui ne se réalise finalement qu'aujourd'hui. En effet, les effets de cette quatrième séances ont été un véritable coup de poing dont je reviens à peine depuis hier.

Mardi 29 mai

Le voilà arrivée ce jour de la quatrième et dernière séance de chimiothérapie. Après les deux chirurgies, après cette quatrième séance de chimio, il y aura plusieurs semaines dont j’ignore le déroulement. J’ai l’expérience des réactions du corps au traitement chimique distillé dans mes veines et je déteste ces « après » qui m'ont conduit, à peine remise, vers un recommencement. Cette fois, ma perception diffère car, quelles que soient les désagréments des prochains jours, j’avance vers un mieux être. Il n’y aura pas de retour à la case départ. Mais tout de même un aller vers la troisième bataille : la radiothérapie prévue pour juillet.

Levée à 6 h 58, douche, déjeuner d’un Nestlé vanille liquide, prise de la cortisone, préparation d’une collation faite de fruits, provision d’eau et départ vers l’hôpital. Journée froide.

9 h 00 : inscription à l’accueil.
9 h 30 : pesée et installation du cathéter par Line, la dame douce.
9 h 45 : installation dans le fauteuil 3
9 h 50 : prise de pression 119-59, pulsations 93
9 h 58 : soluté d’eau salée et injection de Zofran par mon infirmière Tania. Elle est très agréable. Quoique je me dois de dire que tout le personnel du centre est d’une grande gentillesse et montre beaucoup d’attention. 
10 h 05 : Benadryl 50 ml pendant 5 minutes

Visite de Karine, mon infirmière Pivot, qui m’annonce que nous allons rester en contact encore un moment. Elle va veiller à mon rendez-vous pour la radiothérapie et reste à ma disposition pour toute question, moment d’anxiété ou autres besoins.

-    Vous ne l’avez pas eu facile, dit-elle. Alors ne craignez pas de me déranger. 
     
10 h 10 : Zantac 50 ml pendant 10 minutes
10 h 20 : attente de 15 minutes, puis suivra le traitement.
11 h 40 : Proxytox (CYCLOPHOSPHAMIDE).

11 h 12 préparation pour le Taxatère : couverture chaude, bassin de glace pour y tremper les ongles. Pas très agréable ce froid, mais l’enjeu est d’éviter qu’ils tombent. Comme la durée de mon traitement est longue, j’aurai droit à trois bassins de glace.
11 h 14 : le Taxatère coule dans mes veines à raison de 50 ml/h pour 20 minutes. On y va doucement en raison de mes réactions antérieures.
11 h 32 : douleur au creux du dos. Bref arrêt. Visite de la pharmacienne Isabelle. On tente un 10 minutes à 50 ml/h. Petit à petit la douleur s’estompe passant de 5 à 2, puis à 1. Encouragée on risque un débit plus haut, mais seulement 75 ml/h pour 20 minutes. À ce rythme j’en ai pour la journée. Je me concentre sur mon dos comme pour m’infiltrer à l’intérieur de la douleur et l’empêcher de grandir. Je veux en finir.
12 h 10 : on passe à 100 ml\h. Isabelle revient vérifier comment cela se passe. Pas question de se rendre à 400 ml\h.
12 h 35 : le débit est de 200 ml\h jusqu’à la fin du sac.
13 h 15 : Réjean arrive, croyant que je terminerais à temps pour rencontrer le Dr Houde à 14 h. À son tour de jouer au patient dans la salle d’attente.
15 h 05 : mon regard fixe le sac de Taxatère qui arrive à la fin. Encore 5 minutes avant la dernière goutte. Je me dis : phase 4 terminée, tout sourire.
15 h15 : rinçage de 15 minutes, retrait du cathéter et pansement.

C’est FINI!

Je salue toute l’équipe; elle se montre réjouie de me sentir contente.

-    On ne vous dira pas au revoir.
-    Je n’ai que des mercis pour vos soins, votre gentillesse, vos attentions, mais sincèrement j’espère ne pas vous revoir… pas ici.


Ce n’est qu’un au revoir

Je rencontre mon oncologue à 15 h 45, visite rapide, écourtée par un appel des urgences.

J’ai le temps d’apprendre que j’en ai terminé avec la chimiothérapie. On se revoit dans trois semaines pour discuter de la suite : 20 séances de radiothérapie et 5 ans d’hormonothérapie.

Je lui fais un bref résumé des semaines qui ont suivi le troisième traitement.

-    Pas de fièvre. Je n’ai pas eu de bonnes journées, mais j’ai gardé l’esprit clair. Assez pour pouvoir écrire un peu plus. Malheureusement je n’ai pas encore retrouvé ma capacité de lecture.
-    Alors vous ne pouvez pas vous relire quand vous écrivez, me taquine-t-il. (Un point pour lui). J’aime son humour. Il me confirme ne pas parler à une malade, mais à une personne vivante.  
-    J’ai l’impression d’avoir fait le tour de tous les effets secondaires, même ceux qui ne sont pas sur la liste des plus fréquents.
-    Sauf la neutropénie , réplique-t-il satisfait. Vos prises de sang sont très bonnes. Pas d’anémie.

Excellente nouvelle! Mon système immunitaire a tenu le coup.
Le retour à la maison est plein d’optimisme. Je sais que tout n’est pas fini et que les jours prochains reviendront avec les réactions indésirables. Mais chaque jour terminé m’éloignera de cette bataille. Le mieux être sera progressif.

À 16 h 45, je prends un antinausée. Je ressens une immense fatigue. Au souper, j’avale consciencieusement mes 16 mg de Dexamethasone et termine la journée à 22 h 23 avec un ondansétron (antagoniste 5HT3. Il est indiqué dans la prévention des nausées et vomissements aigus associés à la chimiothérapie anticancéreuse). À notre première rencontre l’oncologue m’avait assuré qu’il ne fallait plus craindre les scènes d’horreur de nausées et de vomissements, qu’ils avaient des médicaments pour nous aider à amoindrir ces effets. Il a tenu parole!

Et je m’endors sans avoir eu recours à un anti douleur. Ma dernière pensée est un champ de bataille encore en flamme, dévasté où je me dresse bien campée sur mes jambes.

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vendredi 18 mai 2012

L'après 3e séance de chimiothérapie

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite. 

 9 mai, mercredi, jour 1 de l’après 3

Éveillée à 4 h 44, le sommeil ne veut plus de moi. Dans ma tête, je revis la rencontre d’une sœur de combat, croisée dans la salle d’attente, juste avant mon départ. L’après troisième séance a été moins facile que les deux premières, me confie-t-elle. L’aveu de sa douleur insupportable que ne soulagent plus les produits courants, sa crainte de devoir recourir à la morphine, la perte de ses capacités, elle si créatrice, et le report de ce qui devait être son dernier traitement la propulse dans ce territoire appréhendé auquel elle croyait échapper. Je compatis, je comprends, mais que dire? Que faire?… Chaque cas est unique. Symptômes, effets secondaires, réactions physiques et morales.

On veut bien croire à la victoire, on y croit, mais on ne peut s’empêcher de haïr cette maladie à laquelle échappent heureusement 8 femmes sur 9. En 2012, la société canadienne du cancer estime à 22 700 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein et à 5 100 le nombre de celles qui en mourront. Quand on fait partie d’une minorité de 1 sur 9, impossible se croire totalement à l’abris du 24,73%  qui mourront. On enfouit cette statistique en soi pour ne pas contrarier nos interlocuteurs toujours si pressés du taux des guérisons. Et je pense à Alix, à Louise, à Diane parmi mes proches fauchées en plein été par ce cancer.

Ce ne sont pas de noires pensées. Ce sont des statistiques qui me rendent de plus en plus sensible à la détresse de certains regards échangés dans le silence de la salle d’attente du service d’hémato-oncologie. Parce que, malgré tout, mon propre reflet dans leurs yeux demeure celui d’une femme qui va vivre.

Et j’ai de quoi m’occuper : éternuement répétitifs, légère douleur au dos et mal de tête me gardent éveillée. À 6 h 03 je me résigne à prendre 500 mg de novo-gésic, voulant m’éviter la somnolence de la morphine. Il sera toujours temps de cibler plus fort si la douleur l’impose.

Cadeau! Outre les petits soucis (piquotement dans la bouche, brûlures d’estomac) j’ai de l’énergie, l’esprit clair. Je parviens à vivre une journée productive en petits travaux ménagers et, le meilleur, en écriture. Je m’écroule de fatigue à 22 h 38 sans prendre aucun anti douleur, pour un sommeil de 5 heures.

Jeudi 10 mai, jour 2 de l’après 3

La douleur rôde. Encore légère. Je passe une matinée calme à regarder quelques reportages à la télévision. Peu d’appétit, sinon de profiter pleinement de ce second jour vivant.

L’après-midi se passe devant l’ordinateur, pressée que je suis de devancer la menace grandissante des effets de plus en plus douloureux, surtout le dos et la fatigue que j’ai sans doute activée à trop vouloir en faire en si peu de temps. Mais il faut savoir ce que c’est que de perdre toute énergie des jours et des jours sans fin pour comprendre l’envie de lui échapper. Qui sait? Peut-être que cette troisième étape sera plus clémente.

Je m’endors à 23 h 41. Me réveille à 3 h 49. Je me résigne et avale 2,5 mg de morphine.

Vendredi 11 mai, jour 3 de l’après 3

8 h. Douleur dorsale à 5 sur 10. Je commence la journée avec 2,5 MG de MS-IR et une bonne gorgée de « Magic mouth » après le pénible avalement d’un déjeuner croissant.

Des points douloureux frappent le dos et s’installent dans les jambes et l’os des arcades sourcilières. Je reste sagement dans mon fauteuil, écrasée d’une fatigue qui m’éteint. Mon seul choix est de traverser la journée en limitant mes doses toutes les 4  heures à 2,5 mg… croyant m’éviter l’état de légume qui m’a tant affectée depuis mars.

La nuit arrive comme une délivrance. Dormir… dormir… DORMIR.

Samedi 12 mai, jour 4 de l’après 3

Copie presque conforme à la veille. Les nausées se manifestent et l’estomac se rebiffe dès que j’absorbe du solide. J’ai maintenu les doses de morphine à 2,5 mg.

-    Pourquoi t’entêter ainsi à une demi portion? S’impatiente mon infirmier maison.
-    Tant que la douleur est à 5, je préfère une dose réduite. Sinon, quelle option aurais-je contre un 6 et + ? Augmenter la fréquence? Augmenter la force?
-    Si je sens que tu as plus mal que tu ne le dis, c’est moi qui prendrai la décision.
-    Compromis accepté.

 
19 h 55 : prochlorperazine contre les nausées
20 h 21 : dernière dose de MS-IR 2 mg
22 h 41 : mixture spéciale estomac
22 h 42 : massage au voltaren
22 h 45 : bromazepan 10 mg

3 h 45 : réveil coup de poignard à la nuque. Excédée je prends 5 mg de Ms-IR


Dimanche 13 mai, jour 5 de l’après 3

Le jour passe en mon absence. Nourriture liquide, jello, velouté de poireaux et autres légumes verts avalés sans faim. Les rares aliments qui n’ont pas l’affreux goût de métal et surtout de poivre. Et qui parviennent à franchir ma bouche de plus en plus couverte d’ulcères.

Je me sens agressive, même si cela ne se trahit pas dans mon attitude. Je me fais violence pour maîtriser mon impatience. Ils sont tous trop attentionnés, trop gentils pour que je prenne le risque de les blesser. J’encourage le Papili à répondre à l’invitation des petits qui sont privés de venir nous voir à la maison de peur de me transmettre leur rhume. J’entends les cris de joie, les rires lors de pique-nique improvisé. J’éprouve un sentiment d’exclusion. Coup de fouet mental :

-   Cela fait partie de ta guerre, me dis-je. C’est de ta bataille gagnée qu’ils se souviendront, pas de tes peurs ni de ta défaite.

Rejean revient avec un caillou rose qu’Élika a choisi pour sa Mamieke… « Pour faire du bonheur dans son cœur » a-t-elle dit. Il est magique ce caillou : il transforme le regret de ce que je n'ai pas en sourire pour ce que j’ai.

Lundi 14 mai, jour 6 de l’après 3

La matinée est calme. Chocolat chaud et croissants.

Non, les petits maux ne rendent pas les armes. Ils se multiplient. La diarrhée met fin à deux jours d’intestins paresseux. L’occasion d’expérimenter d’autres des effets secondaires du taxotère, soit les douleurs anales et vaginales. Chaque tournée à la salle de bain me rapproche de l’enfance : lavage avec savon doux, serviettes humides et douces conçues pour les nourissons, clotrimaderm  et touche finale d’onguent de zinc.

En prime, des yeux pleureurs. Les larmes coulent abondantes, irritant l’œil et brouillant la vue. L’oculiste m’a conseillé des gouttes oculaires lubrifiantes Refresh tears et le pharmacien le Systane ultra pour atténuer l’irritation. L’impression de fraîcheur dure plus longtemps avec tears, mais la seconde acélère le retour d’une vision clarifiée. Entre deux larmes, je bénéficie d’un temps de vision d’environ 80% pendant 5 à 7 minutes. Puis cela recommence. Je tente, pas toujours avec succès, de ne pas frotter mes yeux et de bien hydrater la peau du visage que le sel des larmes attaque sans pitié.

Mardi 15 mai, jour 7 de l’après 3

 Joie! Une nuit sans réveil de 23 h 16 à 6 h 18.

Pour le reste, c’est la routine : antidouleur, anti nausée, anti larmes, anti inflammation, anti ulcères. Et l’espoir d’une seconde bonne nuit.

Mercredi 16 mai, jour 8 de l’après 3

Soleil et rendez-vous avec ma banquière
au programme.

Je ne lésine pas sur la dose de MS-IR 5 MG, afin de m’assurer un peu de résistance. La fatigue va en s’accentuant, le pas hésite et le bras s’accroche au bras de mon homme. Je sais que cette sortie va puiser toute mon énergie. Les maux font la fête quand je suis plus faible. Mais on parvient chaque jour à atteindre le soir en se disant que cette troisième phase est malgré tout moins difficile que les deux premières : je suis plus éveillée.

Jeudi 17 mai, jour 9 de l’après 3

Café au lait sucré qui me réussit. À 9 h 30, je me retrouve devant l’ordinateur.  Une mise à jour du site Web d’un organisme qu’on m’a reproché de négliger. Je profite de l’absence de Réjean car il ne serait pas content de me voir travailler, surtout avec une vision brouillée. Heureusement, les doigts ont la mémoire du clavier.

L’après-midi sera joyeuse. Je savoure même une Beck sans alcool (ma bière préférée) constatant qu’elle ne goûte pas le poivre.

Dernière morphine 5 mg à 22 h 06 et bromazepan m’assurent une nuit de 8 heures.

Vendredi 18 mai, jour 10 de l’après 3

Éveillée juste à temps avant d’inonder mon oreiller. Les saignements de nez sporadiques se calmaient rapidement. Cette fois, c’est le déluge pendant plusieurs minutes. Zut! Je n’en échappe pas un.

18 h 12 : je suis à l’ordinateur depuis quelques heures. Mon corps commence à protester, mais je me réjouis d’une journée sans anti douleur. Dans quelques minutes, ce sera mon premier (l'inévitable routine des petits maux exceptée).

Chaque heure vécue compte. Je me dis que ce temps d’éveil rien ne peut plus me l’enlever. La douleur omniprésente a un rival de taille : une farouche volonté de vivre pleinement.

La suite : Samedi 19 mai, jour 11 de l’après 3

Des douleurs au dos et retour à la morphine 2,5 mg à 10 h, 14 h, 18 h pour terminer avec 5 Mg à 23 h. La fièvre rode frôlant les 38, mais revient à 36,5 le lendemain au réveil. Journée terne.

Dimanche 20 mai, jour 12 de l’après 3

Routine des maux habituels (bouche, yeux et tache rouge sur le bras) le tout additionné de nausées que calme le Prochlorperazine.

Petite sortie dans le jardin. Deux heures de plaisir à voir jouer les enfants qui m’apportent des fleurs jaunes tout en évitant de m’approcher de trop très pour me protéger de leur rhume. Je fais provision de baisers envolés.

Lundi 21 mai, jour 13 de l’après 3

La phase de l’après 3 se révèle capricieuse. Les journées alternent entre des moments « pas trop pires » et des effets secondaires de première. Un peu d’énergie dépensée à mettre les comptes en ordre, quelques vertiges, un orgelet à l’œil gauche, mal de gorge qui me fait craindre un rhume dont je calme les effets avec un tylenol nuit 500 mg à 23 h 15.

 Mardi 22 mai, jour 14 de l’après 3

Bonne nuit qui prend fin dans la brûlure de l’œil gauche causée par un orgelet qui ajoute à l’agacement des larmes et d’une grande sensibilité des ongles qui prennent une vilaine couleur rouge à la base.

L’Immodium fait son œuvre et je m’impose quelques heures au magasin qui me conforte dans mon refus de vivre la phase 3 en légume. Je me fouette mentalement pour m’imposer l’effort de rendre vivantes quelques heures de chacun de ces jours, même si cela se termine pas la fatigue, l’essoufflement et la sensation d’avoir très froid.

Mercredi 23 mai, jour 15 de l’après 3
Jeudi 24 mai, jour 16 de 3


La routine des effets secondaires me fait râler. Chaque jour ressemble à la veille, si ce n’est de plus longs moments d’énergie que je dépense en écriture et, ce jeudi, afin de remercier mon homme dévoué, je lui fais la surprise de préparer le souper. Malgré la fatigue qui s’ensuit, chaque action de vie que je parviens à réaliser à la saveur d’une victoire.

Vendredi 25 mai, jour 17 de l’après 3
Samedi 26 mai, jour 18 de l’après 3

Grande faiblesse, dos douloureux, essoufflement, douleur au bras, à la nuque et à la tête. Est-ce la fatigue qui me rend plus sensible à la douleur ou la douleur qui gruge mon énergie?

Dimanche 27 mai, jour 19 de l’après 3

Pas de congé pour la douleur : les articulations rendent la marche difficile. C’est la routine des effets secondaires. Mon quotidien est routinier. Qu’y faire sinon vivre un jour à la fois et utiliser les béquilles chimiques pour rendre le tout plus supportable.
 

Brève visite à la maison au bord du fjord, bientôt lieu de séjour de l’été qui approche. Et au retour, la vie qui bat avec l’arrivée à la Maison heureuse de mon troisième petit-enfant, la magnifique Isyëv, née ce 25 mai à l'hôpital de Chicoutimi. Je regarde son visage aux traits délicats, ses longs doigts qui agrippent les miens et me sens submergée par le désir fou de continuer de vivre encore longtemps. Un être de 3,5 kilos qui me transmet sa force de tout ce qu’elle représente déjà.  

Lundi 28 mai, jour 20 de l’après 3

Mauvaise nuit. Je m’impose un rendez-vous important avec les médias, participant à une conférence de presse pour l’organisme culturel La Société de l’Ordre du Bleuet. Quelques rares courses exceptées, depuis cinq mois je n’ai pas fait de sortie publique.  J’aborde ce passage obligé avec anxiété. Peur de bafouiller, peur de manquer de concentration, peur de vertiges malencontreux. Je tente de ne pas céder à toute appréhension de coquetterie avec ce visage bouffi et rougi par la cortisone, mon crâne nu dissimulé sous un chapeau, des lunettes noires pour protéger de la lumière des yeux sans cils et des sourcils clairsemés.

Et pourtant, je sais devoir affronter cela comme un entrainement à la prise en main de ma vie. Un exercice physique et mental nécessaire afin d’éviter la tentation de l’isolement, faux confort qui risque de m’entraîner dans la facile renonciation au combat. 




À ma droite, en compagnie de Jérémie Giles, Guylaine Simard
© Photo Rocket Lavoie - Le Quotidien


Halte rapide au centre d’hémato-oncologie pour la prise de sang. Je reviens épuisée de cette journée, mais, tel un mantra, je ne cesse de me dire : je l’ai fait et cela s’est bien passé. Je prends conscience que de se battre contre le cancer, c’est aussi se battre contre sa propre faiblesse.

Demain, quatrième traitement de chimiothérapie. Le dernier.


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jeudi 10 mai 2012

Chimiothérapie 3

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

Mardi 8 mai 2012

Premier faux pas : j’ai oublié les quatre doses de cortisones à prendre 24 h avant le traitement. J’en préviendrai la pharmacienne de l’hémato-oncologie qui en tiendra compte dans la prémédication avant la chimio.

Levée à 6 h, préparer collation (yogourt, clémentine, avelines, eau), douche, vêtements confortables et chauds, carnet de notes indispensable à ma mémoire, traversée du pont Dubuc à 7 h 40. Stationnement facile pour une fois. J’ai le pas fragile et tiens solidement la main de mon compagnon. Je monte vers le centre de traitement sans rien anticiper : ni douleur, ni les jours suivants. Je suis totalement dans le présent. J’en suis à la phase trois.

Je connais la routine : prendre numéro et attendre l’appel pour passer à la réception, dépôt feuille de route au comptoir du centre de traitement, attendre ouverture de la pharmacie pour confirmer ma présence et retour à salle d’attente, une fois encore très occupée. Dans la rangée du fond une dame soleil. Un chapeau du même jaune que son veston couvre la nudité de son crâne; cela fait du bien au regard de la voir si sereine, presqu’enjouée, se demandant si, elle la première arrivée, n’a pas été oubliée tandis que commence l’appel des numéros. À mes côtés un homme me raconte son cancer de la peau, lui qui ne va jamais au soleil. Cela a commencé sous le pied, mais il a fallu du temps avant d’avoir un bon diagnostic. Il n’est pas très optimiste et confie sa solitude dans le sous-sol où il demeure après un long séjour à l’hôpital. Plus tard dans la journée, j’entendrai à la télévision que « Le taux de mortalité pour tous les cancers au Canada a diminué de 21% chez les hommes et de 9% chez les femmes de 1988 à 2007.  […]  La Société canadienne du cancer prévoit qu'il y aura dans l'ensemble 47 600 nouveaux cas de cancer au Québec en 2012, et que 20 000 décès seront imputables à la maladie. » (Source : TVA )

Me voilà à la première phase : ma prise de sang a été faite la veille. On y gagne en temps pour le matin de la séance de chimio, mais cela permet surtout d’être prévenue si les plaquettes trop basses imposent de retarder le traitement. C’est la pesée : encore quelques kilos en moins, rien d’alarmant; j’avais - que dis? - j’ai de bonnes réserves. On poursuit avec l’installation du cathéter. J'ai droit à la dame douce de la dernière fois qui forme une nouvelle recrue. Les veines disponibles se raréfient. Elle en trouve une qui semble convenir. Hélas, il me faudra y revenir.

Passage à la pharmacie pour recevoir la cortisone de la phase 4 et transmettre la feuille de poids, donnée essentielle pour ajuster les doses de la chimio. Dès 9 h, mon infirmière, Geneviève m’installe dans le fauteuil numéro 8. Prise de la pression : 118-53 et prémédication : d’abord le bénadryl : sensation de brûlure

-    C’est normal, me rassure Geneviève.

Moi, j’ai un doute pourtant, car la sensation est plus intense que lors de la dernière séance

À 9 h 15, on passe ensuite au Zantac, puis on démarre  le Procytox (Cyclophosphamide) pour 30 minutes.

Mais la veine devient rouge et la trace ne cesse de monter vers le coude. J’explique qu’à la première séance, il avait fallu repiquer ailleurs. L’infirmière chef vient confirmer l’inquiétude de Geneviève. On me débranche et m’expédie au lieu d’installation des cathéters. C’est Jacques Savard qui s’occupe de moi.

-    Ça va piquer, prévient-il.

Je l’avoue, avec lui on sent passer l’aiguille… et pas qu’un peu. Premier essai refusé. Second essai trop incertain. Il tente une troisième fois en allant plus haut sur l’avant bras. C’est la bonne et le pincement oublié, le traitement va pouvoir reprendre bientôt, sans autre problème de veine. Enfin!  me dis-je : j’ai de la veine non?

À 10 h 10, visite de Karine, mon infirmière pivot, tandis que le Procytox coule en moi depuis 15 minutes. Elle me gronde un peu de n’avoir pas été prudence lors de la fièvre qui m’a affectée pendant deux jours. Le risque est toujours grand d’une infection, sachant surtout à quel point ma bouche a été attaquée. Ne pas oublier que la chimiothérapie affecte le système immunitaire et me rend plus sensible aux infections. Si je ressens de nouveau une fièvre de plus de 38,5 qui persiste plusieurs heures, c’est direction urgence où l’on pourra me traiter rapidement aux antibiotiques. 

À  10 h 25, en route pour le Taxatère. Seconde couverture chauffée, bassin de glace pour les ongles et départ de douceur à raison de 50 ml/h pendant 20 minutes. Tout va bien. À 10 h 52, 100 ml/h pour 20 minutes. Petite douleur à la poitrine et à la jambe droite, mais très supportable. À 11 h 10 on augmente à 200 ml/h pour 20 minutes. La douleur légère persiste, mais je me sens capable de continuer. À 11 h 30, c’est la totale : 400 ml/h . La barre dans la poitrine subsiste, mais c’est au dos que je sens une douleur croissante. Un barre horizontale entre les omoplates et un point brutal au creux de la colonne. Une toux sèche alerte mon infirmière. Il est 12 h 10, elle suspend le traitement et contacte la pharmacie. On hésite à me donner plus de médication. Un temps de repos s’impose, les douleurs s’estompent et le traitement reprend à 12 h 43 au rythme de 200 ml/h jusqu’à la fin.  Je quitte mon fauteuil à 13 h 30, une fois le rinçage des veines terminé.

Visite au médecin

Oh! joie. Rejean a devancé mon appel pour attendre avec moi la visite du Dr Houde. Il nous accueille gentiment tout en remettant de l’ordre sur la table de consultation. Il a toujours une petite tâche anodine à faire avant d’entreprendre la conversation. Je le soupçonne de profiter de cette ambiance bon enfant pour capter les ondes et sentir l’état d’esprit de son patient.

-    Les prises de sang sont belles, dit-il enfin. Mais à la limite de l’anémie.
-    Que puis-je faire pour l’éviter?
-    Arrêter la chimiothérapie, fait-il en souriant. Il n’y a rien à faire, sinon prendre soin de vous.

L’anémie explique mes étourdissements et ma fatigue. Il me recommande la patience pour les 10 à 12 jours qui m’imposent un temps mort.

-    Patience dit-il. Le corps se bat. Et c’est un très bon signe.
-    Et que fait-on maintenant?
-    Maintenir les soins tels que reçus depuis la seconde séance. Combattre la douleur avec la morphine, surveiller la température et ne pas hésiter à se rendre à l’urgence si elle persiste plusieurs heures en continu à plus de 38,3 – 38,5
-    Et la prochaine séance?

-    29 mai et je vous revois tout de suite après.

Bonheur de retrouver la maison. Picotement dans la bouche aussitôt pris en charge par le « magic mouth ». À 17 h 30, 16 mg de cortisone. Et pour la nuit, même si le mal de dos est supportable, je prends 2,5 mg de MS-IR. Je dormirai jusqu’à 4 h 44 du matin.

Le jour 1 de l’après 3e séance va commencer.

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dimanche 6 mai 2012

L'après deuxième séance de chimiothérapie

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.


19 avril, jour 1 de l’après 2

L’expérience sera-t-elle différente? Vétérante d’une première séance de chimiothérapie, j’anticipe l’après séance 2 avec une naïveté qui me fera perdre mes repères illusoires.

J’espérais ressentir cette énergie factice due à la cortisone du lendemain pour vivre agréablement ce premier jour de l’après deuxième séance. Mais la recommandation des mes alliés a été très claire :

-    La douleur peut vous nuire plus que le remède contre elle.

Pour chaque patient les réactions diffèrent. On se doit donc d’adapter la médication la plus adéquate. Dans mon cas, l’acétaminophène (Tylenol, novo-Gésic) se révèle insuffisant dans les douleurs fortes (6 et + sur 10). Solution? La morphine ou MS-IR 5mg.

-    Vous ne devez pas attendre la douleur, mais la prévenir. La régularité des doses est importante. Ici, on parle de 5mg aux quatre heures.
-    Et je vais passer mes jours à somnoler, ne puis-je m’empêcher de rétorquer.
-    Vous allez passer vos jours à récupérer vos forces.

Pas la peine de me rebiffer. J’ai désormais un infirmier autoproclamé qui a décidé de devenir mon maître soigneur attitré. Il se montre implacable et ponctuel… Et bien armé.

L’épisode qui a suivi la première séance de chimiothérapie m’a fait, bien malgré moi, explorer à peu près tous les effets secondaires appréhendés.  Nul besoin de refaire le récit de la page 18 : « Les jours d’après ». Je suis parée pour affronter les effets déjà vécus et, mieux, les éviter. S’ajoutent cependant des nausées à répétition. Oups! On a oublié de me donner une ordonnance pour du prochlorperazine. Un appel au pharmacien de l’hôpital et moins de 15 minutes plus tard, la pharmacie la plus près de chez moi est prête à me livrer le remède. Il me sera très utile, les trois premiers jours surtout, à raison de 10 mg aux six heures. Les deux jours suivants, j’y aurai recours à deux reprises pour un total de huit comprimés que j’aurai fort appréciés.

Je me retrouve donc à absorber plusieurs mixtures:
1. dernière journée de dexamethasone
2. anti-nausées pendant 4 jours :  prochlorperazine
3. anti-douleur aux 4 heures incluant la nuit : MS-IR 5 mg
4. massage au Valtaren sur les jambes et le dos, surtout au coucher.
5. Magic mouth : mélange de plusieurs médicaments dont du benadryl et du nystatin (antifongique) et du teva-prednisone, un corticostéroïdes. Efficace, mais assez cher et non remboursé par les assurances. C'est d'ailleurs le cas de plusieurs prescriptions pourtant si bénéfiques pour le patient.
6. Lactulose 30 ml matin et soir pour éviter les graves problèmes de constipation déjà connnus.
7. Gastrolyte, idéal pour l'hydradation, mais produit de luxe quand on sait qu'une dose revient à près de 11 $. J'en consomme 4 par jour.

Les jours se suivent sans surprise : grande fatigue, somnolence, de très courtes périodes d’énergie insuffisante pour lire ou suivre une émission à la télévision. Le rythme des heures est ponctué par les soins, la surveillance contre une fièvre instable qui se maintient à la limite de l’urgence (38,2 à 38,5). Mon infirmière pivot conseille à mon soigneur une surveillance étroite, mais pas de panique à moins que la fièvre continue de progresser et se révèle tenace. Dès lors, pas d'hésitation, direction urgence car il peut s'agir d'une infection.

Je peux à peine parler tellement ma bouche compte une multiplication de plaies. Mes menus se composent de glace, de jello, de crème vanille et de velouté.  Si j’ose un repas plus étoffé, c’est l’estomac qui se révolte. Mes nuits sont calmes, assommée que je suis par le duo morphine-bromazepan.

Au jour 10 de l’après 2, on réduit la dose de MS-IR à 2,5 mg pendant le jour.

La nuit du 28 au 29 avril je dors huit heures en continu. Pas de douleur. J’aborde le 11e jour d’après 2 avec un début d’optimisme à un retour de vie vivante, mais j’affronte un début de rhume que j’ose contrecarrer par 500 mg de tylenol matin et soir.  En prime une conjonctivite   affecte les deux yeux que je soigne avec des gouttes antibiotiques Optimyxin devant le miroir grossissant qui me révèle la perte de mes cils et mes paupières ravagées par des plaies dont viendra à bout le Polysporin triple antibiotique au bout d'une semaine.

J’ai presqu’envie de retourner au potager où je viens de faire un séjour de près de dix jours à l’état légume. La toux, le rhume, les yeux brûlants, la gorge douloureuse, l’absence d’appétit et les vertiges qui se multiplient, confirment une fragilité que je ne parviens plus à supporter. Je deviens impatiente, révoltée, prêtant aux autres un sentiment de lassitude et de ras-le-bol de moi que je sais injuste.

-    Vous seriez mieux sans moi. Je suis un poids mort. Je ne sers plus à rien. Dans quelques jours tout sera à recommencer. Je t’empêche de vivre. Tu n’as plus de temps pour faire ce que tu aimes…
-    Moi, je crois que c’est le temps d’un 55, réplique Réjean devant cette envolée verbale.

Je me rebiffe. Je ne veux pas être consolée. Je veux qu’on comprenne ce que je sens, ce que je vis. L’attrait de ses bras ouverts l’emporte un moment puis, avec l’aplomb de toute ma mauvaise foi, je conclus : tu vois… te ne comprends pas.

D’abord par son écoute silencieuse, il prouvera le contraire. Puis, le jour 13 de l’après 2, Réjean me conduit quelques heures au Refuge. Ma maison du bord du fjord me rappelle que ce que j’aime tant continue d’exister. Tout m’attend. Tous m’attendent.

Pendant quelques jours je retrouver quelques capacités pour rédiger lettres et communiqués de presse et réussir la mise à jour de ma comptabilité.


Je regarde mon installation-salon : fauteuil confortable, table de chevet à ma droite et trois chaise groupées à ma gauche où reposent mes livrets de note de santé, mon journal de bord quotidien qui me permet de rassembler les souvenirs nécessaires pour ce blogue, la trousse médicaments et l’ordinateur portable pour les grands moments d’énergie.

Et du 14e jour à ce dimanche, le corps chancelant mais l’esprit alerte, je me prépare au troisième combat. Demain, prise de sang pour évaluer l’état des globules blancs et, mardi 8 mai, troisième séance de chimiothérapie. 

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samedi 21 avril 2012

Chimiothérapie 2

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

18 avril mercredi

Le réveil n'a pas sonné. Il est 7 h 07 et je dois être à l'hôpital à 8 h. Je me précipite sous la douche, avale un nestlé vanille avec ma cortisone. Au moins, pas de chichi pour me coiffer. Et je traverse le pont Dubuc en moins de 15 minutes. Ah! Chicoutimi, je t'aime!

À l'accueil, je me sens à l'aise : celle qui sait quoi faire. Pas le temps d'attendre. Pharmacie avec Lisa, pesée (perdu un kilo), puis installation du soluté par une dame en rose qui ne me laissera aucune marque. Et à 9 h, Sabrina m'installe au fauteuil 8. Pas de compagnon aujourd'hui. On y a droit uniquement à la première séance. Mon infirmier se nomme Jacques Savard. Jovial... On discute de son épouse artiste peintre qui a bien connu mon père lors d'un symposium à Sainte-Rose-du-Nord. J'aime ce souvenir, mais plane un petit brin de nostalgie à l'idée que papa a été vaincu par le cancer.

Pression 135-66, pulsions 72. Un peu anxieuse au souvenir de la douleur. Premier traitement cyclosphosphamide 30 minutes. Puis on commence par le benadryl anti-allergène. Cela chauffe un peu, mais Sabrina me rassure. On passe au Zantac. À 9 h 35, Lisa démarre le premier écoulement de Taxatère, 50 ml pendant 20 minutes. Je suis calme, somnolente, les doigts dans la glace.

Je tente de noter les fréquences, le rtyhme et les doses, mais mon esprit est brouillé et je préfère m’abandonner aux mains expertes. Je comprends que l’on y va prudemment. Petite alerte au dos, mais la pharmacienne opte pour un traitement plus lent plutôt que d’ajouter d’autres médications. Un court arrêt du traitement vers 10 h 25 pour permettre au mal de s’atténuer et on reprend à petites doses 50 ml/h pendant 20 minutes.

J’ai très froid et le ventre douloureux. À peine dit, on me couvre d’un drap préchauffé.

10 h 53, on opte pour 100 ml/h pendant 20 minutes, puis 200 ml/h. Mini-repas de fruits et noix et à 11 h 35 on entreprend le dernier tour à 400 ml/h. Je suis bien.

À ma droite, ma voisine confie qu’elle en est à son troisième cancer. Que dire? Comment fait-on pour retrouver la force de reprendre le combat? L’espoir.

Un récent reportage présenté à Découverte traitait justement de ce traitement expérimenté sur les humains. Dans ma tête, je calculais le temps de rémission : 5 ans, plus l’évolution de la recherche sur humain : 6 -7 ans, et les possibilité d’une récidive pour aboutir finalement à une vision optimiste d’apprendre que ce type de soin sera sans doute à point si jamais je subissais une nouvelle attaque d'ici 10 ans.

Je quitte l’hôpital  vers 13 h 15. Épuisée. Prochaine séance inscrite le 8 mai.  Sous l’effet de la cortisone, je sais que demain me donnera l’illusion d’être bien.


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jeudi 19 avril 2012

Crâne nu devant les enfants

Pour ceux qui arrivent sur ce blogue pour la première fois,  je suggère de commencer par le début. Les liens sont présentés par ordre chronologique dans la colonne de droite.

Le nouveau rythme de médication porte fruit. Je retrouve le sommeil et l'énergie du matin. Matinée douce avec beaucoup de posologie 55 (des câlins). 

Le gruau pour déjeuner, un velouté de légumes verts pour midi. Quelques tâches ménagères pour l'exercice et je déclare forfait : fatigue déjà et douleur au dos.

13 avril vendredi

Jour 15 après
Mes petits annoncent leur visite, curieux de la nouvelle coiffure de Mamieke. Élika, 4 ans, Victor 2 ans et 11 mois réagissent différemment. Ils savent que je suis malade et que le cancer a fait tomber mes cheveux. Mon petit Victor m'affronte sans détour. Il soulève ma casquette d'un geste rapide:

- Oh! wow!, fait-il me recoiffant aussitôt et nous déconcerte en disant : fromage!

Blottie dans les bras de son Papili, Élika refuse de me regarder. Je tente de l'apprivoiser.

- Tu sais ma chérie que je porte ma belle casquette Chicoutimi. Mais j'aimerais voir avec toi si on peut trouver d'autres jolis chapeaux et foulards. Et pour cela j'aimerais que tu m'aides.

Sans mot dire ni me regarder, elle me prend par la main et m'entraîne dans la salle de bain. Elle sait où se trouve chapeaux et foulards. Alors elle me fait front, me dévisage, retire mon couvre-chef. Je sens un grand soupir de courage sortir de sa poitrine. Elle prend conscience de la maladie. Elle en évalue la trace et vient se coller tout contre moi comme pour m'insuffler tout son courage. Puis nous nous amusons à trouver le plus joli couvre chef. Les chapeaux l'emportent sur les foulards et me voilà parée du plus ravissant sourire d'enfant. J'ignore qui de nous deux en sort la plus heureuse.


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14 avril samedi

Jour 16 après. Grande soirée en perspective : spectacle annuel de danse de l'école des Farandoles. J'économise mes forces pour y assister. Un peu anxieuse de me retrouver en public. Pour Élika, l'essentiel est la présence de sa famille. Pour l'amuser, je lui dis :

-Tu diras à Louis Wauthier (son professeur qu'elle adore), qu'il a une jumelle dans la salle.

Elle s'y prépare, l’œil malicieux de le surprendre par cette nouvelle. On en rira encore le lendemain, lors du repas festif  de pizza maison. Cette fois, c'est moi qui a le privilège de m'asseoir près de ma petite princesse, détrônant le Papili après 4 ans de règne ininterrompu. Dans ce rapprochement qui se veut protecteur, je pressens l'étonnante capacité d"empathie de ma petite-fille. C'est bon se ressentir la vie!

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16 avril , lundi

Jour 18 après
La seconde séance de chimiothérapie doit avoir lieu le mardi. Pour éviter un déplacement inutile, Karine m'a suggéré de faire la prise de sang la veille. 

Prise de poids (perte de quelques kilos) et prélèvement sanguin : astal, bilt, crea. Le but est d'évaluer le taux de globules blancs, rouges et plaquettes.

Les complications qui ont suivis la première séance incitent la prudence. Contrairement au programme prévu, je rencontre mon oncologue mardi  afin de réévaluer le traitement. Rendez-vous mardi 14 h. 

La salle d'attente est très occupée. Regard intense échangé entre deux personnes qui croient se reconnaître. Effectivement. Une dame de mots, avec qui j'ai partagé des soirées littéraires intéressantes. Elle a eu son diagnostic en 2011. Sœur de combat où il y a similitude et différence. 

13 h, rencontre avec Jean-Luc Houde. Il écoute bien. Il entend bien. J'aime son approche, son intérêt et son humour. Je le sens présent, confiant. Le traitement  CT (Taxotère- Cyclos) est maintenu, mais il sera donné le lendemain, avec précaution. La durée sera plus longue afin que le corps puisse absorber la dose en douceur.

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